Par la Journaliste Honoraire de Korea.net Danielle TARTARUGA de France
L’engouement actuel pour la Corée est incroyable, il est presque démesuré, le monde entier est fasciné par le pays et la France n’est pas en reste ! J’entends régulièrement des personnes qui disent passer des nuits entières à regarder des dramas (ce qui me semble tout à fait déraisonnable), tous les sites de ventes de produits coréens en ligne s’emballent, les jeunes idéalisent complètement la vie en Corée et souhaitent pour beaucoup partir y étudier ou travailler, en un mot la vague Hallyu nous submerge ! Il faut y voir de bonnes choses bien sûr car le « soft power » de la Corée permet une ouverture aux autres, les contenus sont variés et souvent très intéressants, il crée des communautés, des échanges avec des passionnés du monde entier, il donne même de l’élan à certains, voire du dynamisme. Mais l’engouement actuel pour la Corée et sa culture ne cache-t-il pas autre chose ? Ne tombe-t-il pas à point nommé, au moment opportun où les populations mondiales, contrariées ces dernières années par toutes sortes de problèmes (dont la Covid), leur font perdre leurs repères et les installent dans une sorte de mélancolie généralisée ?
La Corée et sa Culture (dont l’offre est riche, variée et très structurée) n’offrirait-elle pas, en quelque sorte une échappatoire à la morosité ambiante ? …Un pays qui fait rêver !
Je me pose régulièrement la question.
Ce qui est sûr, c’est que de plus en plus de Français se passionnent pour le pays du matin calme et que la ruche Facebook (pour ne citer qu’elle) bourdonne intensément depuis deux ou trois ans ; ses petites abeilles façonnant chacune son alvéole pour pouvoir y loger « sa » Culture coréenne, glanée au fil des mois ! Les attentes sont énormes et les sujets variés (musique, cinéma, dramas, histoire, gastronomie, santé, nouvelles technologies, sports, architecture, économie, politique, mode, beauté, préservation de la planète…etc ). Le public se pose beaucoup de questions sur tous ces thèmes.
Heureusement, actuellement on trouve sur Internet de nombreuses informations sur la Corée, mais c’est loin d’être la panacée et beaucoup de gens ne trouvent pas de réponses à leurs multiples questions, ou sont déconnectés de la réalité (souvent inconsciemment). Alors, je souhaite dans cet article, vous présenter un nouvel ouvrage très complet, rédigé par Juliette Morillot, une des premières à avoir fait connaitre la Corée (Sud et Nord) en France. J’ai eu le plaisir de la rencontrer dernièrement pour qu’elle me parle de son dernier livre.
Elle va nous parler d’elle également, de son parcours atypique, de ses rencontres en Corée, de ses livres et de sa vision actuelle du pays.
Un pays qu’elle aime et qui connaît de profonds bouleversements. Elle les explique de façon détaillée et avec une grande lucidité dans ce nouveau livre « La Corée du Sud en 100 questions ». Un livre très complet comme vous allez le voir !
Juliette Morillot ⓒ Patrice Normand
1/ Bonjour Juliette Morillot vous avez longtemps vécu en Corée et parlez couramment coréen, pourriez-vous vous présenter aux lecteurs de Korea.net ?
J’ai appris pas mal de langues quand j’étais jeune car ma famille était très polyglotte. Autrefois dans les années 1970, il n’y avait pas internet et on avait des « correspondants » avec lesquels on échangeait des lettres. Parmi eux, j’écrivais à un jeune Coréen et c’est ainsi que j’ai commencé à apprendre le coréen. Ensuite, j’ai fait l’Inalco en langues slaves et asiatiques, puis suis partie faire ma thèse et vivre en Corée. Depuis, j’ai écrit plusieurs romans et livres sur la Corée, Nord et Sud. Mon premier roman racontait l’assassinat de la reine Min, « Le palais de la Colline aux Nuages » (Plon), le premier livre d’une sorte de trilogie de trois romans historiques sur la Corée.
2/ Pour quelles raisons, à une époque où peu de gens s’intéressaient à la Corée, ce pays vous a-t-il passionnée ?
