Par la Journaliste Honoraire Shanshan Zhu de France, photos Jésus Castro-Ortega
En mai dernier, l’acteur sud-coréen Song Kang-ho recevait le Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes 2022 pour son rôle dans le film « Les bonnes étoiles » du japonais Hirokazu Kore-eda.
Déjà très célèbre en Corée du Sud avec une carrière cinématographique florissante depuis plus de 25 ans, la récompense cannoise n’est que la suite logique d’une trajectoire internationale propulsée par le succès mondial de « Parasite » de Bong Joon-ho.
Bien qu’ayant joué dans de nombreux rôles secondaires depuis les années 90 et obtenu de bonnes critiques médiatiques, Song Kang-ho a son premier rôle principal dans « Foul King » puis perce avec « Joint Security Area » en 2000 qui le place définitivement sur le podium des principaux acteurs de Corée du Sud.
Un avec un répertoire de jeu très riche, allant du tragique au comique, Song Kang-ho est un vrai caméléon : toujours juste, subtil et authentique. Rencontre avec cet acteur hors du commun à travers son amitié au long cours et insolite avec l’auteur-réalisateur Jésus Castro-Ortega.
Song Kang-ho & Castro sur le tournage de Snowpiercer - 2012
Comment et quand as-tu rencontré Song Kang-ho la première fois ?
C’était il y a précisément dix ans ! C’était à Prague, dans les studios de Barrandov où allait débuter le tournage de « Snowpiercer » de Bong Joon-ho. J’y étais en tant que réalisateur du making-of, et la plupart des acteurs du film étaient là pour découvrir le décor principal. J’étais vraiment impressionné par l’énergie et la bonne humeur que Song Kang Ho répandait déjà sur le plateau. Tout le monde, de Chris Evans à John Hurt, semblait absorber la joie de vivre de Song Kang-ho. Avec son sourire radieux, son rire tonitruant et communicatif, il a vraiment donné le ton dès le début du tournage. Pour tout dire, j’étais au départ bien plus intimidé par lui que par les autres comédiens car j’ai une grande admiration pour sa filmographie : « Joint Security Area », « Foul King », « Sympathy for Mr Vengeance », « Secret Sunshine », « Le Bon, la Brute et le Cinglé » et surtout « Memories of Murder », tant de ses films qui étaient déjà dans mon panthéon personnel ! Le découvrir là, dans son élément, entouré de ses complices (le réalisateur Bong Joon-ho, la comédienne Ko Asung), était pour moi un privilège inouï mais aussi une angoisse réelle. Fort heureusement, Song Kang-ho a su très vite se rendre disponible, à l’écoute, joyeux. Et ce malgré la barrière de la langue car il ne parle pas anglais !
Song Kang-ho, Park Hae-il & Castro - Cannes 2022
Tu viens de revoir Song Kang-ho au Festival de Cannes (mai 2022). Peux-tu nous dire à quelle occasion et dans quelles circonstances ?
Effectivement, j’ai eu la chance de revoir Song Kang-ho au Festival de Cannes cette année car il a eu la gentillesse de m’inviter à la première du film « Broker » (« Les bonnes étoiles » en français) de Hirokazu Kore-eda, dans lequel il tient un des rôles principaux. Même en étant sollicité de partout, et avec un emploi du temps plein à craquer, il est parvenu à me trouver une place pour la projection et une invitation pour la soirée qui réunissait toute l’équipe du film ! C’est vous dire le genre de personne qu’il est. Je trouve ça d’ailleurs toujours inouï de voir qu’il continue, malgré son succès international, de parler à un modeste réalisateur de documentaires comme moi. Ça me semble tellement irréel. Là-dessus, d’ailleurs, je trouve que Bong Joon-ho et Song Kang-ho se ressemblent beaucoup : malgré leur renommée, ils restent étonnamment accessibles, avenants, chaleureux.
Pour revenir à Song Kang-ho, j’avais également eu l’occasion de le voir lors du festival de Cannes 2021 car il était membre du jury et qu’il était venu présenter le film « Emergency Declaration », dans lequel il jouait. J’avais même pu faire une interview de lui dans le cadre d’un documentaire que je tourne sur Bong Joon-ho depuis un certain temps.
Tu as filmé Song Kang-ho plusieurs fois, notamment sur le tournage de « Snowpiercer » et pour un documentaire. Comment était ton rapport avec lui sur le plateau de « Snowpiercer » ?
