Journalistes honoraires

16.06.2023

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Par la journaliste honoraire de Korea.net Nathalie Fisz de France

Le 25 janvier dernier, j’étais invitée au cinéma parisien l’Escurial, à l’avant-première du film de Davy Chou Retour à Séoul. Je m’attendais à être interpellée par ce film percutant qui aborde les questions de la quête des origines, et de l’adoption. J’étais invitée par Racines Coréennes, en présence de Davy Chou, Park Jimin qui joue la captivante Freddie, et Laure Badufle.

Laure est celle par qui toute cette aventure est arrivée. Davy Chou, un de ses amis très proches, a été porté par son histoire et par une rencontre à Séoul en 2011, avec le père biologique de celle-ci. Laure déjà connue comme coach, professeur de yoga et fondatrice du studio pluridisciplinaire RAJAVTAR et est de plus en plus sollicitée.

J’avais fait sa connaissance avant la sortie du film. Au Centre Culturel Coréen, nous avions discuté. Elle m’a reçue chez elle pour un entretien chaleureux et marquant. Un journaliste faisait remarquer à Davy Chou que Freddie n’était pas un « personnage sympathique ». En la rencontrant, j’ai ressenti force et détermination, mais aussi profondeur et de douceur, dans sa voix et son regard. Partons à sa rencontre.

Affiche du film Retour à Séoul à l'Escurial. © Les films du losange

Affiche du film Retour à Séoul. © Les films du losange


Toutes les vies de Laure Badufle :

Une petite fille venue de Corée

Laure est née le 30 juillet 1984 à Jinju. Elle arrive en France à treize mois et rencontre ses parents adoptifs à Orly le 5 septembre 1985. Elle admire cette volonté sans faille : remplir un dossier d’adoption, accomplir des démarches, espérer, animé par le désir d’aimer. Laure a grandi dans un village du nord de la France, et coulé des jours heureux. Neuf ans après, sa famille accueille sa petite sœur venue de Corée du Sud.

Dès l’âge de sept ans, sa famille lui explique qu’elle a été adoptée. À l’adolescence, elle est en quête d’identité et explique qu’il lui a fallu dix ans pour rencontrer ses parents coréens, et comprendre pourquoi elle avait été abandonnée. À 23 ans, elle retourne vivre en Corée du Sud et rencontre son père biologique. Comme dans le film, la colère s’empare d’elle, face à lui rongé par sa culpabilité. Laure rencontre sa maman biologique à Masan en 2009. Après leur rendez-vous, elles ne se reverront plus.

Laure explique que « pendant les vingt premières années de ma vie, j’ai tout fait pour m’intégrer selon les modèles de réussite à la française transmis par mon éducation et mon environnement. J’ai suivi : conservatoire, classes prépa et grandes écoles et intégré les multinationales ». Laure rencontre des difficultés à trouver sa place. « Il m’a fallu beaucoup de temps pour digérer cette expérience, accepter mon histoire et intégrer ces deux parties de mon identité pour vivre pleinement qui je suis. »

Une porte-parole des adoptés

Laure rejoint en 2021 La voix des adoptés (VDA) comme chroniqueuse pour la webradio de l’association. La VDA est un espace pluridisciplinaire où sont organisés des événements de rencontres et de discussions pour adoptés et adoptants. Laure a invité les auditeurs à rejoindre la webradio R-VDA et animé une discussion sur Couleur de peau, miel, film sorti en 2012 et réalisé par Laurent Bolileau et Jung-sik Jun. Aurait-elle imaginé inspirer un film ?

Laure est aussi active au sein de Global Overseas Adoptees 'Link (G.O.A.'L), de l’IKAA (International Korean Adoptee Associations) et de Racines Coréennes.

Laure et Céline Ristors, présidente de Racines Coréennes. © Nathalie Fisz

Laure et Céline Ristors, présidente de Racines Coréennes. © Nathalie Fisz


Une professeure de yoga qui a conçu un programme personnalisé

« À la suite de ma rencontre avec le yoga il y a huit ans, j’ai commencé à me reconnecter avec mon identité et à me réapproprier mon histoire. Le programme Adoption Mastermind, que j’ai conçu spécialement pour les adoptés et les adoptants, rassemble tous les outils du yoga et d’autres enseignements qui m’ont aidée à trouver ma véritable identité, à me sentir en sécurité à l’intérieur, à faire confiance aux autres et à trouver ma place dans ce monde », me confie Laure.