Dans les années 1980 en coréen à l’Inalco nous n’étions que trois élèves et quatre professeurs, dont le très grand coréanologue André Fabre. Presque des cours particuliers ! Il m’a transmis sa passion. Ce qui m’a d’abord séduite en Corée, c’est que le pays était rebelle. Il a construit son identité par une résistance farouche de « crevette » contre les agressions étrangères, face à deux « baleines », la Chine et le Japon. La Corée m’a séduite car c’est un monde à part, une autre Asie loin des clichés, avec des racines chamaniques et linguistiques originales et aussi des habitants au tempérament très méditerranéen, expansifs et « violents » tout autant dans l’expression d’une poésie exacerbée que dans la manifestation des sentiments qui les fait se distinguer des autres Asiatiques, plus compassés ou retenus. A l’image de la nourriture : on passe du piment qui emporte la bouche à la délicatesse suave des racines de campanule et des noix de ginkgo... Même si aujourd’hui l’influence occidentale, surtout américaine, a peu à peu transformé tout cela ! La culture coréenne est un perpétuel bouillonnement de créativité. Aujourd’hui, le succès du cinéma, de la K-pop sont le témoin de cette extraordinaire pugnacité !
3/ Vous êtes allée à la rencontre du peuple coréen et notamment des femmes, des ouvrières, de vieilles dames qui vous ont enseigné des gestes traditionnels, pouvez-vous nous parler d’elles ?
Quand je suis arrivée pour la première fois en Corée au début des années 1980, j’ai refusé de fréquenter les étrangers, les Français. J’ai voulu découvrir la Corée différemment. La société coréenne est très hiérarchisée et je ne voulais pas voir le pays à travers le seul prisme de la couche sociale éduquée des professeurs, des étudiants, des professions intellectuelles... Je voulais plonger dans les tréfonds de la vie coréenne, pénétrer les familles, leur intimité. J’ai par exemple vécu dans des quartiers très pauvres, avec une cuisine commune, sans commodités, ni eau chaude... mais aller au bain public me permettait de rencontrer des femmes nues .... corps et âme ! A cette époque il n’y avait pas d’étrangers en Corée ; cette démarche était originale. J’ai découvert le quotidien des paysans du temps où on repiquait le riz à la main, celui des moines en servant d’interprète à un maitre zen, j’ai aussi partagé le dortoir d’ouvrières, ces gamines qui ont fait le miracle économique. J’ai écouté leurs rêves, leurs espoirs. J’ai habité au côté des lépreux et des laissés-pour-compte du miracle économique, vendeurs à la sauvette ou simples chauffeurs de bus. J’en ai tiré une connaissance très intime des gestes de la Corée d’hier, changer les briquettes de charbon pour l’ondol, recoudre les draps sur les couettes d’hiver, tendre du papier sur les fenêtres, laver à la rivière etc, et ainsi, à travers tous ces gestes, j’ai découvert et partagé l’humanité très profonde de ce peuple, sa résilience extrême, sa culture et sa mémoire de l’histoire inscrite dans sa chair.
« Hahoe : l'arbre à kaki, la lumière et la beauté des fruits dans l'arbre dénudé, la courbe des toits, il suffit de les regarder pour sentir l'air frais de Corée. C'est la beauté de la Corée et je souris en pensant à l'histoire du Tigre et du kaki séché... » ⓒ Juliette Morillot
4/ Je sais que parmi toutes ces rencontres, celle qui vous a probablement le plus marquée, est celle que vous avez eu avec une ancienne « femme de réconfort » qui s’est confiée à vous pour que cet épisode tragique de l’histoire de la Corée ne soit jamais oublié. Pourriez-vous nous parler un peu de cette rencontre et du livre « les orchidées rouges de Shanghai » ?
Cette vieille femme vendait des pommes, assise par terre dans la rue, et je lui achetais des fruits en bavardant avec elle chaque jour. Une étrangère qui parle coréen c’était rare à l’époque ! Peu avant mon retour en France, elle m’a invitée à boire un verre. Elle a bu. Beaucoup. Elle savait que j’étais écrivain. Et elle m’a raconté sa vie de femme de réconfort, sa vie d’esclave sexuelle pour l’armée nippone. Elle m’a montré les horribles cicatrices qu’elle avait encore sur le buste, tailladées à la pointe du sabre. Elle n’avait jamais parlé et a toujours refusé de se manifester auprès des associations de femmes de réconfort. Elle m’a fait confiance : parfois on se confie mieux à un inconnu ! Je l’ai revue plusieurs fois. Elle me notait tous les mots difficiles concernant la prostitution ou la guerre sur un carnet pour que j’enrichisse mon vocabulaire. Et j’ai écrit son histoire, non sans avoir mené des recherches poussées et rencontré aussi des soldats japonais pour comprendre « de l’intérieur » !
