Journalistes honoraires

29.10.2020

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Par la Journaliste Honoraire de Korea.net Pauline Maria de France, photos Capture d’écran du site Web BNF

Les relations entre la France et la Corée du Sud n’ont pas toujours été celles que l’on connait aujourd’hui. Une discorde avait débuté en 1975 après qu’un chercheur sud-coréen soit tombé par hasard sur des manuscrits coréens dans la section chinoises de la BNF (bibliothèque nationale de France). Ces manuscrits sont d’une valeur inestimable et sont complétement uniques, il recense en détail les prescriptions protocolaires, les cérémonies, la vie de la cour sous la dynastie Joseon, de 1392 à 1910. Ils comportent de très nombreuses calligraphies faites par les meilleurs calligraphes de l’époque, on parle de quasi 300 manuscrits qui n’ont aucun équivalent dans le monde (aucune copie disponible en Corée). C’est un patrimoine essentiel de l’histoire de la Corée qui n’avait aucunement sa place à la BNF. Ils font partie d’un ensemble de manuscrit appelés « 의궤 » d’environ 3 895 livres. Un manuscrit n’est pas équivalent à un Uigwe (의궤), un Uigwe présente un « thème », par exemple : Uigwe pour la construction du palais de l'Ouest (1831). On parle d’une partie de l’histoire essentielle de la culture coréenne, d’ailleurs, ces manuscrits sont inscrits au registre international Mémoire du monde de l'Unesco depuis 2007. Ces œuvres sont tellement importantes qu’elles ont eu un statut très particulier des autres œuvres qui font l’objet de différents entre la Corée et d’autres pays.

Ces trésors nationaux ont été pillés par la marine impériale de Napoléon III sous les ordres de l'amiral Roze en 1866, lors d’une expédition en Asie. Ils étaient conservés dans une bibliothèque située sur l'île de Ganghwa qui servait d’archive à la bibliothèque du palais Changdeokgung à Séoul. Cette intervention avait pour but de venger le massacre de neuf missionnaires français et de huit mille catholiques. Incapables d'accéder aux autorités, les troupes ont attaqué l'île de Ganghwa et ont saisi les livres royaux, ainsi qu'une grande quantité d'argenterie et d'autres artefacts royaux. Ils ont, au passage, détruit un grand nombre de livres présents en incendiant le bâtiment.






Cette histoire ne s’est pas résolue du jour au lendemain : la Corée fait une demande officielle de rapatriement en 1992. Un an plus tard, en 1993 la France ouvre une piste pour des négociations. François Mitterrand est alors président et propose un accord avec son homologue coréen Kim Young-sam sur la construction d’un TGV via une filiale d’Alstom en échange des manuscrits. Le président français était venu avec un exemplaire pour faire accepter plus facilement cet accord (enregistré sous le nom de « Coréen 2495 » à la BNF). Celui-ci a vu le jour en 2004, reliant les villes de Séoul et Busan appelé KTX. Cependant, personne en Corée n’a pu voir l’arrivée des autres livres, ils n’ont pas été rendu comme ce qui était promis par le président de l’époque. Cette « trahison » de la restitution des œuvres laisse un goût amer à la Corée.

S’en sont suivies de longues négociations. En 1999, une mission de médiation organisée par un conseillé de la Cour des Comptes pour essayer de trouver un accord avec la Corée. L’idée d’un « prêt croisé de longue durée » pour les manuscrits n'aboutira pas. En 2006, visite du Premier ministre coréen pour le 120ème anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays. Signature d’un accord avec la BNF (accès facilité à la BNF aux chercheurs coréens …).

En janvier 2007, une action avait été intentée par l’ONG sud-coréenne Munhwa Yondae (Solidarité culturelle) au tribunal administratif de Paris. Cette ONG demandait le retour des documents pillés par la France en Corée. Cette demande a été rejetée par le tribunal qui justifie son rejet par le fait que, étant conservés à la Bibliothèque nationale de France, ces manuscrits appartiennent à l’Etat français (qu’importe les conditions dans lesquelles elles ont été acquis). Cette décision du tribunal va à l’encontre de la promesse qu’avait faite François Mitterrand en 1993.