Le programme Adoption Mastermind. © Laure Badufle

Le programme Adoption Mastermind. © Laure Badufle


Laure est certifiée par la Fédération française de yoga Kundalini qui signifie force psychique en sanskrit, et obtenu le diplôme RYT500 en 2021. Elle est certifiée aux thérapies cognitives comportementales, dont la communication non-violente, à la programmation neurolinguistique, et à la technique de libération émotionnelle. Laure donne des cours de yoga depuis 2016 auprès d’un public généraliste, et depuis 2020 au sein de Racines Coréennes. Dans Retour à Séoul, Freddie danse de façon saccadée et libre comme elle était « habitée ». Laure souligne que « si on ne peut pas se souvenir de tout avec des mots ou des souvenirs, le corps, lui, a sa mémoire ».

Laure a inspiré Davy Chou pour Retour à Séoul

Le film est basé sur son histoire personnelle. Elle a collaboré à l’écriture du scénario du film. Freddie, la vingtaine, débarque sur un coup de tête à Séoul pour rencontrer ses parents biologiques. Devant rester quinze jours, elle y passera dix ans. Davy Chou, réalisateur français d’origine cambodgienne, trace le portrait d’une jeune femme aux multiples facettes. Freddie est interprétée par Park Ji-min, artiste plasticienne et actrice remarquée à Cannes. Dans la vie, c’est Laure. La complicité entre Davy Chou, Laure et Park Jimin donne ce ton unique au film.

Park Jimin dans une scène de Retour à Séoul. © Les films du losange

Park Jimin dans une scène de Retour à Séoul. © Les films du losange


Laure dit qu’elle attendait avec curiosité les réactions du public lors de la projection du film en Corée du Sud en octobre 2022, à l’occasion du Festival international du film de Busan (BIFF). Ce sujet était, à ses yeux, sensible. Le film a été projeté au Festival de Cannes. Laure est partie avec l’équipe du film. Ils ont assisté à la première, au côté du jury de la sélection Un certain regard.

L'équipe de Retour à Séoul au Festival de Cannes. © Laure Badufle

L'équipe de Retour à Séoul au Festival de Cannes. © Laure Badufle


Le film est sorti en salle dans une trentaine de pays. Laure a organisé des projections suivies de débats auprès de publics adoptés et adoptants en France (Bordeaux, Besançon, Nantes et Paris), aux Pays-Bas (Utrecht), en Allemagne (Berlin) et en ligne en Suède. Le film a été présenté aux États-Unis et nommé aux Oscars 2023.

Projection du film à Utrecht aux Pays-Bas. © Laure Badufle

Projection du film à Utrecht aux Pays-Bas. © Laure Badufle


« J’espère que les parents biologiques, et toute personne impliquée dans l’abandon d’un enfant, comprendront combien il est important pour nous adoptés de connaître la vérité à propos de notre abandon, pour que nous puissions faire la paix avec notre histoire.

J’espère aussi que les parents adoptifs, et toute personne impliquée dans l’adoption d’un enfant, comprendront la complexité des sentiments que nous pouvons traverser, et s'autoriseront, et nous autoriserons à ressentir ces émotions, tout en se sentant rassurés par rapport à nos liens d’attachement.

J’espère que nous, adoptés et quiconque pouvant s’identifier, cultiverons acceptation, sécurité et confiance envers nous-mêmes et les autres et que nous nous autoriserons à être auto-existants, indépendants et authentiques.

Merci Davy pour toute la foi et le courage que tu as eu pour mener à bien ce film et pour notre merveilleuse amitié », dit Laure.

Laure a créé le studio RAJAVTAR

Laure a créé en 2020 ce studio pluridisciplinaire dans le 17e arrondissement de Paris. Il est consacré au yoga, au coaching et à l’art. Laure souhaite que chacun puisse y trouver sa place. « Je vous accompagne individuellement pour vivre dans l’harmonie et l’abondance, à distance, ou au studio RAJAVTAR à Paris », dit-elle. On fait du yoga, du chant, de la musique. Laure est musicienne.

Laure au studio RAJAVTAR. © Nathalie Fisz

Laure au studio RAJAVTAR. © Nathalie Fisz


Laure mène des projets artistiques

Dans Retour à Séoul, il y a une scène où Freddie débarque dans un hôtel. Elle tente sans succès de contacter sa maman. Le cœur lourd, elle met au piano. Laure a étudié le piano classique au conservatoire. Laure a créé la ligne de vêtements RAJAVTAR WEAR, des vêtements aux lignes épurées et minimalistes conçus pour que chacun se sente à l’aise, et respire.

Laure portant une des créations de la ligne RAJAVTAR WEAR. © Laure Badufle

Laure portant une des créations de la ligne RAJAVTAR WEAR. © Laure Badufle


La ligne sera présentée à Paris, rue de l’Échaudée. Laure a pris une résidence d’artistes au Centquatre, lieu très artistique parisien.

Les chaussons des adoptés. © Nathalie Fisz

Les chaussons des adoptés. © Nathalie Fisz


Elle souhaite représenter les 200 000 adoptés coréens vivant à l’étranger en dessinant 200 paires de chaussures et ajouter le nom de naissance et les dates de naissance. Les dates d’adoption pourront être inscrites aussi. Le projet sera présenté à Séoul en juillet.