Quelques livres de Juliette Morillot, dont le dernier paru en avril 2022 « La Corée du Sud en 100 questions ». ⓒ Juliette Morillot
5/ Vous avez co-écrit avec Dorian Malovic deux livres permettant de faire découvrir aux lecteurs francophones la Corée du Nord, parmi lesquels "Le Monde selon Kim Jong-un" (Robert Laffont) pouvez-vous nous en reparler en quelques mots ?
Que dire ? Pour moi c’est incontestablement le même peuple, avec les mêmes réactions spontanées, les mêmes qualités ou travers. Malgré un régime diamétralement opposé, on ressent le même bouillonnement, la même intensité au Nord comme au Sud. On dit souvent que les Nord-Coréens sont difficiles à aborder, qu’ils ne parlent pas. J’ai noué des contacts avec les gens, leur ai adressé la parole sans problème particulier. Ils sont juste moins occidentalisés qu’au Sud et leur société est plus rigide. Ces codes plus stricts évoquent ceux de l’ancienne Corée, je les connais bien et comme j’ai étudié autrefois à Moscou du temps de l’URSS, j’ai acquis une certaine expérience de ce genre de société. En écrivant « La Corée du Sud en 100 questions », je me suis dit mille fois : c’est vraiment le même pays !
6/ Vous venez en effet de publier un nouveau livre, la « Corée du Sud en 100 questions ». Quelles ont été vos motivations pour l’écriture de cet ouvrage ? Est-ce que vous avez ressenti ces dernières années des changements profonds au sein de la société coréenne, qui vous ont poussée à écrire ?
Je regarde l’engouement actuel autour de la Corée : gastronomie, musique, cinéma, séries. De plus en plus de personnes vont en Corée, étudient le coréen. La Corée n’est plus une « belle inconnue », toutefois je vois bien, sur les réseaux sociaux ou dans les articles de presse, que souvent il manque des pièces du puzzle pour vraiment comprendre le pays ! J’ai voulu partager quarante ans d’expérience. Je suis très admirative de la force de la Corée et des Coréens, de leur incroyable résilience. La société a beaucoup évolué ces dernières années. Elle a grandi. Changé. En s’ouvrant au monde avec la mondialisation, en quittant sa position de repli, de « Royaume ermite » blessé, elle s’est un peu occidentalisée. L’irruption d’idées nouvelles (individualisme, position de la femme etc.) se heurte à des structures de pensée anciennes. La société d’aujourd’hui, la jeunesse surtout, est en souffrance car tiraillée entre une tradition qui l’étouffe (d’où le sous-titre de l’ouvrage : « la tyrannie de l’excellence ») et son besoin d’indépendance. Mais je fais confiance aux Coréens pour trouver une voie singulière qui leur soit propre. L’énergie qui les habite est admirable.
