Étranger

Par Francis MACOUIN, ancien conservateur général au Musée Guimet

Dans le cadre de nos conférences visant à mieux faire connaître en France la culture coréenne, Monsieur Francis Macouin avait donné, le 13 mai 2015, une remarquable conférence consacrée à l’imprimerie ancienne en Corée. Comme le sujet a beaucoup intéressé le public de notre Centre, nous avons également voulu proposer aux lecteurs de « Culture Coréenne », sous la forme d’un article, le résumé de cette présentation qui avait remporté un franc succès.


En Extrême-Orient, l’imprimerie ancienne de la Corée, c’est-à-dire antérieurement à l’introduction des techniques occidentales, en somme l’imprimerie jusqu’à la fin du XIXe siècle, présente des particularités notables. Cette technique, à savoir la reproduction mécanique de texte ou d’image, utilise plusieurs procédés dès les temps lointains. Dans ce bref exposé, ne sera évoquée que la reproduction à l’endroit d’un texte gravé à l’envers, soit la xylographie et la typographie, procédés anciens l’un et l’autre.

La xylographie, ou impression tabellaire, est la technique la plus ancienne, celle qui a été employée le plus longtemps et surtout le plus abondamment. Le principe consiste à écrire un texte à l’endroit sur une feuille de papier, à coller celle-ci à l’envers sur une planche de bois, puis à graver cette dernière de façon à dégager le texte. Pour l’impression, les parties saillantes sont encrées puis est étendue une feuille de papier qui est pressée au moyen d’un tampon (la presse n’existe pas encore) afin d’obtenir une impression à l’endroit. Cela permet de produire de nombreux exemplaires du même texte. La planche est habituellement gravée en relief pour imprimer en noir sur blanc, mais l’inverse est possible, entailler en creux pour imprimer en blanc sur noir. Cette méthode sert principalement à mettre en valeur quelques éléments.

La gravure sur bois présentait des avantages qui ont assuré sa suprématie durant des siècles en ExtrêmeOrient. La préparation des planches nécessitait un investissement initial important mais, ensuite, celles-ci étaient entreposées et les impressions pouvaient se faire sur une longue période ; le tirage à la demande se pratiquait. La facilité de la reproduction de livres existants constituait un autre avantage : soit en recopiant le texte avec imitation du livre d’origine, soit en faisant un facsimilé direct du livre car il suffit de regraver les feuilles d’origine. Il s’ensuit de cette situation qu’il peut être très difficile de distinguer les rééditions des éditions antérieures et qu’il est ardu de dater les exemplaires sans éléments extérieurs. Cela n’est pas anodin car il est aisé de retoucher les planches et le texte d’un tirage postérieur peut présenter des différences par rapport aux premières impressions.

L’origine de la xylographie n’est pas datée précisément. On admet généralement que la technique a dû apparaître en Chine à la fin du VIIe ou au début du VIIIe siècle. En relation avec cette époque, évoquons un document découvert en 1966 dans la pagode de Çakyamouni (Seokgatap) au monastère Bulguk près de Gyeongju. Il contient un texte bouddhique, le « Soutra des dharanis de la lumière pure et immaculée ». Le texte imprimé se présente sous la forme d’un rouleau d’une longueur totale de près de 6,5 m pour une hauteur de 6,5 cm environ. Le texte a été traduit en chinois en 704 et la pagode a été refondée en 751. Le document pourrait donc avoir été confectionné entre ces deux dates. Cette attribution au VIIIe siècle ne paraît nullement impossible puisque, entre 764 et 770, une impératrice du Japon a fait reproduire des textes de même nature, théoriquement à un million d’exemplaires (les Hyakumantō dhāranī « un million de pagodes et dharanis »). Néanmoins la datation n’est pas certaine et le dépôt du document dans une pagode du Silla ne prouve pas qu’il a été réalisé dans ce royaume.

