Journalistes honoraires

05.06.2024

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Par la journaliste honoraire de Korea.net Emmanuelle Fourneyron

Nan Müller, 45 ans, est une artiste plasticienne française. Diplômée de l’École des Beaux-Arts de Versailles, elle a travaillé et exposé d’abord à Paris, avant de s’installer en 2019 à Bordeaux, en Nouvelle-Aquitaine, où elle prépare actuellement une nouvelle exposition. Ses œuvres empreintes de précision, de sensibilité, de profondeur et d’introspection autobiographique sont très largement inspirées par la Corée. Retour, en interview, sur cette rencontre des cultures, source d’une nouvelle créativité artistique !

Emmanuelle Fourneyron : Pourriez-vous retracer brièvement votre parcours artistique ainsi que votre « rencontre » avec la culture coréenne ?

Nan Müller : Je suis issue d’une famille liée à la scène théâtrale. Donc les arts et le spectacle ont d’une certaine manière toujours fait partie de ma vie. C’est une de mes premières sources d’inspiration. J’ai d’ailleurs démarré par des études en Arts du Spectacle, puis une licence en Archéologie et Histoire de l'art, avant de rejoindre l’École des Beaux-Arts de Versailles. Ces éléments marquent profondément mon travail artistique, qui est imprégné de références aux contes, mythes et légendes populaires. Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai aussi toujours été attirée dès l’enfance par les cultures asiatiques : j’étais amoureuse de Bruce Lee quand j’avais huit ans ! Plus tard, à l’école des Beaux-Arts de Versailles, une de mes professeurs était coréenne et beaucoup d’élèves venaient de Corée ou de Chine. Je me souviens d’ailleurs qu’à l’époque, en voyant leurs dessins, j’étais impressionnée : ils étaient techniquement parfaits ! Cette période de mes études a été décisive dans ma découverte des cultures asiatiques, pas seulement les arts plastiques, mais aussi les spectacles, la littérature et même les langues... J’ai commencé à apprendre le chinois et le coréen.

L’atelier de Nan Müller à Bordeaux. © Nan Müller

L’atelier de Nan Müller à Bordeaux. © Nan Müller


Qu’est-ce qui vous a attirée dans la peinture et plus largement dans la culture coréenne ?

Au départ, je crois que c’est le calme, la sérénité qui s’en dégage, le sentiment d’être un peu hors-du-temps, surtout dans les œuvres anciennes, les estampes… Je crois que cela faisait écho au processus-même de peinture, dans lequel on retrouve ce calme, cette lenteur. Je ne suis pas quelqu’un qui intellectualise les choses, je réagis à l’émotion et je me nourris de cette émotion pour travailler. Pendant mes études, j’ai découvert le travail d’artistes coréens contemporains, comme par exemple Lee Bae. Ce qui m’a frappée dans son approche, c’est la manière dont il explore. Il part de quelque chose qui l’a touché puis il l’explore encore et encore. Il est passé comme cela de l’encre au charbon : il a exploré la matière charbon comme support de sa création artistique. On retrouve de la sérénité dans ses œuvres, une forme de sobriété minimaliste : cet apaisement est intéressant. L’artiste coréenne Min Jung-Yeon fait aussi un travail magnifique qui me parle. Il y a de l’équilibre dans son approche, un travail lent de dessin, avec peu de couleur. Là aussi, on trouve de la sérénité. J’aime beaucoup aussi le travail de Lee Ufan. En fait, il y a beaucoup d’artistes coréens inspirants !

