Journalistes honoraires

08.08.2023

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Par la journaliste honoraire de Korea.net Alicia Baca Mondéjar de France


Alors que le bras de fer entre Netflix et la Corée du Sud ressemble singulièrement à une partie de ping-pong plus qu'à une négociation fluide et à l'écoute, des nouveaux dramas et films continuent à voir le jour. Si Netflix fait miroiter d'une façon très stratégique ce mythique rêve américain, la réalité peut s'avérer toute autre. Cela dépend du point de vue.

Affiche de Bloodhounds, sorti le 9 juin sur Netflix. © Netflix Korea

Affiche de Bloodhounds, série sortie le 9 juin sur Netflix. © Netflix Korea


Netflix se vante, pardon, a annoncé un investissement de 2,5 milliards de dollars en Corée du Sud. Cette information qui circule par tous les coins et recoins du net semble encore une stratégie pour prouver qui a la plus grosse… euh… somme d'argent, dans la mesure où Netflix ne révèle jamais ce qu'elle fait de cet argent, et encore moins de ses investissements. Cette somme dépasse ce que la plate-forme a déjà investi depuis 2016, une année cruciale dans beaucoup d'aspects. À cette époque, la Chine boude officieusement tous produits du divertissement sud-coréen (et quand la Chine boude, c'est un sixième des habitants de la planète qui en subit les conséquences) et en même temps, « comme par hasard », Netflix s'intéresse de très près au phénomène sud-coréen. Il faut leur accorder d'avoir vu juste, car selon une étude très approfondie du Los Angeles Times, Netflix aurait été revalorisée à 827 millions d'euros après la sortie de Squid Game.

Les scénaristes, habitués aux restrictions imposées par un formatage persistant et inchangeable depuis des années, se sont réjouis à l'idée de déborder la limite et pouvoir ainsi donner libre cours à leur créativité. Vraiment, le rêve américain. Mais Netflix impose des salaires fixes. Très alléchants, certes, mais qui embarquent les droits d'auteur. Ainsi, quel que soit le succès, réalisateurs, scénaristes et acteurs ne toucheront que le salaire du départ. Cette confrontation, en plus de l'exigence de la part des fournisseurs d'accès Internet sud-coréens, pour que la plate-forme paye l'augmentation des coûts de réseaux, semble de plus en plus à une lutte des titans. Heureusement, la Corée du Sud, sûre de son contenu, ne lâche pas l'affaire. Et tout à son honneur.

Une scène de No Mercy.

Une scène de No Mercy, film sorti en 2010. © Netflix Korea


On ne peut que saluer le goût du risque de la plate-forme, donnant un nouveau souffle à tous ceux qui ont dû se plier aux normes locales depuis longtemps. C'est grâce à celle-ci que nous avons pu visionner Squid Game. Cependant, prenons l'exemple de J.K. Rowling, fameuse auteure de Harry Potter. Elle a dû passer par le refus de 12 éditeurs avant qu'une toute petite maison d'édition se décide à publier ses livres. Mais personne ne l'a dépourvue de son droit de propriété intellectuelle ni lui a exigé un salaire fixe. La Corée du Sud, serait-elle devenue le bon plan de Netflix, avec un produit de qualité dont la gloire et les gains prendraient des raccourcis vers la plate-forme, sans passer par les principaux intéressés ? Le bon plan avec un profit de la situation du travail des employés locaux ?

C'est toujours extrêmement intéressant d'assister à ce point de départ où les choses changent, se transforment, se laissent influencer par d'autres cultures, créant des hybrides peut-être très tâtonnants au début, mais qui s'affirment souvent à une vitesse faramineuse. Parfois on oublie les débuts. On entend de plus en plus la jeunesse dire ne pas avoir envie de regarder de vieux dramas. Des dramas qui ont à peine cinq ans. Des dramas qui étaient de l'autre côté de la pandémie.