Ce n’est que dans le Goryeo, au XIe siècle, qu’un imprimé indiscutablement daté et localisé dans la péninsule Coréenne apparaît. Ce « Soutra de la dharani du sceau du coffret précieux » porte la date de 1007 et il en survit trois exemplaires. L’imprimerie dans les premiers siècles de notre ère et longtemps ensuite fut fortement liée au bouddhisme, religion pour laquelle la diffusion de la doctrine par les textes est primordiale. Au royaume de Goryeo, le bouddhisme donna lieu à deux énormes productions en chinois, à savoir l’édition de tous les textes canoniques (reconnus comme faisant foi) dont la première version a été compilée en Chine. Ce Canon de la grande corbeille (Daejanggyeong) fut entièrement gravé par deux fois, au XIe siècle puis au XIIIe siècle.

On accordait au Bouddha un rôle de protecteur du royaume, aussi en 1010, au moment de l’invasion des Kitans, peuple du nord de la Chine, le roi Hyeonjong (1009-1031) fit le vœu d’imprimer un canon et l’entreprise commença dans les années suivantes. Après l’impulsion donnée par Hyeonjong, elle fut reprise par le roi Munjong (1046- 1083) et achevée, pour l’essentiel, en 1087. Au moment des invasions mongoles les planches se trouvaient au Buinsa, près de Daegu, et elles disparurent en 1232 dans l’incendie de ce monastère. Des livres imprimés sur ces planches ont survécu. Ils se présentent sous la forme de rouleaux d’une trentaine de centimètres de hauteur mais ils n’ont pas un aspect strictement identique. Cette première entreprise d’envergure fut prolongée par la compilation et l’édition d’un supplément de 1010 titres dû au bonze Uicheon (1055-1101), fils du roi Munjong.

Ayant à affronter les invasions mongoles, le roi Gojong, réfugié dans l’île de Ganghwa, fit le vœu de rééditer les Écritures bouddhiques après la destruction du Buinsa. Le travail dura de 1236 à 1251. L’ensemble réunit 1512 titres en 6791 volumes. Les planches à imprimer, actuellement plus de 81 000 planchettes d’environ 26 cm sur 72 cm, furent, en majorité, gravées des deux côtés de façon à imprimer des pages comprenant 23 lignes de 14 caractères. On déplaça les planches afin de les mettre à l’abri d’une possible incursion de pirates, et on les installa au Haeinsa du mont Gaya près de Daegu en 1399. Elles y sont entreposées depuis lors et, pour les sauvegarder, un double bâtiment spécial, bien aéré, a été reconstruit de 1481 à 1488.

La création de l’État du Joseon, en 1392, n’a pas affecté la prééminence de la xylographie qui a perduré jusqu’au XIXe siècle. Le nouvel État s’appuyait sur le néo-confucianisme auquel s’ajoutait une forte imprégnation de la culture chinoise classique. Pour la propagation de la nouvelle idéologie officielle il était important de diffuser les œuvres fondamentales du confucianisme par le livre et on publia de plus en plus d’ouvrages confucéens, sans que la production de livres bouddhiques ait été interrompue.

L’histoire de la xylographie durant toute la durée du royaume de Joseon mériterait un long développement mais il convient d’aborder l’apparition de la seconde technique d’imprimerie, la typographie. C’est l’impression par types, éléments indépendants de petite taille qui correspondent à un ou plusieurs caractères d’écriture, qu’on assemble pour former un texte et qu’on réutilise ensuite dans une autre combinaison.

On trouve la trace de cette technique en Chine au XIe siècle. Son usage au Goryeo est mentionné dès le milieu du XIIIe siècle dans des documents où l’expression « caractères fondus » est employée, ce qui sous-entend réalisés en métal et cela constitue une spécificité. Citons, parmi diverses preuves textuelles, un recueil d’hymnes bouddhiques, le Nammyeong Cheon hwasang song jeungdoga, reproduction par xylographie d’un imprimé réalisé en 1239 au moyen de « caractères fondus ».