Laure m’a proposé très gentiment un thé et nous avons discuté.

« Le film reconstitue réellement mon histoire. Dans les années 1980 en Corée, il y a eu beaucoup d’adoptions. Les causes sont nombreuses. Il peut s’agir d’enfants dits illégitimes, car nés hors mariages, ou à l’occasion de mariages malheureux.

Les femmes qui élèvent seules un enfant supportent le regard de la société. Des institutions publiques comme la Holt, ou privées, comme Le rayon de soleil de l’enfant étranger ont géré des adoptions. La Convention de La Haye en 1990 a statué sur certains points, car 200 ou 300 000 bébés venus de la Corée vers la France au total sont concernés. L’adoption reste un traumatisme dont la première génération ne parle pas. Aujourd’hui la cause des adoptés est comme récupérée. Ils sont considérés comme des ambassadeurs.

Je suis arrivée en 1985 dans le nord de la France. Avec mes parents, on s’est tout de suite adorés. Dix ans après, ma petite sœur est arrivée de Corée. J’ai vécu à Toulouse et à Paris, ou j’ai intégré l’Essec et fait la connaissance de Davy. J’ai décidé de vivre un échange universitaire avec la Corée. Grâce à l’association Rayon de soleil de l’enfant étranger et au service Post Adoption du Holt en Corée, j’ai eu accès à tout. Mon père biologique avait laissé le livret de famille.

Je l’ai rencontré en 2008 à Jinju, avec une amie coréenne traductrice comme dans le film. En 2009, j’ai rencontré ma mère biologique qui m’a donné une adresse email qui n’était plus active, comme dans le film également. J’ai intégré la société MBDA (Airbus) qui fabrique des missiles. La société travaillait avec différents pays d’Asie, et je suis revenue en Corée. En 2011 à Busan, j’ai revu mon père biologique avec Davy. Je ne me reconnaissais ni dans les codes de la société en Europe et non plus en Corée.

En 2014, j’ai commencé le yoga et ai découvert le Kundalini à Londres. J’ai fait aussi de la psychothérapie. À travers le yoga, j’ai découvert la conscience, le courage, l’action juste. La culture Sik est une culture de courage. Avec le yoga, j’ai appris les valeurs des émotions, de la mémoire, de l’importance de se libérer. J’ai pratiqué des danses, comme le contact improvisation, les cinq rythmes et la danse extatique.

En 2017, j’étais à Abu Dhabi, et j’ai eu un grave accident en étant percutée par une voiture. J’ai évité la paralysie. J’ai écrit à Davy une soixante de pages en me confiant à lui de façon très personnelle. Nous avons revu mon père biologique.

2018 a été une année importante pour moi. Je suis rentrée en France, et ai commencé la peinture.

Arbre généalogique, par Laure. © Nathalie Fisz

Arbre généalogique, par Laure. © Nathalie Fisz


2020 a été aussi importante. J’ai fondé le studio RAJAVTAR et créé ma ligne de vêtements qui sont une extension du yoga. J’ai imaginé des vêtements ou tout le monde peut se sentir bien. Puis le casting de Retour à Séoul a commencé. Je me suis formée au coaching, à la programmation neurolinguistique et j’ai mis au point le programme Adoption Mastermind destiné aux adoptés. C’est un programme clef en mains qui leur permet de prendre leur place dans ce monde. »

J’indiquais à Laure que je trouvais que les personnes adoptées avaient une grande sensibilité artistique. Elle m’a répondu qu’aux États-Unis, on parlait des « hyphen Asians ».

Feel free to love, par Laure. © Laure Badufle

Feel free to love, par Laure. © Laure Badufle


J’ai été très heureuse de pouvoir passer ce moment avec Laure. J’ai pris des photos du studio, du piano et des aquarelles, dont les chaussures.

Ainsi Laure m’a ouvert sa porte et j’ai pu rentrer dans son univers. Je ne peux pas prétendre bien la connaître, mais en l’écoutant, je comprends que derrière la douceur de son regard qui se pose sur vous sans vous juger, mais pour vous accueillir, dans celle de sa voix, il y a une femme de convictions qui avance sur son chemin.

Un chemin, entre la Corée et la France. Un chemin solide où l’on peut l’accompagner, un chemin où peut-être, n’est-il plus nécessaire de choisir.

Liens :

https://www.linkedin.com/in/laure-badufle/
https://www.facebook.com/ReturntoSeoul
https://www.rajavtar.com/am
https://soundcloud.com/rajavtarmusic
https://www.youtube.com/channel/UCp4-2grb-IsqN3R2-ijWB3w

Interview réalisée en face-à-face avec Laure Badufle le 25 janvier 2023.


* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.

caudouin@korea.kr