Journalistes honoraires

06.12.2023

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Du 31 octobre au 7 novembre 2023, le festival du film coréen à Paris a célébré sa dix-huitième édition au cinéma Publicis, sur la prestigieuse avenue des Champs-Élysées. Cette semaine, les journalistes honoraires de Korea.net Marie-Line El Haddad et Emilio Naud reviennent sur cet événement incontournable et attendu chaque année par les amoureux de cinéma coréen.

La productrice Kang Hye-Jung et le réalisateur Ryoo Seung-Wan à Paris, le 1er novembre 2023. © Marie-Line El Haddad

La productrice Kang Hye-Jung et le réalisateur Ryoo Seung-Wan à Paris, le 1er novembre 2023. © Marie-Line El Haddad



Par Marie-Line El Haddad et Emilio Naud

Le 18e festival du film coréen à Paris (FFCP) s’est ouvert le 31 octobre dernier avec le dernier film de Ryoo Seung-wan, Smugglers. Il raconte l’histoire de haenyos se retrouvant mêlée à des histoires de contrebandes, le tout dans une Corée en proie à la dictature pendant les années 70. Le film a reçu quatre prix lors de la 44e cérémonie des Blue Dragon Film Awards à Séoul le 24 novembre 2023 : Meilleur Film, Meilleur Acteur secondaire pour Jo In-sung, Meilleure Actrice secondaire pour Go Min-si et Meilleure Musique.

À l’occasion de sa venue à Paris pour présenter son film, nous avons eu le privilège de pouvoir rencontrer et discuter avec Ryoo Seung-wan lui-même, ainsi qu’avec l’une des productrices du film, Kang Hye-jung. L'interview s'est déroulée le 1er novembre dans un studio loué pour l'occasion par les équipes du FFCP.

Marie-Line El Haddad : Quelle a été votre inspiration pour ce film ?

Ryoo Seung-Wan : Le point de départ du film a été la visite du vice-président de la société de production, M. Choi Sung-min, dans un petit musée en province. Là-bas, il a lu un article traitant de femmes plongeuses pêcheuses, les haenyos, qui avaient été mêlées à une histoire de contrebande dans les années 70. Ce qui m’a motivé dans cette histoire c’est le fait que le métier de haenyo est un métier qui existe surtout en Corée. De plus, le fait qu’elles soient associées à un crime était inédit, j’ai trouvé cela très stimulant.

On remarque dans le film un fort contraste entre la période des années 70, haute en couleur, et la sévérité du régime de l’époque, incarnée notamment par le chef des douaniers, habillé plus sobrement. Quel message souhaitiez-vous faire passer au travers de cette scénographie ?

Ryoo Seung-wan : C'était vraiment quelque chose d’important pour moi de recréer l'ambiance de l’époque au travers des costumes et les couleurs des années 70. C’était une période très austère en Corée où tout était sous contrôle.

Mais pour tout être humain, quand on lui interdit des choses et qu’on restreint les choses autour de lui, il y a une sorte de réaction automatique qui fait qu’il a envie d’avoir plus de liberté.

La Corée des années 60-70 est une société que les Français ne peuvent pas du tout imaginer. À l’époque, la police avait une règle et mesurait la longueur des cheveux des hommes, ils prenaient des ciseaux et coupaient les cheveux trop longs. C’était une époque où, pour les femmes, quand les jupes arrivaient trop au-dessus du genou, elles écopaient d’une amende.

À cause de cette pression-là, les gens aspiraient à quelque chose de très coloré et cela a beaucoup à voir avec la contrebande née à ce moment-là. Quand on voit cela aujourd’hui, ces marchandises sont insignifiantes, mais à l'époque c’était un crime en raison des critères sociaux qui régnaient.

Pour cette époque qui était autant sous contrôle, je voulais que les couleurs explosent. C’est pour cela que j’ai utilisé beaucoup de couleurs primaires.

Par ailleurs, vous opposez la revanche ingénieuse et réfléchie des femmes à la violence physique et spontanée des hommes, notamment au travers de scènes de cascades chorégraphiées de manière assez spectaculaire. Je pense surtout à la « bataille » finale sous l’eau. Pourquoi avoir décidé d’opposer hommes et femmes dans ce film ?

Ryoo Seung-wan : Ce n’était pas du tout une idée intentionnelle de les opposer, c’est l’histoire qui a mené à cela. Les personnages principaux sont des haenyos mêlées à un crime, donc ce sont des femmes, mais, pour les mêler à ces crimes, ce sont les hommes qui sont au premier plan. Et finalement le fait qu’ils entrent en conflit est quelque chose de complètement naturel puisque les commanditaires et les vrais criminels sont ces hommes et ces femmes.

Pour les hommes ce sont des gangsters, ils sont donc exposés à la violence, c’est quelque chose de normal pour eux. Donc le fait que ces femmes-là soient confrontées à la violence, il est naturel qu’elles aient une attitude plus réfléchie.

