Par Bastian MEIRESONNE
Ancien directeur artistique du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul
Les grands réalisateurs coréens
Shin Sang-ok © Entertainment Pictures / Alamy Stock Photo
Bong Joon-ho, Park Chan-wook, Lee Chang-dong… Parasite, Old Boy, Le Dernier Train pour Busan… Autant de noms de réalisateurs et de titres de films connus mondialement. C’est évidemment l’arbre qui cache la forêt avec des milliers de films tournés au cours des dernières décennies, qui ont pour beaucoup inspiré – si ce n’est directement influencé – les chefs-d’œuvre du présent. Cet article passe en revue quelques-uns des noms parmi les plus importants de l’Histoire du cinéma coréen.
À l’origine
Le cinéma coréen naît sous occupation japonaise. Largement financé par des capitaux nippons, il sert d’abord d’instrument de propagande. Comment définir dans ces conditions « le père de tous les réalisateurs » ? Même la désignation du premier long-métrage coréen fait débat aujourd’hui encore. Pendant un temps, des chercheurs avaient désigné Loyal Revenge (Kim Do-san, 1919) comme le premier ; mais il s’agissait en réalité d’un « kino-drama », succession d’images projetées en arrière-plan d’une scène, sur laquelle des acteurs interprétaient l’intrigue en direct. Ce fut ensuite le film de propagande Promesse d’amour sous la lune (Yun Paeng-nam, 1923), financé par des capitaux japonais, qui se vit qualifier de tout premier long-métrage de l’histoire du cinéma coréen… jusqu’à ce qu’une équipe de chercheurs prouve, en 1993, que le coréen National Borders (Kim Do-san, 1923) était sorti deux mois avant son concurrent – mais retiré des affiches par l’occupant japonais après une seule journée d’exploitation.
Quoiqu’il en soit, le premier film d’importance est sans nul doute Arirang (1926, aujourd’hui perdu) de l’acteur, scénariste et réalisateur Na Un-gyu (1902-1937). Relatant l’histoire d’un étudiant qui cherche à se venger d’un riche propriétaire pour le viol de sa petite amie, l’oeuvre évoque moins, dans le regard des spectateurs, une lutte de classes que l’expression de leur ressentiment envers l’occupant. Si le film échappe à la censure, c’est parce qu’aucun Japonais n’y occupe un rôle de méchant et parce que le viol s’explique finalement par le dérangement psychique de l’étudiant. Le film touche la fibre patriotique des spectateurs de l’époque et devient un immense succès populaire, frayant la voie à d’autres productions nationalistes coréennes entre 1926 et 1932, telles que celles réalisées par les membres d’un collectif sous influence communiste : l’Association des écrivains et artistes prolétariens. Le durcissement des contrôles par l’occupant japonais au moment de l’avènement du parlant met un terme à cet éphémère âge d’or. Na réalisera un total de 15 films, tous perdus à ce jour, avant de mourir prématurément à l’âge de 34 ans.
Hommes de feu
Le premier nom d’importance qui émerge en Corée de la prolifique décennie 1950-60 est assurément celui de Shin Sang-ok (1925-2006). Assistant sur Viva Freedom ! (Choi In-kyu, 1946), premier long-métrage tourné après l’indépendance de la Corée, il débute sa carrière par la réalisation de films surtout historiques. Son Flower of Hell (1958), boudé par les critiques de l’époque, est aujourd’hui considéré comme un classique du cinéma coréen. A College Woman’s Confess (1958) sera, quant à lui, le premier d’une longue série de mélodrames à succès, parmi lesquels : Le Locataire et ma mère (1961) et L’Arche de chasteté (1962). Réalisateur immensément populaire, Shin contribue également à l’âge d’or du cinéma coréen, produisant 300 titres en dix ans, production abondante qui lui vaut le surnom de « Prince du cinéma sud-coréen ». En 1978, il se fait kidnapper par le fils du dictateur Kim Il-sung qui l’oblige à travailler sur des productions nord-coréennes, parmi lesquelles Pulgarasi (1985), vague copie du Godzilla japonais. Parvenant à gagner les Etats-Unis en 1986, il y produit (et réalise) le 3e épisode de la franchise à succès Les Trois Ninjas sous le pseudo de Simon Sheen. Rentré en Corée dans les années 1990, il ne parviendra malheureusement plus à renouer avec le succès. Il sera toutefois récompensé de la plus haute distinction artistique, la « couronne d’or culturelle », le lendemain de son décès en 2006.
Moins classique sur le fond et la forme, Kim Ki-young (1919-1998) a débuté comme réalisateur de documentaires éducatifs américains avant de réaliser son premier long, Box of death (1955), à l’aide de chutes de pellicule. Après une série de mélodrames, il signe La Servante (1960), considéré comme le plus grand classique coréen de tous les temps. Cette histoire d’une gouvernante séductrice faisant exploser la cellule familiale de ses employeurs servira de trame à quatre autres de ses chefs-d’œuvre, La Femme de feu (1971), La Femme-Insecte (1972), La Femme de feu ’82 (1982) et Carnivore (1984). Evoluant en marge du système des studios - qui oblige les réalisateurs à enchaîner les films sans aucun droit de regard -, il s’attache au contraire à préserver son intégrité artistique en tournant un seul projet par an, et choisi par ses soins. Une volonté d’indépendance qui lui vaut d’être progressivement écarté de l’industrie au cours des années 1970 et 1980. Il fera cependant l’objet, contre toute attente, d’un véritable culte de la part de cinéphiles coréens dans les années 1990 et sera « redécouvert » à l’échelle internationale au travers d’une série de rétrospectives de ses films restaurés. Il ne profitera hélas pas longtemps de ce soudain regain d’intérêt, décédant tragiquement dans l’incendie de sa maison en 1998.
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