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19.03.2024

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Par la journaliste honoraire de Korea.net Alicia Baca Mondéjar
de France, photos Amazon Prime, vidéo Festival international du film de Toronto

Synopsis

Une femme se rend avec son mari dans une ferme isolée et en faillite, pour attendre qu’une adolescente perturbée donne naissance à l’enfant qu’elle adoptera. Cette femme veut faire croire à tous ses amis que c'est elle qui a accouché.

Fiche technique

Réalisé par Albert Shin
Écrit par Albert Shin et Pearl Ball-Harding
Photographie : Moon Myeong-Hwan
Musique d'Alexandre Klinke
Date de sortie : 4 septembre 2014 (Festival international du film de Toronto)
Durée : 115 minutes
Pays : Canada
Langue : coréen

Distribution

Gil Hae-Yeon : Mère
Ahn Ji-Hye : Fille
Yoon Da-Gyeong : Femme

Une scène de « In Her Place ».

Une scène de « In Her Place ».


Impressions

Pour son deuxième film, le réalisateur choisit une histoire intimiste qui reflète trois points de vue différents : celui de la mère, de la jeune fille et de la femme. Sans prénoms, nous avons l'impression d'être en train de scruter par le trou d'une serrure anonyme. D'écouter les conversations qui circulent à droite et à gauche pendant que nous lézardons sur le sable de la mer. Selon le Toronto Star, le réalisateur explique avoir eu l'idée en écoutant un échange assez animé sur le sujet dans un café, à la table d'à côté. Le fait que nous ignorions les prénoms de ces trois femmes, crée une sensation d'universalité, de « cela pourrait arriver à n'importe qui » ou d'un événement tellement classique que l'histoire ne mérite pas de devenir unique en attribuant des prénoms.

Nous sommes en totale admiration quand un réalisateur et un scénariste sont capables de construire une histoire sans porter de jugement. Le film indien Kurbaan, réalisé par Rensil D'Silva et produit par Karan Johar sous Dharma, met un point d'honneur à décrire le pourquoi du comment des terroristes, sans porter de jugement. Avec des points de vue très extrémistes, chaque personnage exprime sa détresse avec un raisonnement qui tient absolument la route (à leurs yeux).

Dans le cas présent, trois femmes, trois générations, trois cas de figure qui évoluent chacun de leur côté, semblent regarder le tableau d'une façon très différente. Ces trois vies, ces trois vécus, n'ont pas d'autre choix que de s'entrechoquer tout en restant dans une position inébranlable. La plus âgée rêve de quitter sa ferme en faillite et voit cette occasion comme un nouveau départ prometteur. La femme venue de la ville rêve d'avoir un enfant, et tous les moyens sont bons. Sans pitié, elle couve cette adolescente complètement perturbée aux tendances autodestructrices, avec le même soin qu'un animal ferait avec son œuf. Et la jeune fille, complètement désorientée, ne pense qu'au père du bébé, et semble au-dessus de tout sentiment que la situation des deux autres femmes aurait pu générer.

Le film a été entièrement tourné en Corée, dans la ferme familiale de Shin, dans la province du Chungcheong du Sud. Ce décor esseulé d'une ferme qui tombe en ruine, envahie par les débris et une brume aussi pérenne que persistante, ajoute une tension froide et maussade, renfrognée. Ces trois femmes sont incapables de transpercer leur forte carapace. Le seul point en commun, en plus de l'endroit où elles se trouvent, est cette volonté de faire adopter un enfant sans que personne ne soit au courant de ses origines.

Une scène de « In Her Place ».

Une scène de « In Her Place ».


Qui d'entre nous ne s'est pas déjà posé des questions lorsque dans un drama les personnages ne veulent pas avouer être des orphelins ? Pourquoi sont-ils maltraités et mal vus par la société ? Les enfants abandonnés sont stigmatisés. Sans aucune lignée familiale et avec cet arrière-plan d'une naissance issue d'une relation hors mariage, ou d'autres relations « pas normales », ils subissent des discriminations tout le long de leur vie. In Her Place dénonce une société qui adopte dans la clandestinité pour éviter les conséquences. Il ne s'agit pas d'une accusation en bonne et due forme. Ici, on ne pointe pas du doigt. Comme pour Kurbaan, les faits sont exposés dans une totale neutralité. Sans jugement.

Nous tenons à préciser qu'il ne s'agit pas ici d'accuser un pays de tout et de rien. Quelle que soit la raison, n'importe quelle excuse est bonne pour pointer du doigt qui que ce soit, sur une planète qui ne pardonnera jamais la différence. Teo Yoo et Steven Yeun parlent de leur visage au sein du pays qui les a vu naître, de leur difficulté de trouver un rôle autre que livreur ou serveur. L'acteur sino-japonais Takeshi Kaneshiro a toujours été en proie du racisme à cause de son métissage. Les handicapés du monde entier qui revendiquent des mises aux normes et surtout de la reconnaissance en tant qu'êtres humains à part entière. La lutte des classes, des religions, du pouvoir. Des exterminations…

In Her Place est un film linéaire dont la tension et la curiosité nous captivera presque malgré nous. L'atmosphère, qui nous rappellera de loin cette ambiance d'isolement et de jeunesse paumée qui règne dans Burning, film du réalisateur Lee Chang-Dong épousera parfaitement l'attitude de ces trois femmes. Malgré leur silence, une gestuelle qui implique un « seule au monde », des regards dont il faut deviner le sens, nous suivons cette histoire sans prendre parti, presque comme des voyeuristes. Cette oppression est renforcée par un éclairage terne et par un bruitage discret mais qui ressort au milieu de ce silence pesant, le rendant encore plus flagrant.

Un ami pompier nous disait une fois que les pires des incendies étaient ceux que l'on croit éteints. Ils restent cachés à l'intérieur des poutres, guettant une victime qui ne se doute de rien. La tragédie arrive pendant le sommeil profond que les effluves soporifiques de la fumée provoquent. Ces trois femmes qui partagent la même maison vivent chacune dans leur propre planète, sans s'apercevoir de ce qui est vraiment en train d'arriver. La combustion s'accélère à l'insu de toutes les trois. Le drame s'annonce, la froideur que cette ferme dégage prend le dessus. Aucun sentiment, aucune émotion ne semble se dégager des adieux. Chacune a eu ce qu'elle voulait, même si l'objectif a pris un chemin insoupçonnable.

Il est très difficile de résumer son genre en le traitant seulement de film d'art et essai. De toute évidence, il prend exemple de ce cinéma coréen indépendant, qui expose un côté très noir de la société. Qui hurle dans une volonté vitale d'être reconnu. Ce psychodrame pourrait être qualifié de thriller. Même si l'incident ne dépasse presque pas les murs de la ferme, l'intrigue coule autour de ces trois femmes, comme le courant d'une rivière pourrait le faire avec trois rochers apparents. Mais c'est cet aspect existentiel qui le rend fascinant, le détachant de toutes étiquettes et du sens étriqué que cela peut comporter.


* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée à travers Korea.net.

caudouin@korea.kr