Journalistes honoraires

07.11.2023

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Par la journaliste honoraire de Korea.net Alicia Baca Mondéjar de France


Ma mère est venue passer un mois à la maison. Ayant dépassé l'âge, l'état et l'envie d'être « la fille de », et avec un besoin impératif d'assumer mon altruisme forcé, j'ai branché omma devant les dramas coréens, histoire, je l'avoue, d'avoir la paix. Résultat des courses, elle en est devenue accro, à tel point qu'elle regarde de huit à dix épisodes par jour. Je ne peux plus mettre Nell ou Rain, ou JK à fond la caisse (Muse n'est plus qu'un souvenir) ou me concentrer pour écrire. Alors, je me fais une overdose (oui, ça arrive) de dramas coréens m'empiffrant de gâteaux japonais.

Nous visionnons les meilleurs, si déjà. Coffee Prince, My Lovely Sam Soon, You’re Beautiful, Boys Over Flowers, Oh! My Lady, Full House (elle se passe la fin en boucle), Take Care of the Young Lady… je la mets devant Alchemy of Souls et j'ai l'impression qu'elle ne respire pas devant Lee Jae-wook.

Extrait du drama « Boys over Flowers ». © Netflix

Extrait du drama « Boys Over Flowers ». © Netflix


Comme je les connais déjà, je les découvre autrement, je les regarde sous un autre angle. Depuis longtemps déjà, je lis, fascinée, les deux Corées. Et je lis et relis absolument hypnotisée. Alors avec ce conglomérat d'informations, je me retrouve à assimiler et à rechercher d'une façon tout à fait spontanée, le point commun et flagrant dans ces dramas qui caractérise une société, une culture.

Les valeurs clés de la culture orientale en Corée du Sud sont le spiritualisme, l'autorité familiale, l'holisme, l'autoritarisme et l'attitude formaliste, issus du confucianisme. Cette philosophie apparaissant vers le VIIIe siècle, la Corée du Sud continue encore aujourd'hui à la suivre religieusement. Nous rentrons dans l'aspect holistique, ses directives.

L'holisme est le point commun qui se dégage de « nos » merveilleux dramas. Du grec holos - entier - l'holisme est un système de pensée pour lequel les caractéristiques d'un être ou d'un ensemble ne peuvent être connues que lorsque l'on le considère et l'appréhende dans son ensemble, dans sa totalité. Ainsi, un être est entièrement ou fortement déterminé par une totalité dont il fait partie. Il suffit de connaître cette totalité pour comprendre toutes les propriétés de l'élément ou de l'entité étudiés. La société exerce une contrainte sur l’individu qui doit assimiler les principales règles et les respecter.

Traduction : le comportement des personnages est dû à l'idéologie du pays et à ses conséquences. Il est inutile et naïf de faire une étude individuelle de l'attitude. Tout est influencé par la philosophie locale, qui imprègne chaque fait et geste.

Extrait du drama « My Name is Kim Sam Soon ». © MBC

Extrait du drama « My Lovely Sam Soon ». © MBC


Et Internet. Et donc la mondialisation. La Corée du Nord est l'un des rares pays au monde où l'accès à Internet est interdit, ce qui n'est pas le cas de la Corée du Sud, qui n’hésite pas à se présenter comme le plus connecté au monde. Ces derniers ont installé une antenne radio près de la frontière avec l'intention de passer des infos à ses voisins communistes. Bien que seulement 5 % de la population aurait accès à une radio, la Corée du Nord a menacé de représailles. Le face-à-face entre les deux armées dure depuis le 23 mars 1953. Sachant que la Corée du Sud n'a jamais signé l'armistice de Panmunjeom et que, techniquement, les deux pays sont toujours en guerre, il y a de quoi être en alerte.

Le service militaire en Corée du Sud est obligatoire pour tous les hommes de 18 à 28 ans. En ce moment, les acteurs Park Seoham, Lee Do-hyun, Kang Tae-oh, Nam Joo-hyunk et d'autres, sont partis pour une période entre 18 et 21 mois. Le boys-band BTS, qui a rapporté 3,6 milliards de dollars de retombées économiques à la Corée du Sud, est actuellement en pause pour cette raison. À un moment donné, il était question d'un certain aménagement, comme il est le cas pour certains sportifs ou musiciens classique, mais, après des années de suspense provoqué par l'hésitation du gouvernement, ils ont pris la décision de leur propre chef.

La Corée du Sud, qui occupe une position de leader dans le domaine économique, alors que ses voisins comptent parmi les pays les plus pauvres du monde, s'autoimpose des pressions palliées, à mon avis, d'une façon assez effrayante. Alcool, suicides, achats qui entrainent aux dettes, un dévouement au travail… Pour revenir au point commun des dramas, je remarque cette obsession de contribution au pays. "Mendiant" est la pire des insultes. "Mendiant", sous-entendu "parasite", frein au développement économique de la nation. En Corée, avant toute cérémonie officielle, même à l'école, on salue le drapeau national. Cette cérémonie signifie la promesse de la fidélité à la nation. L'enfant est l'avenir de nation.

