Par Charles Audouin
Alors qu’une pluie fine continue d’arroser le temple Baekyangsa, en une matinée fraîche du début de mai, les parapluies déposés près de l’entrée réservée aux visiteurs du grand sanctuaire retrouvent leurs propriétaires. La quinzaine de journalistes arrivés la veille au soir dans ce lieu situé à 300 kilomètres au sud-ouest de Séoul avait été accueillie par les lumières des lanternes colorées célébrant le 2 569e anniversaire de Bouddha.
Un séjour dans un temple coréen : une expérience originale et apaisante
Il y a presque un quart de siècle, à l’occasion de la Coupe du monde de football 2002, le gouvernement coréen et l’ordre bouddhiste Jogye lançaient cette initiative afin de palier au potentiel manque d’hébergements et avec l'intention de présenter la culture coréenne traditionnelle aux touristes étrangers. Le succès sera au rendez-vous : plus de six millions de personnes, dont 11 % de touristes étrangers (et 11 000 Français), séjourneront dans un temple coréen dans les deux décennies qui suivent.
Situé près de Jangseong, dans le Jeolla du Sud, le temple Baekyangsa est niché sur le flanc sud des monts Naejangsan, célèbres pour la beauté de leurs arbres en automne. Il a été fondé au VIIe siècle, alors que le bouddhisme arrivé de Chine se répandait en Corée. © Ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme
Le temple Baekyangsa offre un cadre particulièrement attrayant pour cette activité. Situé en plein cœur d'une vallée et encadré d'un pic montagneux, il est préservé de toute nuisance urbaine. Seuls se font entendre le ruissellement de l'eau qui coule, les feuilles des arbres qui dansent au gré du vent et le chant des oiseaux.
La géographie traditionnelle coréenne, pour qui les systèmes montagneux sont liés les uns aux autres de la même manière qu’un cours d’eau est continu, localise Baekyangsa à l’extrême sud de Baekdudaegan, une chaîne de montagnes qui s’étendrait du mont Baekdu, au nord, jusqu’au mont Jirisan, au sud. « On dit que de nombreux érudits de la dynastie Joseon sont originaires de la région de Baekyangsa, car toutes les énergies qui circulent sur Baekdudaegan s’y écoulent », explique Mugong, le moine responsable du temple, en sirotant une tasse de thé vert.
Les moines du temple Baekyangsa et un groupe de journalistes venus y passer la nuit participent à la prière du matin, le 3 mai 2025. Le sanctuaire principal, en bois, est décoré selon le style coloré du dancheong. © Ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme
Prière et méditation : la morning routine des moines bouddhistes
Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, la prière matinale débute à 4h20. Après s’être rassemblés à l’intérieur du sanctuaire principal, les moines s'assoient sur un grand coussin moelleux. Devant un grand Bouddha doré, c’est une véritable gymnastique religieuse qui prend forme : à genoux, puis debout, les mains jointes à la poitrine, ils s’agenouillent encore et posent leur front sur le sol, les mains vers l’avant de chaque côté de la tête. Au centre, un moine chante en frappant en rythmes saccadés le moktak, une cloche en bois. Les journalistes, eux, s’efforcent tant bien que mal de suivre le rythme.
Après une petite demi-heure de prière vient le temps de la méditation bouddhique. Dans un silence quasi total, chacun profite de ce moment pour faire le vide. Les visages des moines, comme ceux des journalistes, semblaient figés, mais apaisés.
Moins d’une heure plus tard, il sera temps de petit-déjeuner. Pas de lait, de pain ni de céréales, mais un buffet composé de riz, de soupe d’algues, et d’autres fruits et légumes de saison. Les seules règles : ne rien laisser dans son assiette, qu’il faudra laver avant de partir.
Dans le sens des aiguilles d'une montre : la salade de pousses de bambou, courgettes et poivrons, une assiette de champignons shiitake accompagnés d’une tranche d’igname de Corée, un verre de kombucha et le ragoût de doenjang. © Ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme
Autour de la table de Jeongkwan, nonne et maîtresse de la cuisine bouddhique
Vers 10h, le groupe rejoint Jeongkwan. Seule participante du documentaire Netflix
Chef’s Table, grâce auquel de nombreux chefs originaires du monde entier viennent à Baekyangsa pour découvrir son savoir-faire, elle est arrivée au temple il y a un demi-siècle. Sa cuisine est installée dans une grande pagode entourée d’arbres verts. Devant, plusieurs jardinières de laitue, de menthe et d’autres aromates sont alignées. Une douce odeur de terre fraîche s'échappait de ces pots encore humides de la bruine qui continuait de tomber.
Sur le plan de travail de la salle à manger, une ribambelle de légumes, d'aromates et de sauce attendaient d'être cuisinés. La cuisine bouddhique coréenne, en plus d'être locale et végane, se base sur les aliments fermentés et en particulier sur le jang, cette série de sauces (doenjang, ganjang, gochujang...) dont le goût doux et salé se renforce avec les années. Parmi les ingrédients du jour : pousses de bambou, tofu, concombres, courgettes, racines de lotus, champignons, légumes saumurés, herbes sauvages, mais aussi framboises d'orient, poudre de piment, sauce soja, vinaigre maison et bien sûr kimchi. Ail, oignon, ciboulette et poireau, pourtant centraux dans la cuisine coréenne, sont bannis à cause de leur goût âpre qu'ils laissent en bouche.
« Pour cuisiner, il est indispensable de connaître les ingrédients : savoir d’où ils viennent, si c’est le bon moment pour les consommer, s’il faut les blanchir, les faire bouillir, dans quelles quantités. Ce n’est qu’ensuite qu’il est possible de décider comment ils seront préparés et servis », explique Jeongkwan en découpant des morceaux de courgette avec une cuillère.
Jeongkwan, revêtue de sa tenue traditionnelle, s’apprête à réciter l’ogwange (les cinq strophes de la perspicacité), un chant psalmodié avant le repas. © Ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme
Deux heures plus tard, c'est l'heure de passer à table. Les plats composés par Jeongkwan sont parfumés, savoureux et uniques. Les arômes de chaque légume, chaque plante, chaque herbe se distinguent parfaitement les uns des autres. Le ragoût de doenjang, harmonieusement équilibré entre piquant des piments et douceur du bouillon, semble meilleur que n’importe quel autre en Corée.
Pour Jeongkwan, la nourriture doit s’échanger, se partager, se goûter, se ressentir. « La cuisine doit se rapprocher de la nature et de l’inyeon, cette connexion émotionnelle entre les individus », poursuit-elle autour d'une tasse de thé. « La nourriture, c’est comme un partenaire de vie. On peut vivre sans mari, sans femme, sans enfants. Mais pas sans nourriture. »
La voiture est le moyen de transport le plus pratique pour se rendre au temple Baekyangsa. Sortez de l'autoroute Honam via les sorties Bujusan ou Baegyangsa, puis empruntez la route nationale 1 pendant une vingtaine de minutes.
En train, vous pouvez descendre à la gare de Baegyangsa via les trains Mugunghwa ou à la gare de Jangseong via le KTX. En car, descendez à la gare routière de Jangseong. À partir de ces gares, il est possible d'utiliser les bus intercités. Taxi recommandé (entre 20 000 et 30 000 wons).
Plus d'informations sur le Temple Stay disponibles sur le site Internet du programme.
caudouin@korea.kr