Par la Journaliste Honoraire de Korea.net Alicia Baca Mondéjar de France, photos Pancinema, vidéo Chaîne YouTube des Oscars
Minari a été qualifié par la plupart des critiques comme « un film sans grandes prétentions » ce qui, paradoxalement, fera sa force. Il se laisse regarder, en toute simplicité, comme un souvenir vu par les yeux d’un enfant. Il est question de famille, d’entraide, de désir d'intégration et de renaissance. Voyage vers les grands espaces.
Une famille américano-coréenne déménage dans une petite ferme de l'Arkansas, à la recherche du rêve américain. Le père rêve d’avoir sa propre production de légumes coréens et dépense toute son énergie et toutes ses économies dans un terrain qui s’avère être peu coopératif. Accablés par le travail, ils décident de faire venir Soon-ja, la grand-mère maternelle. Le petit David, malade du cœur, voit cette vieille femme débarquer dans sa vie avec une culture et des habitudes d’un pays qu’il ne connaît pas.
Réalisation et scénario : le voyage du réalisateur américain d’origine sud-coréenne, Lee Isaac Chung
Pays d’origine : États-Unis
Genre : Drame
Durée : 115 minutes
Sortie : 2020
Acteurs principaux : Steven Yeun, Han Ye-ri, Alan Kim, Noel Kate Cho, Youn Yuh-jung
Balade ? Chronique ? Les souvenirs du réalisateur Lee Isaac Chung sont teintés d’un regard nostalgique sur l'époque de son enfance. Des grands espaces, des images limpides, lumineuses. La nature dans toute sa splendeur. Toute cette amplitude donne de l’oxygène à la dure réalité des parents de David.
Sans tomber dans le mélodrame, les personnages évoluent dans un rêve américain qui peut vite tourner au cauchemar. Un arrière-goût qui rappelle « les raisins de la colère » de John Ford, sans que l’angoisse réussisse à effacer la vision du monde innocente de ce petit garçon. Bien sûr, avec une plus grande influence du cinéaste américain John Ford, le film aurait pu se transformer dans une quête impitoyable tâchée de désespoir que seule la défaillance peut engendrer.
Mais ces pionniers coréens traversent avec dignité les épreuves, les aléas de leur situation. Comme le fait la plante Minari (Céleri d’eau), ils ont la capacité de se développer et de grandir dans n’importe quelle terre. C'est là qu'est le coup de maître du réalisateur. Il arrive à ne pas donner plus d’importance à un sujet ou un autre et nous garde dans une atmosphère où les personnages sont aussi grandioses que les paysages.
Film modeste ? On dira plutôt film honnête. Sans prétention ? C’est justement son humilité qui le rend énorme.
Steven Yeun a parcouru un long chemin depuis qu’il s’est fait défoncer le crâne par Negan le psychopathe (charismatique, canon, mais le vrai fils de…). Si cette scène a traumatisé tous les adeptes de « The Walking Dead », nous le retrouvons bien vivant dans ce film et dans d'autres loués par les critiques. Il est devenu cet acteur dont on regarde le film juste parce qu’il se trouve dans le casting.
Dès l’étonnant « I origins », film de science-fiction où son personnage répertorie les iris de tous les êtres humains, en passant par « Okja », petit rôle dans le film écologique du grand Bong Joon-ho (« Parasite » et « Burning »), cet acteur américain d’origine sud-coréenne nous confirme, à quel point il sait incarner son personnage. L’ambiance de « Burning » aurait-elle été aussi pesante et impalpable si Steven Yeun, inquiétant, avec son sourire désaxé et son assurance, ainsi que Yo ah in (il faut le dire), n’avaient pas fait partie du projet ? Sa façon de se taper l’incruste, écrasant tout ce qui pourrait se mettre devant lui, nous rend la tâche difficile de l’identifier au père découragé de Minari.
Sa délicatesse, son humilité, ce regard qui se perd dans le vaste paysage qu’il rêve de dompter. Ses espoirs, son désespoir, cette barre trop haute. Son besoin vital de se reconnaître en tant que père et mari au-dessus de toute contrainte. Ce rôle, interprété comme s’il avait été écrit spécialement pour lui, lui a valu la nomination du meilleur acteur aux Oscars. Les journaux ont rappelé qu'il était le premier américain d’origine asiatique nominé aux Oscars. Mais comme diraient les deux pépés du Muppet Show, « Who cares ? ». Ce qui compte, c'est qu’il s’agit d’un bon acteur qui nous a montré qu'il pouvait évoluer vite en très peu de temps.
