Étranger


Les acteurs pionniers du cinéma coréen

Par CHA Yejin
Maître de conférences à l’INALCO

Les acteurs pionniers du cinéma coréen

Les acteurs pionniers du cinéma coréen

Photo du tournage du film Arirang (1926) de Na Un-gyu, avec les deux protagonistes principaux : Na Un-gyu en bas au centre (enlassant un enfant) et Sin Il-seon juste à gauche de la caméra (mains posées sur les épaules d’une adolescente).


Sin Il-seon, « la bien-aimée de la Corée »

Un jour d’hiver, en 1926, un journaliste du quotidien Jungoe ilbo se rend chez l’actrice Sin Il-seon (1912-1990), en vue de préparer son récit de visite qui paraîtra dans le cadre de la série d’articles « Famille d’un artiste ». Au même titre qu’un peintre, un poète, un écrivain, un illustrateur et deux pianistes (dont une femme), la jeune fille de quatorze ans y figure, grâce à la popularité qu’elle vient d’acquérir en incarnant l’héroïne du film Arirang (1926), sorti deux mois auparavant. Dans son récit, le journaliste décrit soigneusement l’apparence et l’attitude de la vedette qu’il désigne comme « la bien- aimée de la Corée (Joseon-ui ae’in) ». Son « visage si beau », son « sourire mignon » et son « air timide » sont particulièrement soulignés, si bien que l’ensemble renvoie à l’allure de son personnage – la jeune sœur, pure et vertueuse, du héros d’Arirang interprété par le réalisateur lui-même, Na Un-gyu (1902-1937) [1].

Ce film marque en effet le premier grand succès dans l’Histoire du cinéma coréen. Si des projections cinématographiques payantes commencent à s’organiser à Séoul dès l’aube du XXe siècle, et ce en même temps que la naissance des salles de spectacle en Corée, ce sont surtout des productions venant des États-Unis ou d’Europe qui y sont projetées. Les premiers longs-métrages de fiction fabriqués par les Coréens apparaissent vers 1923, sous la domination coloniale japonaise (1910-1945). Contrairement aux salles « japonaises » destinées aux colons, les salles visant le public coréen n’ont pas vocation à projeter des films produits en métropole (et ce, au moins jusqu’en 1934 où la projection d’œuvres japonaises devient obligatoire pour tous les exploitants de cinéma) : c’est le cinéma hollywoodien qui domine les écrans avec ses premières grandes stars telles que Charlie Chaplin. Au cours de la seconde moitié des années 1920, avec l’expansion du phénomène des stars (originaire d’Hollywood) ainsi que l’apparition de films coréens appelés alors « Joseon yeonghwa », les journaux et les magazines se mettent à publier de plus en plus d’articles consacrés au cinéma.

Aussi, via la presse, les vedettes coréennes – souvent désignées « seuta (anglicisme issu du mot star) » – se voient accorder un espace de paroles et d’images particulièrement éclairé, pour à la fois attirer l’attention des lecteurs-spectateurs et répondre à leurs attentes et curiosités. Leurs goûts et loisirs faisant partie des thématiques fréquemment traitées, surtout dans les années 1930, ces vedettes sont invitées à mentionner leurs fruits, gâteaux, couleurs ou romans préférés de même que les instruments de musique dont ils savent jouer, entre autres choses. Les termes comme « chocolat » ou « piano », évoqués dans ce type d’échanges, renvoient d’ailleurs à l’atmosphère de l’époque où le « moderne » est activement consommé, ordinairement entendu comme « occidental ». Les journalistes tendent en outre à décortiquer l’intimité de leurs invités, par le biais de questions liées à la famille, à l’amour ou au mariage. Quitte à les mettre quelque peu mal à l’aise, ils leur demandent de raconter en détail des anecdotes vécues, qui découlent de leurs relations sentimentales passées ou présentes. L’intérêt du public pour la vie privée des vedettes et son désir de découvrir la « vraie personne » derrière celles-ci, alimentés et amplifiés par la presse, rejoignent en fait les caractéristiques du phénomène des stars étudié par Edgar Morin [2].

Or, l’expérience d’être « seuta » que vivent les acteurs coréens de l’époque n’a pas les mêmes traits de caractère que celle des stars hollywoodiennes. Loin des normes du comportement de ces dernières, ils n’hésitent pas, malgré leur notoriété, à adopter une attitude de « fan » envers leurs homologues occidentaux qu’ils admirent. Ils se montrent fascinés aussi bien par la beauté physique de leurs idoles que par le jeu de celles-ci. Les stars internationales de l’époque servent de références artistiques et techniques à ces Coréens du métier, qui sont en train de défricher le terrain dans leur pays et qui se présentent comme d’« humbles novices ». Leur modestie presque coutumière ne les empêche pas pour autant d’exprimer leurs frustrations amères quant aux mauvaises conditions matérielles de travail qu’ils endurent en ces premiers temps du cinéma coréen.


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