Vous abordez la culture des haenyeo sous un angle assez inédit et original, loin de la représentation « classique ». D’habitude ce sont des femmes d’un certain âge, souvent venant de l’île de Jeju ; tandis que vous montrez des femmes plus jeunes vivant sur une ville côtière du continent. Le point commun entre ces deux visions est la menace de disparition mais pas pour les mêmes raisons. Pourquoi avoir choisi d’aborder ce sujet sociétal de cette manière ?

Ryoo Seung-wan : Je pense que ce que vous dites représente assez bien le regard, le préjugé qu’on a sur les haenyos. Les personnes âgées dont vous parlez ont été jeunes et donc les voir jeunes dans les années 70 est normal.

En Corée il y a une école de haenyos et il y a là-bas des haenyos assez jeunes. De jeunes haenyos sont même venues sur le tournage pour coacher les actrices sur les gestes et attitudes à adopter.

C’est vrai que la plupart des médias accentuent beaucoup le fait que c’est un métier très difficile fait par des personnes âgées, et je pense que cela fait beaucoup plus appel à une sorte de nostalgie ou de sérénité qu’ils voudraient que les gens aient, cela fait partie du préjugé qu’on a.

Mais il y a donc des jeunes haenyos qui sont très belles aussi.

Dans plusieurs de vos films vous accordez une place centrale ou au moins mentionnez un conflit international à l’instar du conflit Japon-Corée dans Battleship Island, les conflits en Afrique ainsi que le conflit entre Corée du Sud et Corée du Nord dans Escape from Mogadishu et enfin la guerre du Vietnam dans Smugglers. Pourquoi intégrer ces conflits internationaux dans vos films ? Quelle place occupe la guerre dans votre vision du monde et votre filmographie ?

Ryoo Seung-wan : Ce ne sont pas des choses intentionnelles, et maintenant que vous me posez la question, j’y réfléchis.

Mais c’est vrai qu’à titre personnel, on peut croire que les conflits à l’autre bout du monde ne nous concernent pas, mais finalement on est tous liés, il y a des conséquences qui nous touchent directement. On a beau croire que le conflit Ukraine/Russie ou Israël/Hamas est quelque chose qui est à l’opposé du monde, on peut donc croire que cela ne touche pas, pourtant c’est le cas.

Par exemple, le vol Séoul/Paris a duré quatorze heures, et c’est la conséquence du conflit actuel. Il est naturel que cela nous concerne tous, sans être toutefois obnubilés, car cela a des conséquences sur notre vie quotidienne.

Est-ce que c’est votre objectif de faire des films, même si placés dans une autre époque, qui soient autant d’actualité, que ce soit par ces enjeux sociétaux, les conflits internationaux, la place des haenyos ou dénoncer certaines formes de régimes. Finalement, tout cela est très d’actualité ?

Ryoo Seung-wan : Personnellement je pense que je peux traiter du passé, du présent ou du futur, je traite avant tout de l’être humain. Finalement si je fais du cinéma c’est parce que je suis influencé dans le présent mais la chose la plus importante reste quand même les personnages et l'événement. Mais quand je fais des films je n'ai pas en tête d’influencer qui que ce soit. Quand je fais des films je suis dans le présent et je suis fidèle à ce qui m’intéresse et à ce que je pense.

Madame la productrice, qu’est-ce qui vous a motivée à produire ce film ? Qu’avez appréciez dans l’histoire proposée ?

Kang Hye-jung : Personnellement je trouvais qu’une histoire de femmes mise en scène par Ryoo Seung-wan, c’est quelque chose, dans le domaine du cinéma, qui constitue comme une sorte de tournant, quelque chose de très important.

Ça me plaisait beaucoup que les femmes ne soient pas coltinées à une sorte d’accessoire dans les films de genre et que ce soient elles qui dirigent le film. En plus il y avait ce métier de haenyo qui est vraiment très intéressant.

Pour ceux qui ont vu le film, il y a une scène à la fin où toutes ces femmes, toutes ces haenyos réunissent leurs forces afin de contrecarrer les hommes. C’est une scène très jouissive qui s’en dégage et qu'on n'avait jamais vu auparavant.

La Corée du Sud connaît un très fort engouement depuis quelques années, bien que le cinéma coréen ait du succès à l’international depuis plus longtemps encore. Votre public cible a-t-il changé depuis vos débuts ? Ciblez-vous le public international au-delà du marché coréen lorsque vous réalisez ou produisez un film ?

Kang Hye-jung : Je ne fais pas de films en ciblant un certain public. Mon principe directeur est que l’histoire plaise au public, que cela lui parle. A la sortie du film, bien évidemment, en termes de marketing, on pense beaucoup à une stratégie efficace pour cibler un public.

Le public étranger est bien sûr important mais je ne fais pas de films en ciblant précisément un public étranger.

Bien sûr maintenant les films coréens s’exportent et comme ce sont des films de genre, que ce soient les films coréens ou les films du réalisateur Ryoo Seung-wan, on se demande comment on peut véhiculer, transmettre une histoire de la façon la plus universelle possible. En tout cas, il y a encore beaucoup de choses à faire.


* Cet article a été rédigé par deux journalistes honoraires de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.

caudouin@korea.kr