Mes dernières lectures de polars coréens ⓒ Danielle TARTARUGA
Par la Journaliste Honoraire de Korea.net Danielle TARTARUGA de France
J’aime la littérature coréenne, mais je n’avais aucune connaissance particulière sur le polar coréen ,or j’ai été invitée dernièrement par la responsable du fonds coréen de la librairie LE PHENIX à une visio-conférence sur ce thème. Le spécialiste présent pour l’occasion était Pierre BISIOU des Editions MATIN CALME. J’y ai appris beaucoup de choses et j’ai souhaité à l’issue de celle-ci, approfondir le sujet en m’entretenant avec lui et en vous proposant cet article, qui je l’espère vous donnera envie de franchir le pas tout comme moi et de vous laisser happer par ce genre de littérature si particulière et si excitante !
1. Les Editions Matin Calme ont été créées il n’y a que quelques mois, pourriez-vous nous expliquer ce qu’elles proposent et quelles sont leurs particularités ?
Notre maison d’édition a fait paraître son premier titre il y a un an, en janvier 2020, toute cette histoire est donc très récente. Avec Matin Calme, Irene Rondanini et moi-même faisons le choix d’une offre éditoriale simple et claire : nous publions des polars coréens. Éventuellement, il faudrait ajouter des polars coréens contemporains.
L’édition est déjà riche de nombreuses publications, nous ne nous serions pas lancés dans un projet de plus s’il n’avait eu un sens fort et, de fait, unique. Matin Calme est tout simplement la seule maison d’édition au monde spécialisée en polars coréens. Mais tout ceci évolue à grande vitesse et nous ne serons bientôt plus que la première, non la seule.
Affiche de la conférence Le Polar coréen par Pierre BISIOU ⓒ Librairie Le Phénix
2. Pourriez-vous nous parler de votre parcours et nous expliquer quelles sont les motivations qui sont à l’origine de la création des Éditions Matin Calme ?
Avant Matin Calme, il y a eu Le Serpent à Plumes, une maison d’édition généraliste que je dirigeais après en avoir été l’un des fondateurs il y a presque trente ans. Irene faisait également partie du Serpent à Plumes depuis cinq ans. Au Serpent à Plumes, nous avions déjà publié des auteurs coréens, très littéraires, en particulier Haïlji et la fabuleuse Han Kang (International Man Booker Prize pour son roman, La Végétarienne).
Par ailleurs, à titre personnel et bien que ne parlant pas coréen, j’avais été le co-traducteur de Mme Choi Kyungran pour un certain nombre d’ouvrages de littérature coréenne, dont quelques stars du polar à commencer par Kim Un-su (Le Placard, Les Planificateurs), Jeong You-jeong (Généalogie du mal) ou Kim Young-ha (Quiz show).
Un jour de 2018, je lis un article du Guardian qui annonce que la nouvelle vague du polar coréen vient prendre la suite du polar nordique. Les trois auteurs cités sont Kim Un-su, Jeong You-jeong et Kim Young-ha. Ceux-ci étaient alors disséminés chez plusieurs éditeurs en France, sans être forcément dans les rayons « policiers », nous avons compris qu’il était temps de leur offrir une véritable place.
Quand Le Serpent à Plumes a été fermé par le nouvel actionnaire lors de son rachat, nous avions donc déjà en tête cette collection de polars coréens. Désormais sans maison-mère, il ne nous restait qu’à sauter le pas et nous avons construit non plus une collection, mais cette maison d’édition, Matin Calme.
Logo des Editions MATIN CALME ⓒ Matin Calme
3. On entend de plus en plus parler du polar coréen, pourriez-vous nous retracer brièvement son histoire ?
Le polar coréen naît durant la guerre froide. C’est alors du « roman de gare », de la littérature jetable qui tourne souvent autour de thèmes tels que l’espionnage (entre les deux Corées), la trahison, etc.
Peu à peu s’ajoutent à cette production des romans écrits par des coréens admirateurs des grands maîtres européens, Conan Doyle ou Agatha Christie, Maurice Leblanc également. Mais là encore c’est une littérature marginale qui tient plus de l’exercice d’admiration.
Personnellement, je situe le nouveau polar coréen avec l’apparition de Kim Young-ha. Une nouvelle culture du thriller apparaît dans les années 1990/2000, qui correspond à la démocratisation du pays.
Dans un pays dont les citoyens ont conquis le droit de s’exprimer, le polar est la voie idéale pour explorer les zones sombres de la société. Ceci est toujours vrai aujourd’hui où le polar coréen dénonce l’enfance martyrisée, la puissance des « chaebol(s)* » avec son lot de corruption et d’impunité, et la maltraitance envers les femmes, notamment.
Auteur(e)s de polars coréens pour les Editions MATIN CALME ⓒ Danielle TARTARUGA
4. Quel est le parcours d’un polar, entre le moment où son écriture est achevée en Corée et sa mise en vente sur les sites de vos distributeurs et chez les libraires ? Et quels sont ces derniers ?
Nous avons fait le choix de coller au plus près à l’actualité littéraire coréenne, autant que faire se peut. Nous nous sommes donc organisés pour recevoir au plus tôt les parutions susceptibles d’intéresser notre public. Pour cela nous avons noué des contacts étroits avec plusieurs maisons d’éditions coréennes qui nous envoient leur programme dès qu’il est établi. Nous recevons d’eux des informations précoces, soit en coréen soit en anglais. Quand un texte attire notre attention, nous le demandons au plus vite pour le faire lire par nos lecteurs coréens. Kyungran Choi, avec qui je travaille depuis des années, fait également en amont un important travail de repérage et de sélection. Nous recevons enfin des propositions de la part d’un certain nombre d’agents, pour la plupart coréens.