Youn Yuh-jung, actrice capable de disparaître derrière son personnage, nous surprendra encore et encore. Comment associer la grand-mère fragile de Canola, à la mère forte et déterminée de « Keys To The Heart » ? La garce de « The Housemaid » avec la prostituée du troisième âge, blasée et accablée de « The Bacchus Lady » ? La scène de viol de « The Taste of Money », d’abus de pouvoir sur son homme de confiance, de 40 ans son cadet et interprété par Kim Kang-Woo… Comment peut-on comparer cette affreuse araignée noire avec la grand-mère du petit David ? Elle est fragile et forte à la fois, reste adorable malgré une façon très crue de s’exprimer, et déborde de savoir sur son pays d’origine.
Ce rôle de grand-mère venue d’une autre planète lui a valu non seulement l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle, mais aussi que Wikipédia lui attribue « Minari » comme « films connus ». Pour ceux qui la connaissent et qui ont vu la plupart de ses films, cette petite étiquette « Films connus : Minari » en dessous de sa photo nous fera sourire. Ou alors nous taper la tête contre un mur. A-t-il fallu qu’elle se trouve devant les caméras américaines pour qu’elle soit connue du monde entier ? Pour vous, passionnés du cinéma, il est impossible qu’une actrice à la hauteur d’Elizabeth Taylor ou Audrey Hepburn vous soit passée sous le nez. Si c’est le cas, nous vous invitons à combler très vite cette lacune, vous ne serez que fortement surpris par sa prestance et sa performance.
Comme son personnage dans Minari, Youn Yuh-jung n’a pas l’air d’être quelqu’un qui mâche ses mots. Dans une interview, Lee Isaac Chung s’exprimait sur la controverse des Golden Globes, où Minari a été nominé dans la catégorie « Film en langue étrangère » malgré le fait que sa réalisation et son casting soient américains. « C'est très fatigant pour beaucoup d'entre nous d'être appelés étrangers, alors que nous sommes nés ici et que nous parlons anglais. Cela devient épuisant ».
Au cours de son discours lors de la cérémonie des Oscars, Youn Yuh-jung disait qu’elle ne croyait pas aux compétitions. « Comment puis-je gagner face à Glen Close ? Nous avons toutes joué des rôles différents dans des films différents. Comment peut-on concourir les unes avec les autres ? Si je suis ici, c'est parce que j’ai eu un peu plus de chance. J’ai eu plus de chance que vous. Peut-être qu’il s’agit de l’hospitalité américaine envers les Coréens ? »
Fait-elle allusion aux nouvelles règles des Oscars qui entreront en vigueur en 2024 ? Pour être éligible aux Oscars, un film devra en effet avoir un des acteurs principaux ou secondaires appartenant à un groupe racial ou ethnique sous-représenté. Plus précisément, 30 % du casting devra appartenir à un groupe social « sous-représenté » (femmes, LGBTQ, groupes racial ou ethnique, personnes handicapées, cognitives ou physiques) et que le scénario s'intéresse à ces groupes sous-représentés. Derrière l’écran, le film devra permettre l’accès à plus de femmes ou personnes de couleur dans ses équipes.
A-t-elle dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas ? Il est évident qu'on se poserait la même question à sa place : ai-je reçu l’Oscar grâce à ma performance ou tout simplement pour montrer au monde à quel point les Américains ne sont pas racistes ? Youn Yuh-jung n’en est pas sûre. Toute personne avisée non plus.
Han Ye-ri apporte une touche qu’on pourrait presque qualifier de caresse. Elle est la beauté des grands espaces. Elle est la mère qui n’arrive pas à lâcher prise, qui se fait du souci. Qui regarde son mari s’enfoncer, sa mère tomber malade, tous leurs espoirs partir en fumée. Mais le charisme de l’actrice, la tendresse avec laquelle elle interprète son rôle, nous aborde par sa bienveillance et, plutôt que de nous faire pleurer, elle nous donnera envie de l’accompagner. De mettre notre main sur son épaule.
Et bien sûr, pour finir, un grand salut à la performance des enfants.
Comme d’habitude, le cinéma asiatique donne cette impression qu’il ne se passe rien. Que nous sommes dans le contemplatif, ou dans le déjà-vu, ou dans un monde que par ses codes ne nous atteint pas. Mais, faites attention, la profondeur de ce film, sa phénoménale sincérité, ne pourra que vous conquérir, même si c’est à votre insu.
Récompenses
Festival du film de Sundance 2020 : Grand prix du jury, Prix du public
Golden Globes 2021 : Meilleur film en langue étrangère
Oscars 2021 : Meilleure actrice dans un second rôle pour Youn Yuh-jung
Nominations
Oscars 2021 : Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur pour Steven Yeun, Meilleur scénario original, Meilleure musique de film
* Cet article a été rédigé par un journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.