Et puis, il y a la musique ! Un jour à la radio, j’ai entendu la chanson Not Today des BTS… ce fut le coup de foudre immédiat ! C’était une période un peu de sombre de ma vie : cette chanson a eu une résonance particulière en moi ; elle m’a apporté l’énergie dont j’avais besoin. En plus, à l’époque, j’avais les cheveux roses comme Park Jimin (NDLR : un des membres du groupe BTS) ! L’univers des BTS est très riche, musicalement bien sûr mais aussi les textes qui comportent des messages, des jeux de mots… Ce sont des choses qu’on ne comprend bien que quand on connaît la langue, quand on rentre dans la culture. C’est un univers qui m’a envoyée vers d’autres aspects de la culture coréenne. Aussi grâce aux membres des BTS eux-mêmes, qui sont ouverts à plein de pratiques artistiques et en parlent régulièrement. Kim Namjoon (NDLR : alias RM, le leader du groupe BTS) par exemple m’a fait découvrir l’artiste Chung Chang Sup. il m’a fait découvrir les « moon jar », ces poteries traditionnelles coréennes. J’aime beaucoup la céramique. Les moon jar sont simples, sobres, magnifiques. Et le nom lui-même, en référence à la lune, fait écho à mon intérêt pour la mythologie. Kim Namjoon m’a fait découvrir un peu de la littérature coréenne aussi, car il parle souvent de ses lectures…

« Tumulte » de la série « Fleurs sauvages », encres, acrylique et crayon sur papier aquarelles Arches 56x76cm, 2023. © Nan Müller

« Tumulte » de la série « Fleurs sauvages », encres, acrylique et crayon sur papier aquarelles Arches 56x76cm, 2023. © Nan Müller


Comment cette influence coréenne se traduit-elle dans votre travail artistique ?

Elle se reflète un peu dans tout mon travail ! J’avais envie d’évoluer vers autre chose, j’étais dans une période de recherche. La K-Pop m’a apporté cette nouvelle inspiration dont j’avais besoin. Surtout l’album Indigo de RM, qui est à la source de deux séries d’encre sur papier. Avant, je faisais beaucoup de dessin au stylo ; j’ai évolué vers de nouvelles techniques. J’ai changé de gamme chromatique aussi… le noir, le blanc et bien sûr le bleu indigo se sont révélées comme des évidences ! J’ai toujours peint des masques, car cela fait partie de moi et de mon rapport au théâtre, aux contes. Mais les textes des BTS, notamment l’album Persona, ont renforcé cet élément-là aussi. C’est comme si leur musique, leurs paroles, faisaient écho avec ce que j’avais toujours été. L’architecture coréenne m’inspire également, notamment les motifs géométriques et colorés qu’on voit sur les temples et qu’on retrouve dans plusieurs de mes toiles récentes, comme des claustra. Je n’ai jamais eu la chance de pouvoir aller en Corée, alors je travaille à partir de photos. Et même ma signature d’artiste a évolué ! A vrai dire, avant j’avais beaucoup de mal à signer mes œuvres. Aujourd’hui, c’est une signature franche et visible, une sorte de cartouche inspirée des tampons coréens : j’appose mon sceau lorsque j’ai fini !

« Primordial » de la série « Me ? », huile sur toile 150x200cm, 2023. © Nan Müller

« Primordial » de la série « Me ? », huile sur toile 150x200cm, 2023. © Nan Müller


Vous avez évoqué deux séries particulièrement inspirées de l’album « Indigo » de RM et sur lesquelles vous préparez une exposition. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Effectivement, cet album Indigo, et plus généralement la personnalité de Kim Namjoon, ont été décisives dans mon travail de création ces dernières années. Il m’a aidé à chercher quelque chose de plus personnel. Je suis moins centrée sur mon parcours, mes compétences ; je me suis tournée vers ce que je suis moi, car c’est ce que j’ai ressenti comme étant le message principal de sa musique. J’ai réalisé deux séries, l’une qui s’intitule Fleurs sauvages, en écho direct avec un des titres de l’album Wild Flowers et l’autre qui s’appelle Me ?. À travers ces œuvres, j'explore les thèmes de la liberté, de l’épanouissement personnel et de la résilience, que j'ai perçus dans cet album et que j'ai souhaité m'approprier de manière personnelle. Pour moi, Wild Flowers évoque des fleurs sauvages qui poussent librement, suivant leur propre parcours naturel, souvent dans des lieux inattendus. Cette image reflète mon désir de me libérer des attentes et des pressions sociales pour vivre selon mes propres termes. Les fleurs sauvages symbolisent également la force et la résilience, car elles s'épanouissent dans des conditions difficiles et des environnements imprévisibles. Cette série de Fleurs Sauvages représente un voyage introspectif où j'explore mes pensées, émotions et expériences.