« Hahoe: près de l'arbre car j'y ressens l'âme et les esprits de Corée. Ce lieu est habité. » ⓒ Juliette Morillot
7/ Ce livre est structuré en plusieurs grands thèmes, qui chacun regroupe un nombre important de questions, pouvez-vous nous en dire plus sur l’organisation de cet ouvrage ? Et quelle a été votre méthodologie de travail ? (Classement chronologique très pertinent des questions, de telle sorte que l’on fait défiler l’histoire de la Corée jusqu’à nos jours. Comment avez-vous listé les questions ? correspondent-elles aux attentes d’un certain public précédemment sondé ou observé ?...etc)
Mon but dans ce livre est de donner des clés de compréhension. Et beaucoup sont à chercher dans l’histoire mouvementée de la péninsule, c’est pourquoi la partie historique est très fouillée. L’histoire ancienne, la colonisation, les traumatismes de la guerre, les années du miracle économique, la lutte pour la démocratie sont autant de périodes fondatrices. Bien assimiler ce qui s’est passé permet de mieux appréhender les fractures sociales et politiques contemporaines et de comprendre les leviers de la géopolitique dans cette partie du monde. Ensuite, j’ai voulu donner des clés de comportement afin de mieux se plonger dans la littérature, le cinéma, la culture et de saisir intimement le fonctionnement des Coréens, comprendre leur spiritualité et leurs interactions sociales si souvent entravées par le confucianisme. Et puis, la dernière partie du volume traite de la société contemporaine, de ses succès et de ses maux. C’est une partie sans complaisance, sans fard aucun. J’y fais souvent référence aux K-dramas qui eux aussi abordent les sujets tabous : violence du service militaire, suicides des jeunes, dette des ménages, maladies mentales, féminisme... Cette approche très lucide de la réalité coréenne est justement l’une des clés du succès des séries sud-coréennes. Ce livre permet d’aller plus loin et de décrypter tout autant des chansons comme « Dope » de BTS, que des séries comme « Squid Game », des films comme « Parasite » ou des romans comme « Kim Ji Young born 1982 »...
8/Sans dévoiler en détail le contenu du livre, quels sont les thèmes abordés ?
Il y a cent questions, ou plutôt cent réponses... Outre les sujets classiques (alphabet, imprimerie, colonisation japonaise etc.), j’aborde des points plus originaux : le chamanisme, la mafia coréenne, l’adoption internationale, la prostitution, l’homosexualité, le golf, les maladies mentales, la diaspora coréenne dans le monde, à Cuba, à Sakhaline, au Japon ou encore les Coréens à l’époque nazie... Qui sait qu’il y avait une fabrique de tofu à Berlin dans les années 1930 et que le marathonien « japonais » qui remporta une médaille d’or aux Jeux Olympiques de 1936 était en réalité coréen ? J’évoque aussi la société contemporaine, le traumatisme du naufrage du Sewol, l’exigence du système scolaire et social, le féminisme, mais aussi la montée de la rancœur des hommes qui se jugent humiliés par les femmes, le vieillissement de la société et bien sûr l’extraordinaire revanche sur l’histoire que représente le soft power du Hallyu, la vague coréenne, à travers culture, séries, K-pop...
Juliette Morillot à Dongdosa ⓒ Juliette Morillot
9/ Quels sont vos projets à venir ? Souhaitez-vous nous en parler ?
Sans doute un nouveau roman... Mon premier roman évoquait avec l’assassinat de la reine Min, la fin du royaume de Joseon, le deuxième abordait la période de la colonisation japonaise avec les femmes de réconfort, le troisième, « Les Larmes bleues », décrivait la vie des parias de la société dans les années 1970 à travers la vie d’une fillette née de parents lépreux sur l’île de Sorokdo. Maintenant je voudrais me pencher sur la Corée des années 1980-1990 que je connais bien. Quand j’enseignais à l’université nationale de Séoul, j’ai vécu en direct la lutte des étudiants pour la démocratie, j’ai respiré les gaz lacrymogènes au quotidien et admiré le courage de la jeunesse face aux assauts des forces de l’ordre. Cette histoire je veux la raconter...
Merci pour cette interview Juliette Morillot, et dans l’attente de votre prochain roman, nous espérons avoir le plaisir de vous retrouver régulièrement lors de visio-conférences pour partager avec nous votre passion et vos connaissances de la Corée et des Coréens !
Et pour ma part, je conseille vivement à toutes et à tous, la lecture du livre « La Corée du Sud en 100 questions », un livre essentiel à conserver en bonne place dans nos bibliothèques, à côté des « classiques » et des encyclopédies !
Informations complémentaires :
Se procurer le livre : https://www.tallandier.com/livre/la-coree-du-sud-en-100-questions/
Pour aller plus loin : https://asialyst.com/fr/auteur/juliette-morillot/
Page Facebook : https://www.facebook.com/morillotjuliette
Twitter : @julietmorillot
* Cet article est rédigé par un journaliste honoraire de Korea.net. Notre groupe des journalistes honoraires est partout dans le monde, pour partager sa passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.
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