Comme je l’ai dit, je n’ai que des bons souvenirs du tournage de « Snowpiercer » et en particulier de Song Kang-ho. Que ce soit sur ou en dehors du plateau, il rayonne toujours de cette énergie positive et chaleureuse. Ce qui m’a également impressionné c’est son professionnalisme. Une fois que la caméra tourne, il est immédiatement dans son personnage. Il est capable de passer d’un état à un autre en une fraction de seconde. Il sait d’instinct comment se placer par rapport à la caméra, comment entrer en symbiose avec les autres acteurs, comment occuper l’espace. Et ce n’est pas peu dire lorsqu’on tourne dans des décors aussi exigus que ceux de « Snowpiercer » ! Il a une sorte d’aisance naturelle, dans les scènes d’introspection comme dans les scènes plus physiques (il effectue lui-même ses cascades), qui rappelle les grands acteurs hollywoodiens comme Paul Newman, Steve McQueen ou Marlon Brando. Il est presque « félin » dans son approche du jeu. Dans l’observation et dans l’instinct.
Peux-tu nous partager des anecdotes sur un rôle incarné par Song Kang-ho ou sur l’homme qu’il est tel que tu le connais ?
Il y en a tellement ! Par exemple, la première scène qu’il avait tournée face à Chris Evans dans « Snowpiercer » était aussi celle où le personnage de Curtis (joué par Evans) découvrait celui de Namgoong Minsu (Song Kang-ho), enfermé dans un « caisson-prison ». Chris Evans était à fond dans son rôle, sérieux, ténébreux, et il n’a fallu que deux ou trois prises pour que Song Kang-ho le déride complètement. Même avec toute sa bonne volonté de faire « acteur sérieux et intense », Chris Evans a complètement craqué devant le jeu drôle, spontané et décalé de Song Kang-ho. Du coup, l’atmosphère s’est détendue et les deux acteurs se sont immédiatement entendus à merveille. Pour moi, c’était « Captain America » qui succombait à la verve et au charme de « Captain Korea » !
Song Kang-ho & Jesus Castro - Novembre 2017
L’autre moment mémorable c’était fin 2017, quand j’avais interviewé Song Kang-ho à Séoul dans le cadre de mon documentaire sur « Memories of Murder ». Avec son rire truculent il nous avait expliqué comment il avait improvisé son coup de pied acrobatique contre Kim Sung-kyun, qui joue le « flic de la ville » face à lui, dans une des premières scènes qu’ils tournaient ensemble. Dès lors, il n’avait eu cesse de pousser cette tension entre eux par petites touches, et ce afin de servir le récit ! Avec la complicité de Bong Joon-ho évidemment !
Quel est le rôle interprété par Song Kang-ho que tu aimes le plus et pourquoi ?
C’est vraiment très difficile à dire, car il a brillé dans tant de rôles différents… Disons que dans le registre « sérieux », voire grave, j’ai été bouleversé par sa prestation dans « Secret Sunshine » de Lee Chang-dong. Il aurait mérité un prix d’interprétation pour ce rôle, à l’instar de la comédienne principale Jeon Do-yeon (prix d’interprétation féminine à Cannes). Et dans le registre comique, mon cœur balance entre deux films : « Foul King » dans lequel il interprète un employé de banque sans relief qui se lance dans le catch (qu’il a appris pour les besoins du film !) et « Le Bon, la Brute et le Cinglé », où il campe un bandit maladroit, astucieux et truculent qui cherche un mystérieux trésor au fin-fond de la Mandchourie ! Dans ce film il se montre en digne héritier d’Eli Wallach et Rod Steiger, qui ont marqué les westerns de Sergio Leone.
Je garde évidemment une place toute particulière dans mon cœur pour son rôle de flic de la campagne dans « Memories of Murder », en particulier la scène de confrontation finale dans laquelle il passe par toute une palette d’émotions : la joie, la rage, l’impuissance, l’incrédulité. Il y est simplement grandiose.
Mais qui sait, avec Song Kang-ho on peut s’attendre encore à de belles surprises, je guette chacun de ses films avec impatience. Je suis certain qu’il a encore une longue carrière devant lui !
Song Kang-ho & Castro - Festival du Film coreen Paris 2019
* Cet article est rédigé par un journaliste honoraire de Korea.net. Notre groupe des journalistes honoraires est partout dans le monde, pour partager sa passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.
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