Cette formule, accompagnée d’une date précise correspondant à 1377, apparaît aussi à la fin d’un livre actuellement conservé à la Bibliothèque nationale de France et intitulé Baegun hwasang chorok buljo jikji simche yojeol. C’est une compilation par le moine Baegun, d’enseignements de la secte seon, faite en 1372. La mention d’édition (le colophon) du seul volume survivant indique une impression dans une bonzerie, le Heungdeoksa, hors les murs de Cheongju, dont on a retrouvé les vestiges en 1985. Cet imprimé est aujourd’hui le plus ancien livre connu produit par la typographie métallique.

Sa date (1377) ne doit point surprendre : en ExtrêmeOrient à cette époque, la typographie était une technique connue, elle est attestée pour trois langues s’écrivant différemment. Ce qui est propre à la Corée est que l’avènement de la dynastie des Yi amena un développement considérable de cette technique, tant au moyen de types en métal que de types en bois.

Son emploi est mentionné dès les toutes premières années de la dynastie. D’abord sous la forme de types en bois comme en témoigne un brevet de nomination décerné à un certain Sim Jibaek et daté de 1397 ou encore l’édition du code des Ming (Daemyeong yul jikhae) qui fut tiré à 100 exemplaires par le « bureau des livres » (seojeogwon) en 1395. Rapidement le pouvoir royal donna une impulsion à la réalisation de caractères en métal.

Dès 1403, le roi Taejong institua au sein même du palais un « bureau de fonte de caractères » (jujaso) afin de confectionner des caractères d’imprimerie métalliques et de produire des livres par ce moyen. En dépit du coût de l’opération, financée par le trésor royal et des contributions privées, les fontes furent fabriquées cette même année ; cette dernière étant une année gyemi du cycle sexagésimal, les caractères typographiques furent appelés « caractères de [l’année] gyemi ».

Cette entreprise ne s’appuyant pas sur une solide tradition, il fallut trouver des réponses à maints problèmes techniques, lesquels ne furent pas tous parfaitement résolus : la taille et la forme des lettres, l’épaisseur de leurs traits étaient irrégulières. Surtout, l’agencement des caractères, pour composer une page dans une forme (une plaque métallique enduite de cire), demeura malaisé et instable. L’impression se faisait par frottage comme pour la xylographie mais la pression exercée lors de cette action provoquait des dérangements dans la forme et obligeait à des réajustements après l’impression de chaque feuille. Il s’ensuivait un rendement très faible, de l’ordre de quelques pages par jour.

C’est pourquoi le roi Sejong, poursuivant la politique de son père, décida en 1420, la confection d’une nouvelle police. Les caractères furent plus réguliers de façon à faciliter la composition et à diminuer la quantité de cire utilisée, laquelle finit par ne plus être nécessaire, le calage se faisant à l’aide d’éclisses de bambou. Alors qu’on ne pouvait tirer que quelques feuilles par jour avec les gyemija, il semble que le tirage pouvait être d’une vingtaine de feuilles avec les caractères de l’année gyeongja.

Afin d’améliorer la lisibilité des caractères fondus précédemment, le roi Sejong, en 1434, ordonna la fonte d’une nouvelle police dont une partie fut calligraphiée par le prince de Jinyang (roi Sejo, 1417-1468). L’écriture en était assez carrée et régulière, la graphie nette. La police comptait deux cent mille types, de grande et de petite taille. Ces nouveaux caractères, appelés gabinja, plus grands que ceux fondus précédemment, permettaient de composer des textes assez aérés. Leurs améliorations permirent de porter le tirage journalier à une quarantaine de feuilles. Leur style fut très apprécié et cinq fontes successives furent réalisées. Les polices fondues au XVIIIe siècle restèrent en service jusqu’au début du XXe siècle de sorte que le style des caractères de l’année gabin est le plus représentatif de la typographie coréenne.  