« Cœur brisé » de la série « Fleurs sauvages », encres, cire doré, acrylique et crayon sur papier aquarelles Arches 56x76cm, 2023. © Nan Müller

« Cœur brisé » de la série « Fleurs sauvages », encres, cire doré, acrylique et crayon sur papier aquarelles Arches 56x76cm, 2023. © Nan Müller


La chanson Still Life aussi m’a beaucoup interpelée, surtout parce que la traduction en français « nature morte » ne correspond pas, il me semble, à ce que Kim Namjoon a voulu véhiculer comme message autour d’une Still Life qui sous-entend littéralement qu’il reste quelque chose de vivant… Cette ambivalence des mots et des traductions m’a inspirée deux peintures qui se répondent l’une l’autre : l’une est une « vraie » nature morte, en l’occurrence une grenade éclatée ; l’autre est une Still Life, une graine de vie.

« Nature morte » de la série « Fleurs sauvages », encres, cire doré, acrylique et crayon sur papier aquarelles Arches 56x76cm, 2023. © Nan Müller

« Nature morte » de la série « Fleurs sauvages », encres, cire doré, acrylique et crayon sur papier aquarelles Arches 56x76cm, 2023. © Nan Müller


« Still Life » de la série « Fleurs sauvages », encres, sel, acrylique et crayon sur papier aquarelles Arches 56x76cm, 2023. © Nan Müller

« Still Life » de la série « Fleurs sauvages », encres, sel, acrylique et crayon sur papier aquarelles Arches 56x76cm, 2023. © Nan Müller


Aujourd’hui, je suis dans une période d’expérimentation que j’aime beaucoup. Je sors du 2-D, pour aller vers du volume. A partir de Fleurs sauvages, j’évolue vers une installation, une sculpture, toujours en papier, mais en 3-D. J’ai aussi en tête une nouvelle série qui s’intitulera Sept fleurs et qui seront reliées les unes aux autres. Et je crois que le nouvel album de RM Right Place, Wrong Person que je viens d’écouter va être pour moi une corne d’abondance ! Il est d’une richesse musicale épatante !

Votre rêve pour la suite ?

Avoir une exposition en Corée, ce serait le rêve, bien sûr. Mais surtout, j’aimerais que Kim Namjoon la voit ! Ce n’est pas juste un rêve de fan, parce que j’aime sa musique. C’est parce qu’en tant qu’artiste moi-même, je sais qu’on ne fait pas ça que pour soi. Je sais qu’on crée parce qu’on a quelque chose à dire au monde, parce qu’on a envie que les gens entendent ce qu’on a à dire. Je pense qu’en tant qu’artiste, savoir que ton message a pu susciter de l’inspiration à d’autres artistes, cela doit faire du bien ! Ce qu’il dit me touche beaucoup : ne plus savoir qui il est à cause de ses responsabilités, ni quel artiste il est… alors que sa musique, son humanité, sa personnalité sont si inspirantes ! J’aimerais que l’artiste que j’aime sache qu’il a inspiré l’artiste que je suis.

Les œuvres de Nan Müller sont visibles sur son site Internet et sur son compte Instagram.


* Présents partout à travers le monde, les journalistes honoraires de Korea.net ont pour mission de faire connaître et partager leur passion de la Corée et de la culture coréenne au plus grand nombre.

caudouin@korea.kr