Par la journaliste honoraire de Korea.net Nicole Bergeaud de France
En un peu plus de dix ans, Laura Jung a ouvert la voie et a accompli un parcours exceptionnel, celui d’une jeune femme visionnaire et déterminée qui est devenue l’experte française des cosmétiques coréens. C’est en assistant à une de ses conférences que j’ai eu le déclic. Ce qu’elle racontait m’a paru tellement extraordinaire que, convaincue par son professionnalisme, j’ai voulu en savoir plus. Laura a très gentiment accepté de répondre à mes questions malgré son agenda surchargé à la veille du lancement de sa ligne de produits « made in Korea », j’y reviendrai dans un prochain article.
Laura Jung à Séoul. © Laura Jung
Nicole Bergeaud : Dites-nous tout, qu’est-ce qu’ils ont de plus, les cosmétiques coréens ?
Laura Jung : Ils ont dix ans d’avance en recherche & développement dermo-cosmétique. Ce sont des produits high-tech dont les formules mêlent avec brio pharmacopée ancestrale et molécules boosters. Leur efficacité est incomparable. Ils sont riches en ingrédients naturels. La galénique est au cœur du développement des produits qui offrent une expérience sensorielle unique. Tout cela pour un très bon rapport qualité/prix. C’est un marché très dynamique car les Coréens sont avides de nouveautés.
House of Sulwhasoo Bukchon flagship store. © amorepacificcorporation
Pourtant, il y a une dizaine d’années, en France, personne ne les connaissait.
Oui, en effet. La K-beauty a changé la donne en inventant les « BB creams » ces baumes teintés qui camouflent les rougeurs, réparent et apaisent la peau. Puis sont venues les « CC creams » (correcteurs de teint) et enfin les « cushions » des crèmes imbibées dans des petits coussins alliant soins de la peau et maquillage. Aujourd’hui, qui n’a pas essayé au moins une fois les fameux masques coréens en tissu ?
La gamme de produits Sulwhasoo au ginseng. © amorepacificcorporation
Quelle est leur spécificité ?
Elle repose sur l’histoire du pays et de ses traditions dont le Dongui Bogam, une encyclopédie de médecine traditionnelle coréenne datant du 16e siècle. La pharmacopée, c’est la science des plantes d’un point de vue médicinal. En Corée, les plantes sont utilisées traditionnellement tous les jours dans l’alimentation (comme le ginseng une racine très tonifiante, énergisante et qui améliore la circulation sanguine). Toutes ces plantes, qui sont surpuissantes, sont aujourd’hui exploitées en cosmétique avec un savoir-faire étonnant. On trouve des plantes dans tous les cosmétiques en Corée, même les moins chers.
La fermentation, un procédé ancestral de conservation des aliments en Corée qui préserve les bienfaits des plantes sans les altérer. Appliquée à la cosmétique, grâce au processus de lactofermentation, les bactéries et les microbes nuisibles meurent, les sucres et les protéines se transforment en acide lactique et les ingrédients commencent à s’enrichir de nutriments actifs. L’acide lactique stimule le renouvellement cellulaire, exfolie la peau sans l’agresser et restaure le PH, ce qui permet aux produits fermentés d’être mieux absorbés par un épiderme totalement assaini. Grâce à un processus à basse température et non à chaud comme dans la cosmétique classique, l'efficacité des ingrédients est préservée au maximum. Ils gardent toutes leurs vertus. Ils sont particulièrement recommandés pour les peaux sensibles et déshydratées.
Ce mélange unique entre des éléments extrêmement naturels et de la science donne des effets décuplés sur la peau.
Concept store Amore Seongsu. © Laura Jung
Vous êtes à Séoul en ce moment. Quelles sont les toutes dernières tendances ?
La beauté clean est au cœur de tous les développements produits. La bave d’escargot filtrée ou le propolis, c’est un peu en déclin aujourd’hui car la cosmétique végan connaît une croissance fulgurante ici. Depuis la pandémie de Covid-19 les coréens se sont remis à consommer des produits locaux, ça vaut pour l’alimentation mais aussi pour la cosmétique.
La marque SIORIS par exemple a racheté une ferme et des terres pour pouvoir y cultiver de la prune verte, du riz, de la figue certifiés bio. Elle est aussi certifiée Végan avec des produits saisonniers. Certaines régions de Corée comme Osong et le Chungcheong du Nord sont réputées pour la fabrication de produits à dimension naturelle et bio.
Il y a aussi un retour fort aux traditions coréennes, notamment la pharmacopée revisitée d'une façon plus moderne. L'aromathérapie est très en vogue. Animée par un fort désir d'expansion à l'international, la Corée développe des lignes de produits qui mêlent les ingrédients typiques coréens à des ingrédients étrangers comme l'huile de cactus, le figuier du Maroc, l'eau thermale d'Islande, le café vert bio du Pérou et l'aromathérapie française.