Examinons rapidement la fabrication des types. On réalisait d’abord des poinçons selon le même schéma que la gravure des planches (caractères à l’envers), puis, dans un récipient rempli de sable (ou de limon), on créait des empreintes en creux que venait remplir le métal en fusion. Durant le Joseon, on a fondu une trentaine de polices métalliques, principalement dans un alliage cuivreux mais on créa aussi des caractères en fer à la fin du XVIe siècle et en plomb en 1883.

Le musée national de Séoul conserve environ 400 000 types en métal fabriqués pour les besoins du palais et du gouvernement du XVIIe au XIXe siècle. Parmi ceux-ci, plus de 99% sont des caractères chinois. Dès que la nouvelle écriture alphabétique, aujourd’hui nommée hangeul, fut promulguée en 1446, on fondit des types adaptés et on les utilisa dans un premier livre imprimé en 1447. De la première fonte de 1447 à la dernière de 1895 une vingtaine de polices (6 en métal, 11 en bois, 3 mixtes) furent réalisées. Cependant, les types en hangeul ne servaient pas vraiment à imprimer des livres indépendants mais plus à fournir des compléments au texte en chinois.

La réalisation des fontes nécessitait une dépense importante. Elles étaient faites à l’initiative royale, pour un usage officiel, au palais ou dans les administrations centrales. Deux fontes seulement sont dues à des personnes privées. La typographie métallique n’a donc pas été d’un usage généralisé. Seuls les caractères en bois furent employés pour des publications privées comme pour un genre d’ouvrages qui s’est largement répandu à partir du XVIIIe siècle, les généalogies familiales (jokbo).

À l’époque du Joseon, les livres, en majorité, n’étaient pas produits à plus d’une centaine d’exemplaires. Les œuvres imprimées demeuraient rares et on les recopiait souvent à la main : le livre manuscrit est resté une réalité jusqu’au XIXe siècle. Bien des ouvrages réalisés étaient des publications officielles dont les exemplaires servaient à l’administration ou étaient offerts comme cadeau royal. Des dons finançaient souvent les publications privées et on trouve fréquemment la liste des donateurs à la fin des ouvrages. Ils pouvaient provenir d’institutions comme les instituts confucéens (seowon) ou les monastères bouddhiques. L’édition des écrits d’un lettré éminent était aussi privativement assurée par un descendant ou des disciples.

Un aspect important de l’édition coréenne a influé sur l’histoire de l’imprimerie : l’absence de publications commerciales dura longtemps. Une production de livres à des fins mercantiles n’apparaît vraiment qu’au tout début du XIXe siècle. Ses débuts sont modestes avec des livres populaires produits par xylographie, livres d’enseignement élémentaire ou romans en coréen…

L’apparition tardive de l’édition commerciale et sa production limitée, explique probablement le fait qu’on ne trouve pas de livres imprimés en couleurs. Cependant, l’illustration qu’il est facile de produire en xylographie existe dès les origines. En Corée, à quelques exceptions près, elle joua un rôle limité : illustrations en frontispice pour les livres bouddhiques, images dans des ouvrages techniques… Les livres à fort caractère moralisateur en sont pourvus comme le Oryun haengsil do, recueil de récits édifiants servant à la propagande confucéenne.

Bien que, à propos de l’imprimerie ancienne en Corée, on mette souvent en avant la typographie métallique, cette imprimerie ne se réduit pas à cette technique ni au seul emploi du métal pour cette technique. Elle fut mise au point précocement mais elle n’est pratiquement pas sortie d’un usage officiel à la capitale. Elle a produit des livres en nombre limité, à peu d’exemplaires, livres soignés sur beau papier au texte minutieusement corrigé, mais ainsi elle n’a jamais menacé la suprématie de l’imprimerie tabellaire.

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Revue Culture Coréenne Culture Coréenne

« Culture Coréenne », dont le premier numéro remonte à l’automne 1981, est une publication destinée au public français présentant les arts, l’histoire, les traditions, et d’une façon générale, les multiples facettes de la Corée et de sa culture.

https://www.coree-culture.org/-Printemps-Ete-2016-No92-.html