Je remarque des valeurs fossiles peut-être et à cause d'une mère espagnole (85 ans) qui engueule la télé : « Mais embrasse-la, espèce d'idiot ! ». « Mais il se prend pour qui le père ?, Pour Dieu ? ». « Voilà, la solution est de picoler ! ». « Mais ce n'est pas sa faute s'il est pauvre ! ». « Vielle à 30 ans ? C'est quoi ce truc ? ». « Ils n'ont pas des chaises dans ce pays ? ». Elle a aussi flashé sur la bouche de Rain et tombée amoureuse de Jang Geun Seok, mais ça c'est déjà une autre histoire (« Regarde-le, regarde-le, il est tellement beau qu'il va finir par exploser »).

J'assiste en live au choc de cultures. Il se dégage en effet une impression de "ils n'ont pas le droit de" ou "Ils sont obligés de" de ces vieux dramas. Comme un genre de vapeur qui transpire malgré tout. Pas le droit de parler librement d'homosexualité, d'une seconde chance après un divorce (ou c'est mal vu), pas le droit d'aimer quelqu'un de plus riche, de désobéir aux parents, de vivre en concubinage… Mais ainsi comme je l'ai constaté dans les films indiens, l'envie de changement déborde tout doucement de ces épisodes.

Je suis heureuse aussi d'observer que les derniers dramas dénotent une évolution des mœurs et de pensée qui traduisent une tendance, encore chancelante certes, à la mondialisation. La nouvelle génération commence à assimiler, via internet - et dieu Netflix -, une nouvelle vision ou plutôt, une toute autre vision perçue dans sa globalité.

Affiche du drama « Alchemy of Souls ». © Netflix

Affiche du drama « Alchemy of Souls ». © Netflix


Et puis les dramas, malgré ou grâce à ce qu'ils montrent, réunissent des peuples. Les Coréennes (et les non Coréennes, moi, par exemple) sont tombées amoureuses de Takeshi Kaneshiro, Takuya Kimura, Jin Akanishi ou encore Kamenashi Kazuya. Les Japonaises « kiffent » Rain, Lee Min Hoo ou Bae Yong-joon, l'acteur coréen le plus populaire au Japon, devenu la vedette principale de la vague coréenne. Des milliers des fans japonaises se sont mises à apprendre la langue coréenne et étudier l’histoire de la Corée grâce à lui.

Au cours de l'année 2010, le Premier ministre japonais Naoto Kan a présenté des excuses pour les souffrances infligées au peuple coréen pendant les 35 ans de colonisation de la Corée par le Japon, dans une tentative de renforcer les liens entre les deux pays et se débarrasser tout doucement de son passé de puissance agressive. Au cours de la même année, l'Union européenne a conclu avec la Corée du Sud le plus important accord de libre-échange jamais conclu avec un pays asiatique. Les États-Unis et le Japon ont proposé de l'aide à la Corée du Sud, vu les régulières menaces d'attaque que la République populaire démocratique de Corée, l'un de pays le plus armé du monde, émet envers ses voisins.

L'Amérique du Sud s'est mise à acheter des dramas coréens en masse (je me demande si cela a influencé Shakira à faire paraître des coréennes dans ses clips). Ma mère, mère espagnole jusqu'à l'os, 85 ans élevée à la typique télévision espagnole (et qui vient me visiter en France avec sa valise remplie de nourriture espagnole), écoute Rain et G-Dragon, me demande « le beau gosse » (Jung Kook en l'occurrence) et regarde non-stop des épisodes coréens sous-titrés (ce sont ses premiers sous-titres).

Il m'est très difficile de raconter cette culture à ma mère, cette femme qui est née pendant la guerre civile espagnole et qui a vécu sous Franco. Cette femme qui appelait tous les Asiatiques des Chinois et qui, à force d'être chez moi, a fini par comprendre sa maladresse. Je lui explique certains codes, des mœurs, des éléments inhérents à la culture. Mais elle ne comprend pas. Alors je lui dis de laisser tomber et de juste regarder. Et c'est ce qu'elle fait. Fascinée, le sourire en bouche. J'assiste en direct à cette espèce de transformation. À un moment donné, elle me demande où est située la Corée. C'est fait. Omma est devenue une fan. Comme la majorité de tous ceux qui finissent par regarder un drama, à savoir la plupart de la planète.

Extrait du drama « Full House ». © Netflix

Extrait du drama « Full House ». © Netflix


Je vois la Corée du Sud comme un fleuve qui commence à s'infiltrer par toutes les brèches, chemins et recoins. Est-ce dû seulement à leur obsession pour la construction et évolution de leur pays ? Je ne le crois pas… Derrière « tout ça » il y a des sentiments très profonds, la vraie clé. Est-ce le résultat d'un peuple qui souffre, qui a trouvé une façon d'exprimer de l'amour ? Ah ! L'éternelle interaction inhérente au cinéma asiatique que j'avais déjà connu avec les films indiens !

Dans un drama coréen, un jeune homme demande à sa copine de monter chez lui. C'est la première fois et la jeune femme visualise dans sa tête ce qu'elle porte comme sous-vêtements. S'ils sont sexy ou s'ils sont quelconques. Je me suis fait la réflexion que même si les cultures peuvent être très différentes, il y a une essence commune, quelque chose de propre à l'être humain. Les dramas coréens exploitent cette identification aux personnages, peu importe du coin du monde d'où l'on vient. Cela nous touche et on aime ça. 15 ans ou 85 ans.

Extrait du drama « Coffee Prince ». © Netflix

Extrait du drama « Coffee Prince ». © Netflix



* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.

caudouin@korea.kr