La tendance Green. © Compte Instagram de amore_seongsu
Les masques en tissu (produit signature de la Corée) connaissent une montée en gamme avec des matériaux éco-conçus comme des fibres de bambou, d’eucalyptus, recyclables et biodégradables pour limiter l’impact écologique y compris sur les packagings qui deviennent en papier (sans pelliculage plastique ou aluminium pour certaines marques qui arrivent à stabiliser des formules aqueuses et crémeuses dans ces packagings, un vrai exploit technique).
Le « non testé sur les animaux » est en place depuis 2018 et le « sans ingrédients d’origine animale » devient une norme. Il y a aussi une hausse des produits solides zéro déchet.
Toun28 pop-up store à Amore Seongsu Seoul. © Laura Jung
Qu’en est-il de la diversité aujourd’hui ?
Le maquillage coréen a été très critiqué pour la maigre diversité de ses panels de teintes, c’est en train de changer (petit rappel historique : la mode du teint blanc remonte à l’époque Joseon, c’était un signe de bonne santé). Plusieurs marques comme Laneige, Hera et la marque franco-coréenne MI-RÊ proposent une gamme de couleur pour toutes les teintes de peau, de la plus claire à la plus foncée.
La gamme de la marque Hera chez Amore Seongsu. © Laura Jung
Chez Amore Seongsu, je viens de tester une machine qui fait une analyse de peau à l’aide d’une IA. Elle recommande une teinte parmi les fonds de teint de la marque Hera (existe aussi pour Laneige). Les cosmétiques coréens ne sont pas faits que pour les peaux asiatiques !
Le marketing est radicalement différent, pourquoi ?
Les marques ont la capacité de pouvoir capitaliser sur l’industrie du divertissement avec des personnalités extrêmement connues à l’international et à qui les gens s’identifient. Il y a beaucoup de placements de produit dans les K-dramas par exemple. Les budgets publicitaires sont colossaux et mettent en avant des célébrités hommes et femmes.
Il y a une dizaine d’années, Nature Republic a été la première marque à prendre un groupe d’idoles masculines pour une campagne publicitaire à destination des femmes et ça a extrêmement bien marché. Le fait de se maquiller pour les hommes en Corée, ce n’est pas connoté. Le rapport au corps est très différent. On doit être parfait dans son apparence et plus on prend soin de soi, mieux c’est.
À mille lieues du télé-achat ringard à la française, c’est un outil très utilisé par les marques lors des lancements de produits avec des quantités pouvant atteindre 100 000 pièces écoulées en une heure ou deux auprès d’un public mature.
Pour les milléniaux, les marques passent par les réseaux sociaux et les applications, très utilisées. Des labels se sont créés, comme le macaron « approuvé par » Hwahae ou Picky chez Olive Young.
Qu’est-ce qui caractérise les consommateurs coréens ?
Le point essentiel c’est l’efficacité. Ce sont des consommateurs très exigeants. Aujourd’hui il y a des milliers de fabricants en Corée et de nombreuses marques naissent et meurent chaque année sur ce petit territoire. Faire énormément de marketing ne suffit pas, la concurrence est rude. Les produits sont déjà presque parfaits de A à Z car on veille à tout, le marketing extrêmement léché, l’identité de marque forte, la formule surpuissante. Le consommateur est expert car en Corée où l’on apprend très jeune à prendre soin de soi, ce sont des traditions transmises de génération en génération. Pour moi c’est la plus grosse différence.
En France, on va plus regarder le côté marque historique avec une appétence pour les soins très luxe, les maisons françaises et la parapharmacie qui nous rassure. Les Coréens se laissent plus tenter par la nouveauté et il y a en a tout le temps en Corée, pays on est toujours en quête d’une peau parfaite et on va tenter beaucoup de choses. En points de vente, tout est fait pour encourager le consommateur à découvrir de nouvelles marques avec tout le temps des promotions « un acheté un gratuit », des animations commerciales très fortes, de la distribution de produits échantillons en format « full size », etc.
La marque Hince chez Hannam store. © Laura Jung
Quel est leur point fort ?
Tous les rituels de beauté en Corée du Sud n’ont qu’un seul objectif, c’est l’anti-âge et ça passe par le soin solaire, à toute heure et en toutes saisons. La protection solaire est le pilier de la cosmétique coréenne. L’anti-âge est perçu par des gestes simples comme le double nettoyage et maintenir une très bonne hydratation avec des essences et des crèmes.
La texture des produits solaires coréens est extraordinaire par rapport à ceux que l’on trouve en France qui laissent souvent des traces blanches. Les coréens ont vraiment une longueur d’avance sur ces produits qui protègent aussi des tâches. Ce sont des prouesses techniques aux déclinaisons multiples (sticks, gels…).
