Caché ⓒ Alicia Baca Mondéjar
Par la Journaliste Honoraire de Korea.net Alicia Baca Mondéjar de France
Je m’appelle Alicia et je suis née il y a très longtemps dans la ville de Barcelone. Petite fille blondinette, innocente, est née avec une maladie impossible à diagnostiquer. Petite fille a grandi entourée des blouses blanches et des aiguilles, engouffrée dans un monde aseptisé avec cette éternelle impression d’être différente. Et puis ces échos, ces voix autour de moi qui racontaient qu’elle allait bientôt mourir, qu’elle était condamnée à un fauteuil roulant. Eh oui, je suis née à une époque où les parents étaient persuadés que les enfants n’avaient pas de cerveau et qu’ils ne comprennent rien à ce qui se disait.
Et si le handicap n’était qu’un voyage initiatique ? Et si la vie en soi n’était qu’une quête ? « Ce n’est pas parce que l’alouette n’a pas d’ailes qu’elle n’est pas une alouette ». Je les ai suivis ces mots, j’ai suivi l’homme qui m’en a fait cadeau. J’avais 12 ans et d’après les médecins, il ne me restait qu’un an à vivre. Il m’a appris des philosophies asiatiques ancestrales. La médecine chinoise, la culture, les arts martiaux, la nourriture, la méditation transcendantale, le voyage astral, les traditions… Bouddha, le yin et le yang… La discipline.
Maybe V ⓒ Alicia Baca Mondéjar
Peut-on trouver la liberté enfermé dans un corps pratiquement paralysé ? Je n’ai pas pu apprendre à dessiner. J’aimerais remplir cet article d’études universitaires, d’études d’art ou de ce parcours propre aux intellectuels assoiffés dont je fais partie mais, décidément, cette époque n’était pas un cadeau. Rien n’était adapté, ni les transports, ni les accès aux classes. La conscience collective croyait plus que jamais qu’un handicapé doit être caché à la maison, la question de suivre des études supérieures ne se posant même pas.
Cependant, l’un des plus grands handicaps est l’incapacité d’expression. Ce côté artistique que nous avons tous à l’intérieur reste cloîtré, comme un oiseau dans une cage. Ce côté artistique est l’épanouissement de notre être le plus profond. Ce que nous n’arrivons pas à exprimer à travers des mots se glisse facilement sur un papier, sur une toile ou d’autres formes d’expression artistique.
Clavicule ⓒ Alicia Baca Mondéjar
Je suis restée une fois en admiration devant la photo d’un acteur coréen (Ah ! Ce Yoo Ah-in… !). Ses yeux bridés ne faisaient que deux lignes majestueuses, comme le tableau d’une ancienne toile coréenne. Je l’ai regardé avec attention pendant un long moment, je voulais tant le dessiner ! C’était impératif, vital, presque étouffant. C’était comme si pour la première fois, je pouvais me retourner vers ce continent asiatique que j’aime tant et le toucher du bout de mes doigts. Comme si mon envie de visiter la Corée du Sud et le Japon s’exprimait par cet élan inattendu. Mon bras droit avait l’air tout euphorique. Il disait, vas-y, vas-y.
Aussi hésitante qu’une adolescente devant le jeune homme de son coeur, j’ai pris mon stylo et j’ai regardé cette terre inconnue qui était cette feuille blanche. Statique et imperturbable, comme une piscine avant l’heure d’ouverture. Il fallait juste commencer, mais ma peur, ma plus grande peur était de ne pas respecter la perfection de ces yeux qui s’offraient à moi.
Comment faire un tracé parfait alors que le tracé en question est un amalgame de petits points, chacun doté d’une vie propre ? J’ai dessiné un millimètre, et un autre millimètre, et puis un petit trait ayant l’impression à chaque fois de traverser tout un univers. Petit à petit le dessin a commencé à prendre une forme insolite. Ce visage coréen s’épanouissait sur la feuille, il avait l’air vivant.
Cerisiers en fleur ⓒ Alicia Baca Mondéjar
Un artiste m’a dit une fois que l’excellence du bon dessinateur se traduit par la précision du trait, être capable de dessiner une ligne sans aucune interruption. Mes mains, incapables d’un tel exploit, ce sont résolues à faire des petits traits. Cette technique qui m’a paru très primaire dans un premier temps, est devenue l’essence de mes dessins. Ces petits traits se confondent avec les ombres donnant une illusion de relief.
Je ne cherche pas la ressemblance à mon modèle, mais plutôt une cohérence. Que les formes, les dimensions soient bien structurées même si mon dessin ne ressemble pas à l’artiste d’origine. Par exemple, à la place de dessiner un nez, je me limite à des lignes, des ombres et encore des rondeurs sans juger la forme finale. Je suis toujours très étonnée quand après cette sorte d’assemblage, tout à coup, un nez apparaît sur mon dessin, comme par magie.
Ignorer la forme d’une main dans ma tête. Je sais très bien ce que c’est une main, pour cette raison, je me dois de l’oublier, sinon cette image fixée dans mon mental parasitera mes petits traits. Je ne dessinerai pas ce que je vois en réalité, mais plutôt l’idée que je me fais d’une main et alors le résultat ne sera jamais juste.
Jung Hae-In ⓒ Alicia Baca Mondéjar
Si la technique est importante, ce que mes mains, mon esprit, ressentent au moment de cette création prend le dessus. Ces mains qui dessinent sont comme les mains d’un aveugle explorant le visage d’une personne. Ces mains, découvrent chaque millimètre, chaque imperfection, ce côté asymétrique, cette expression dans les yeux asiatiques souvent énigmatique, parfois rêveuse ; ce soupçon de bonheur, cette nuance de tristesse, cette odeur d’un pays lointain. Toutes ces émotions donneront une puissance illimitée à une technique encore quelque peu immature.
D’autres visages ont continué à m’inspirer. Est-ce leur expression la fenêtre de mon âme ? Mes sentiments se dévoilent à travers ces dessins. Ces visages asiatiques que j’aime tant provoquent en moi une telle émotion que, telle une sève, l’énergie se déplace jusqu’à mes mains. Je caresse ces visages. Mon envie, mon besoin de voyager vers le pays du matin calme. De le respirer, de le connaître, de l’entendre, est tellement fort ! Tellement profond !
Se donner les moyens, effacer ce « je ne peux pas » et le transformer par « je vais essayer autrement ». Nous avons tant à dire, tant à exprimer ! J’aimerais que par mes dessins tout le monde se dise, moi aussi je peux, moi aussi j’ai le droit de donner cours à mon art d’une façon ou d’une autre. Retourner l’apparence, lui faire face au lieu de s’accrocher à ce « je ne peux pas ».
Top of the world ⓒ Alicia Baca Mondéjar
Aurais-je eu l’occasion de vivre toutes ces merveilleuses aventures si j’avais eu des diplômes à vous présenter ? Je ne le saurai jamais mais depuis mes 12 ans et malgré mon grand handicap, je n’ai plus jamais eu à regarder la vie qu’à travers une fenêtre. Je croyais que la vie n’était qu’un petit espace et que je ne pourrais jamais y participer, mais voilà qu’un jour tout a basculé. Mes yeux se sont tournés vers d’autres chemins, et ces chemins m’ont amené vers d’autres chemins…
Site :
https://aliciamondejar.wordpress.com/
Interview :
https://www.youtube.com/watch?v=46EKuoGAPa0&t=2s&ab_channel=CooleurasiaAssociation
* Cet article est rédigé par un journaliste honoraire de Korea.net. Notre groupe des journalistes honoraires est partout dans le monde, pour partager sa passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.
etoilejr@korea.kr