Cette jeunesse, entre 15 et 25 ans, méconnait souvent l'amplitude, la force, la splendeur du cinéma sud-coréen. Pas seulement il est très difficile d'y avoir accès, mais la plupart des chefs-d'œuvre sud-coréens semblent être restés de l'autre côté de cette muraille qui a été la pandémie. De cette période atypique qui nous aura marqués à jamais et qui aura permis à Netflix de s'infiltrer en douce. Dommage. Les créations hétéroclites séduisent surtout par la découverte de toute une panoplie des possibilités, par une nouvelle exploration des sujets venus d'ailleurs. Mais elles semblent vouloir s'écarter à tout prix de ces bonnes bases qui ont justement donné accès aux œuvres actuelles.

Il serait stupide d'insister à vouloir rester derrière. La mondialisation, l'époque Netflix où l'on préfère rester à la maison à regarder un film, tout en mangeant une pizza que nous avons commandée. Le changement, la crise, la diversification. Et qui prend conscience de tous ces éléments, prend aussi conscience de l'adaptation que cela comporte. Mais il serait autant stupide de laisser complètement de côté tous ces chefs-d'œuvre dont la réalisation et la perfection dépendaient justement de ce formatage que Netflix, d'autres plates-formes et même les principaux intéressés veulent absolument braver.

Les ambiances du « vieux » cinéma noir coréen et du néo-noir sont particulièrement incroyables, d'une force qui nous entraîne vers l'angoisse et le stress. Et on aime ça. Comme dans une chorégraphie méticuleusement travaillée, les mouvements, l'amalgame d'éléments qui construisent certains films coréens (la plupart ?), nous amènent à comprendre et surtout à craindre les ambitions des géants du streaming. Cette époque où les passionnés du cinéma coréen étaient scrutés avec un sourire condescendant semble révolue et dans l'absolu, l'idée de simplicité devrait nous réjouir. Nous avons rêvé depuis des années de regarder films et dramas coréens à la télé avec la même aisance que tout ce débit de soupe américaine. Il serait vraiment trop poussé de notre part de comparer toutes ces plates-formes au diable, surtout dans la mesure où grâce à celles-ci, nous jouissons enfin d'une fluidité, inimaginable il y a quelques années. Mais nous espérons de tout cœur que la Corée du Sud saura garder son axe en face de toutes ces nouvelles perspectives.

Une scène de The Chaser, film sorti en 2008.

Une scène de The Chaser, film sorti en 2008. © Netflix Korea


Comme dans la plupart des articles, nous tenons encore une fois à vous parler de l'un de ces films qu'il ne faudrait pas rater. Espérons seulement que la confrontation entre Netflix et la Corée du Sud ne se finisse pas en carnage, par une fin bâclée dont nous serions les principaux affectés.

I saw the Devil

Affiche coréenne de I saw the Devil.

Affiche coréenne de I saw the Devil. © Daum


Si nous devions résumer d'une façon très succincte l'essence de ce film, on pourrait parler tout simplement de rapport de force. Le reste, l'histoire, tout ce qui se greffe, ne sont que des excuses pour alimenter une quête sans merci.

Synopsis

Un serial killer viole, découpe et tue (par cet ordre) la fiancée d'un agent secret. Celui-ci jure de se venger et une traque impitoyable commence. Cependant, il le laisse partir à chaque fois qu'il réussit à l'attraper.

Fiche technique

Réalisateur : Kim Jee-woon
Scénario : Park Jung Hoon
Année : 2010
Pays : Corée du Sud
Durée : 141 min
Langue : Coréen
Avec Lee Byung-hun, Choi Min-sik

Impressions

Kim Jee-Woo est un réalisateur incroyable. De film en film, il a réussi à toucher presque tous les sujets : le drame familial dilué dans la sauce terreur, Deux Sœurs, très Alejandro Amenábar, le thriller fataliste et chef d'œuvre A Bittersweet Life, le western-spaghetti transféré en Chine,  Le Bon, la Brute et le Cinglé ou The Age of Shadows, sur l’occupation japonaise… Illang: The Wolf Brigade et récemment Cobweb, dont la première a eu lieu le 25 mai 2023 hors compétition au festival de Cannes.