Il y a eu un boom des exportations pendant le Covid grâce aux formules sans transfert notamment pour les « cushion » et les encres à lèvres (mattes avec une excellente tenue et dosées avec des ingrédients très hydratants et nourrissants, elles protègent aussi du soleil).
Que représente la K-beauty dans l’économie de la Corée du Sud ?
Aujourd’hui, plus de 25 % des excédents d’exportations… devant Samsung ! D'ici 2026, le marché de la K-beauty est estimé à 21 milliards de dollars.
L'Europe représente 160 millions de dollars (51,3%) des exportations. La France est le premier marché avec 35 % des ventes totales de K-beauty en Europe.
Ce n'est pas un hasard, la cosmétique a été un moteur de développement du pays après la guerre, grâce à des décisions politiques très fortes au niveau de l’industrie. Aujourd’hui, il y a en Corée de très nombreux laboratoires comme dans la Pangyo Techno Valley dans la province du Gyeonggi ou à Sejong. Ils travaillent de manière extrêmement compétitive en affinant leur R&D et leur production avec de nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle et la Big Data pour optimiser la fabrication et être le plus efficace possible.
Il est à noter aussi que certaines marques françaises comme L’Oréal ou L’Occitane ont racheté des marques coréennes et de grandes marques de luxe développent certains produits en Corée.
Laura Jung chez Amore Seongsu à Séoul. © Laura Jung
Merci beaucoup Laura d’avoir pris un peu de votre temps précieux pour cette interview et de nous avoir partagé toutes ces photos !
Cette interview a été réalisée en deux temps, en face à face à Paris en juin puis par e-mail en août 2023.
Quant à moi, j’ai commencé à utiliser les produits coréens il y a trois mois pour préparer cet article. Honnêtement ? Je ne peux plus m’en passer ! Fini les crèmes trop épaisses ou collantes et les solaires qui laissent des traces blanches sur la peau. Les textures des produits coréens sont incomparables, les prix raisonnables et j’aime beaucoup ce « temps pour soi », quelques minutes par jour où l’on va appliquer les différents produits selon les principes du « layering » coréen (ci-dessous). Heureusement aujourd’hui il est moins fastidieux avec une réduction en trois ou quatre étapes grâce à des produits double emploi (par exemple une crème enrichie avec les principes actifs d’un sérum ou bien les toner essence).
1. Double nettoyage avec un corps gras comme une huile démaquillante puis un d’un nettoyant à base d’eau avec un Ph bas pour ne pas perturber la barrière cutanée.
2. Exfoliation. (1 à 2 fois par semaine)
3. Un toner est utilisé pour hydrater et préparer la peau à absorber les produits ultérieurs.
4. Une essence : c’est un produit léger et concentré aidant à hydrater, éclaircir et renforcer la barrière cutanée.
5. Un sérum : hautement concentré en ingrédients actifs, choisi en fonction des besoins spécifiques de la peau (hydratation, éclaircissement, anti-âge etc. )
6. Masque (1 à 2 fois par semaine) : imbibés de sérum, ils offrent une hydratation intensive et des bienfaits supplémentaires à la peau.
7. Une crème contour des yeux : pour hydrater, lisser et réduire les signes de fatigue ou de vieillissement.
8. Une crème hydratante : pour sceller l'hydratation et nourrir la peau.
9. Une protection solaire : essentielle pour protéger contre rayons UV nocifs.
Malgré tout et j'en ai fait l’expérience, il y a encore beaucoup de travail à faire pour rendre ces produits accessibles au plus grand nombre partout en France. Il y a des pop-up stores de temps en temps et plusieurs boutiques ont ouvert récemment, mais leur nombre est limité, les prix pas toujours abordables et les ruptures de stocks aléatoires. À leur décharge, importer des produits cosmétiques coréens est très compliqué car soumis à la règlementation européenne et aux tests. J’ai finalement choisi de passer mes commandes en ligne. Je groupe mes commandes pour avoir un montant minimum d’achat et éviter les frais de livraison et je vérifie que les produits sont bien en stock. Je suis livrée en 8 à 10 jours.
Liens utiles
Le magazine de Laura Jung, qui parle de cosmétiques coréens depuis 2014.
Le site Internet de YesStyles, pour commander en ligne depuis la Corée.
Le site Internet de Whamisa, pour commander en ligne depuis la France.
Le site Internet de Sephora.
Le site Internet de la boutique MIIN, qui possède un offline shop chez Beside Kimchi, 7 rue Saint Martin à Paris.
Le site Internet de MI-RÊ Cosmetics, marque franco-coréenne de maquillage haut de gamme et inclusive.
Le site Internet d'Olive Young, l’incontournable.
Le site Internet d'Amore Seongsu, à Séoul.
* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.
caudouin@korea.kr