En 2008, la BNF remet aux autorités coréennes les formats numériques des manuscrits.

C’est en 2010 que cette discorde prend fin, en marge du G20 qui se déroulait à Séoul, Nicolas Sarkozy propose un accord pour ces manuscrits royaux. Cet accord comprend un prêt à long terme renouvelable tous les cinq ans. Les deux présidents présentent le 12 novembre 2010 cet accord considéré comme historique. Pourquoi tout simplement ne pas rendre ces manuscrits à la Corée ? Il existe une loi sur les collections du patrimoine en France. Celles-ci sont inaliénables et imprescriptibles : elles ne peuvent être vendues ni cédées, et, en cas de disparition ou de vol, la France peut les revendiquer sans limite de temps. Les gouvernements successifs ont préféré ne pas rendre les manuscrits par peur de voir de nombreux autres pays demander le rapatriement de leurs trésors nationaux (entre autres l’Egypte). Cette location à long terme, mais aussi précédemment l’accord de 1993, ont été une sorte de tour de passe-passe juridique pour éviter d’aller à l’encontre de cette loi. Le principe d’inaliénabilité date de 1556, instauré par le roi de France Charles IX pour les œuvres d’art des biens de la couronne, étendu au XIXème siècle à toutes les collections publiques.

La convention des Nations unies n’a pas le même discours : elle prévoit le retour permanent de tous les biens obtenus illégalement. Mais cette loi ne s’applique qu’après sa signature qui date de 1970.

Cette décision n’est pas bien passée auprès des conservateurs travaillant à la BNF, déjà en 1993 la décision du président avait fait du bruit. Cette décision met selon eux, en péril le patrimoine français. Ils auraient fait un travail important de conservation qui a permis la sauvegarde de ce patrimoine. Ils rappellent aussi qu’il existe d’autres copies de ces livres. Cette décision n’a été prise selon eux, que pour des enjeux géopolitiques. On peut cependant noter qu’il est possible de consulter ces ouvrages en ligne, le personnel de la BNF a numérisé tous ces manuscrits comme l’avait stipulé l’accord. Ils sont disponibles gratuitement en ligne.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84327354/f4.image.r=manuscrit%20cor%C3%A9en




En 2011, 297 volumes comprenant 191 Uigwe ont été renvoyés en Corée depuis la France, la France conservant officiellement la propriété des documents. Les relations diplomatiques entre les deux pays se sont par la suite détendues (année France-Corée, …). Les 297 exemplaires des Uigwes qui ont été restitués, sont conservés au Musée national de Corée. Une exposition spéciale, Le retour des Oegyujanggak Uigwe de France : Archives des rites d'État de la dynastie Joseon, a eu lieu du 19 juillet au 18 septembre 2011.

Le Japon a fait de même en août 2011, le Premier ministre japonais de l'époque, Naoto Kan, a annoncé le retour des Uigwe pour marquer le centenaire de l'annexion japonaise de la Corée. Ceux-ci ont été volés en 1922 pendant l’annexion de la Corée par le Japon. La Corée les demandait depuis 2008. Mais la remise de ces documents soulève de nombreuses questions sur le patrimoine français : existe-t-il un patrimoine du monde ? Ces documents doivent-ils être remis à la Corée du Sud alors que pendant la période Joseon la Corée était unifiée ? Que faire de toutes les œuvres du musée du quai Branly (beaucoup d’œuvres sont revendiquées par de nombreux pays, notamment des pays africains) ? Que faire des nombreuses œuvres pillées qui sont encore dans les musées français ? Aussi anodin que puisse être la remise de ces manuscrits, on trouve derrière de nombreuses questions importantes qui peuvent s’avérer lourdes de conséquences. La Corée du Sud estimait en 2008 l’existence de plus de 76 000 biens culturels coréens en dehors du pays dont 2 121 en France et plus de 34 300 au Japon.



* Cet article est rédigé par un journaliste honoraire de Korea.net. Notre groupe des journalistes honoraires est partout dans le monde, pour partager sa passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.


etoilejr@korea.kr