Ce film, pourrait être dans la ligné de ce que la Corée du Sud se complaisait à reproduire presque systématiquement, à savoir, le thriller ultra violent où il est question de vengeance ou de règlement de comptes. Ou les deux. Ici une nouvelle donne s’ajoute : le gentil n'est pas si gentil que ça. Kim Jee-Woo confronte deux bêtes sauvages qui jouent au chat et la souris à tour de rôle, explore tout le mal inimaginable, concentré dans la peau d'un serial killer. C'est une nouvelle étude sur la réalisation du mal poussé à l'extrême limite. Et puis il n'y va pas de main morte. Vous en verrez de toutes les couleurs, rouges, de préférence.

Peut-être que même certains d’entre vous vont regarder des scènes du coin de l’œil. Ou ne pas les regarder du tout. Âmes sensibles s'abstenir. I saw the Devil, qui a été défini comme « dévastateur et sadique » est sans aucun doute l’un des films les plus violents que vous n’aurez jamais vus de toute votre vie. Et puis, 141 minutes. C'est long !

Ici il n'est pas question de qui va finir avec qui, mais le jeu. Ces 141 minutes, on les tient par une interprétation des plus époustouflantes des deux acteurs principaux (les nanas sont juste là pour se faire découper dans les plus atroces souffrances, oh, mince, on vient de vous raconter les trois quarts du film…!). Choi Min-Sik (Oldboy, Sympathy for Lady Vengeance) incarne le plus grand salaud fils de () psychopathe (et ce n'est rien) avec une férocité propre d'une hyène enragée. Le Joker était un enfant de cœur à côté de lui.

Kim Jee-woon s'est appliqué à nous montrer deux hommes complètement opposés. L'un est un animal acharné, habillé n'importe comment, taches de sueur, transpiration et autres, assorties à ses yeux vides et ses cheveux dégoulinants. C'est la crasse, la saleté, la merde ambulante, l'abomination. Plus crédible dans son rôle de diable que d'autres acteurs ou figures fantastiques. Enfin, la gamine de L'exorciste était à vomir, ou Robert de Niro avec ses ongles parfaitement limés dans Angel Heart, très effrayant. (Et cet œuf dans les mains représentant l'âme, l'horreur.)

Mais plus le film avance, plus on se demande qui a vu le diable, et surtout « qui » est le diable. Lee Byung-Hun, vous le connaissez. Il s’agit de l’homme derrière le masque noir de Squid Game. Avec cette beauté d'éphèbe (dur) qu'il se trimballe, il incarne cette fois-ci un agent secret assez exécrable aussi dans son genre. Parfaitement habillé, propre, impeccablement rasé et coiffé, il jure sur le bric-à-brac de la dépouille de sa fiancée, d'infliger mille fois la souffrance qu'elle a subie au tueur. Alors la chasse commence.

Lui aussi est un animal plus qu'enragé. Calculateur, sûr de lui. On se demande si il a été pris d’une folie passagère ou si il était déjà un homme violent. Mais J’ai rencontré le Diable n’est pas un film qui lorgnerait dans la finesse et se permettrait des approfondissements dans l’analyse. On s’en fout de pourquoi un chat joue avec une souris. Ce qui compte c’est que c’est hypnotique. Et obsessionnel. Plus la souris comprend qu’elle va mourir, plus le chat s’excite.

Lee Byung-Hun, acteur fétiche de Kim Jee-woon, est capable, rien que par ses expressions (n'oublions pas, à l'asiatique, donc assez discrètes), nous faire ressentir le moindre de ses sentiments. Plus expressif que Batman, (dont les influences de The Dark Knight, du réalisateur britannique Christopher Nolan, se font sentir dans I saw the Devil) il est aussi plus entier, plus dynamique. Avec ce charisme qui le caractérise, il nous amène avec lui dans sa vengeance diabolique.

Fin bâclée, des points qui auraient pu être plus développés, trop de carnage, I saw the Devil est néanmoins une expérience innovante ; déjà par le sujet mais aussi par la façon de filmer. Presque toujours à l'intérieur d'une voiture, ce qui donne, à cause d'un espace confiné, un accent sur la peur de l'autre, I saw the Devil est « quand même » un tournant du cinéma coréen.

Choi Min-sik dans I saw the Devil.

Choi Min-sik dans I saw the Devil. © Daum



* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.

caudouin@korea.kr