Disons que c’est la partie éditoriale.
Quand nous avons choisi un livre et en avons acquis les droits, nous le mettons en traduction. Parallèlement commence le travail commercial. Nous travaillons en très étroite relation avec notre diffuseur-distributeur, Interforum. Très tôt le directeur des ventes est tenu informé de notre programme, puis ce sont les réunions bimestrielles avec les représentants. Ce sont eux qui sillonneront ensuite la France avec nos argumentaires et parfois les épreuves des livres, pour convaincre tous les libraires de l’intérêt de nos titres !
5. En quoi le polar coréen diffère-t-il des autres, selon vous ? A-t-il quelque chose de spécifique ? Et si oui, quelles en sont les raisons ?
Le polar coréen est jeune, mais extrêmement dynamique. Il est également très féminin (plus de la moitié de nos auteurs sont des autrices). Au fil de nos lectures, nous avons pointé certains traits spécifiques, mais qui ne sont en rien des lois. Par exemple, le polar coréen donne souvent la part belle à ses personnages et à ses scènes. Clairement, l’intrigue n’est pas le point essentiel, en revanche les scènes de combats ou de poursuites sont souvent magnifiques, complexes, longues à souhait, un régal !
Le grand, l’immense plaisir que nous fait le polar coréen, c’est de n’être pas formaté, de ne pas ressembler aux « modèles » étasuniens ou français ou scandinaves. Le polar coréen ouvre sa propre voie et nous surprend sans cesse.
Pierre BISIOU Directeur éditorial et fondateur avec Irene RONDANINI des Editions MATIN CALME ⓒ Pierre Bisiou
6. Si vous aviez cinq polars à nous conseiller, quels seraient-ils ? Attisez notre curiosité en dévoilant juste ce qu’il faut, des histoires qu’ils racontent.
Pour dire un mot des polars coréens publiés par d’autres éditeurs, vous pouvez découvrir Kim Young-ha chez Picquier, avec La mort à demi-mots, également chez Picquier la terrifiante Jeong You-jeong, avec sa Généalogie du mal. Récemment Rivages noir a publié Le Jardin, de l’excellente Pyun Hye-young.
Quant à notre production, impossible pour moi de choisir ! Sang chaud, de Kim Un-su, nous fait découvrir la mafia de Busan. L’adaptation au cinéma est bouclée, la sortie du film imminente. Bonne nuit maman, de Seo Mi-ae, ouvre une trilogie centrée sur une jeune fille, mettons, étrange. Le livre a été vendu dans une quinzaine de pays. Do Jinki avec son Portrait de la Traviata propose une sorte de Cluedo coréen. Et que dire des Carnets d’enquête du beau gosse nécromant ? Une géniale comédie policière sur fond de chamanes et d’escrocs ! Et encore Séoul copycat, thriller tortueux de Jung Jaehan, criminologue réputé de Séoul. Et Le jour du chien noir, où l’autrice, Song Si-woo s’interroge sur un mal « nouveau » en Corée, la dépression. Et enfin notre dernière parution, Parle-moi de ton crime, polar crépusculaire et glaçant, fascinant, du jeune Ban Si-yeon. Tous ces livres sont très différents, car nous veillons à montrer au public français toute la richesse du genre « polar » en Corée.
7. Quels sont les projets des Editions Matin Calme, pourriez-vous nous annoncer quelques « sorties » à venir ?
Nous publierons en 2021 une dizaine de nouveautés. Dès janvier vous pourrez découvrir notre nouveau coup de cœur, Eté, quelque part, des cadavres, premier roman de Park Yeon-seon, par ailleurs scénariste pour la télévision et le cinéma. C’est un roman totalement atypique, une enquête rurale menée par une jeune fille et sa mémé sur des crimes datant de quinze ans. Un ton drôlissime pour un fond âpre. Une pépite ! Puis en janvier nous espérons vous faire trembler avec L’Île du chamane, de la prolifique romancière Kim Jay : sur une île connue pour ses rites anciens, un profiler et un ethnographe de Séoul viennent aider la police locale aux prises avec de mystérieuses disparitions de femmes…
Puis viendront Le Placard, Insectes, Le procès des otages, #jetaime_Riah et tous les autres ! Vraiment, nous espérons que vous y trouverez votre bonheur.
Nous avons hâte de découvrir ces prochains polars coréens, pour ma part, je viens d’en dévorer trois en quelques jours et j’avoue que ce sont de bons moments d’évasion, qui vous glacent le sang !!! Suspense et frissons assurés, parfait en cette saison et pour nos longues soirées au coin du feu !
Merci à vous Pierre, mais également à Clémence, la Responsable du fonds coréen de la librairie Le Phénix et à Léa de « Léa Touch Book » (un blog littéraire) pour l’organisation et l’animation de ce type de conférences, qui permettent malgré la COVID de garder du lien social et de s’instruire. Et vive la lecture !
* Les chaebol(s) : (hangeul : 재벌 ) sont en Corée des ensembles d'entreprises, de domaines variés, entretenant entre elles des participations croisées. (source Wikipedia)
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* Cet article est rédigé par un journaliste honoraire de Korea.net. Notre groupe des journalistes honoraires est partout dans le monde, pour partager sa passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.
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