Étranger

D’abord, c’est la peau du grand tambour qui claque à toute allure. Puis une cloche en bois, en forme de poisson, et une autre en bronze. Enfin, le grand « beomjong » est sonné vingt-huit fois, et son bourdon puissant et paisible emplit doucement l’air qui circule entre les collines… Il est cinq heures du matin. Il fait nuit encore mais déjà, la journée commence pour les moines du temple Baekyangsa, en robe grise, et leur quinzaine de visiteurs en gilet et pantalon verts. Elle continuera par une heure de prière et de méditation, puis un petit-déjeuner copieux, le balayage - obligatoire ! - de la cour, une visite du temple, d’autres prières… Les plus téméraires iront jusqu’à accompagner les moines dans leurs centhuit prosternations vespérales. Français, Suisses, Hollandais, Américains, Israéliens et bien sûr Coréens, ils sont ainsi près de 360 000 (dont 13% d’étrangers) à se rendre chaque année dans un des nombreux temples bouddhiques de la péninsule et à en adopter le mode de vie l’espace de quelques jours. Marginal il y a peu encore, le séjour au temple est presque devenu désormais l’un des éléments incontournables d’un voyage en Corée, au même titre que Séjours au temple Le souffle de la tranquillité le barbecue, les palais royaux et les boîtes de nuit ! À tel point que le gouvernement coréen a mis en place le Templestay, un organisme dédié à la mise en relation des touristes et des temples qui souhaitent leur ouvrir leurs portes pour un peu plus qu’une visite guidée. Tout a commencé en 2002, lorsque la Corée accueillit la coupe du monde de football avec le Japon. L’idée était de fournir aux visiteurs étrangers des hébergements supplémentaires alors que le réseau hôtelier traditionnel était saturé. Sollicité par le gouvernement, l’ordre Jogye (le plus important des ordres bouddhistes coréens) a proposé d’en accueillir un certain nombre dans un temple particulièrement spacieux. Les touristes ont apprécié. Les moines aussi, et ainsi, quinze ans plus tard, plus de 120 temples accueillent aujourd’hui des visiteurs sous leur toit (26 d’entre eux sont dotés d’un accueil anglophone). Chacun ayant sa spécificité, plusieurs thématiques sont disponibles. À Séoul, on peut assister à une cérémonie du thé ou fabriquer des lanternes en papier ; à Golgulsa, pratiquer le Sunmudo, un art martial zen qui mélange yoga, qigong et méditation ; à Sinheungsa, ce sont les sentiers de montagne qui attendent le randonneur…

La seule vue sur le chapelet d’ermitages de Baekyangsa, perdu en plein coeur des collines boisées du Sud, vaut les trois heures de transport depuis Séoul. Mais la vraie star du lieu, c’est Jeong Kwan, nonne et cuisinière, qui a connu les feux de la rampe après qu’un documentaire lui a été consacré par la chaîne américaine Netflix. Amie des plus grands chefs français, comme Eric Ripert ou Alain Passard, elle est devenue une véritable ambassadrice de ce qui est désormais mondialement connu comme la « cuisine des temples » coréenne : une philosophie plus qu’une école de gastronomie, qui intègre tous les principes bouddhistes. Pas de viande ou de poisson ; on y cuisine au rythme des saisons les légumes du potager, en excluant certains ingrédients dont on juge qu’ils distraient de la méditation, comme l’ail, l’oignon, l’oignon sauvage, la ciboule et le poireau. La cuisine de Jeong Kwan est fleurie et créative. S’appuyant sur le poids du temps qui rythme la vie monastique, elle utilise des sauces de soja fermentées pendant des décennies, des essences de fruits vieilles de quatre ans. Tous les ingrédients proviennent de la nature environnante. Nombre de touristes ne cachent pas que c’est pour la voir qu’ils sont venus à Baekyangsa. « Nous faisons un séjour gastronomique en Corée, on est fan de Jeong Kwan, on voulait la voir avant de partir pour Jeju ! », racontent Melissa et Maarten, deux jeunes trentenaires membres de Slow Food aux Pays-Bas. Le mont Baekyangsan, dans la brume matinale, domine le temple et la vallée. © Kim Yun-young Jeong Kwan, star culinaire de la cuisine bouddhique. © Kim Yun-young “ “ Les séjours au temple, une parenthèse d’air pur et de sérénité, loin de la vie quotidienne et du rythme trépidant des grandes villes. D’ailleurs, la nonne a organisé une démonstration culinaire dans le cadre du Templestay, entre deux voyages à l’étranger pour promouvoir la cuisine bouddhique. « Pour moi, cuisiner, c’est aussi une forme de méditation ; on doit se fondre dans la nature pour savoir comment la préparer à table », explique Jeong Kwan devant une vingtaine de touristes salivant la bouche ouverte. Au menu ce soir, igname au sésame noir, pleurotes royaux mijotés au soja et aux sirops de fruits, racine de lotus braisée dans le jus de betterave, aubergines fondantes, broccolis, kimchi de feuilles de moutarde, concombre sauté, galettes à la courge et bien sûr la « doenjang guk », soupe à la pâte de soja fermentée qu’on déguste dans toutes les maisons coréennes.


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https://www.coree-culture.org/IMG/pdf/cc95-pp.pdf