Du 31 octobre au 7 novembre 2023, le festival du film coréen à Paris a célébré sa dix-huitième édition au cinéma Publicis, sur la prestigieuse avenue des Champs-Élysées. Cette semaine, les journalistes honoraires de Korea.net Marie-Line El Haddad et Emilio Naud reviennent sur cet événement incontournable et attendu chaque année par les amoureux de cinéma coréen.
Le réalisateur Lim Seung-Hyun à Paris, le 6 novembre 2023. © Marie-Line El Haddad
Par Marie-Line El Haddad
Pour son troisième festival du film coréen à Paris, le jeune réalisateur Lim Seung-hyun présente au public français son deuxième long-métrage,
The Ripple.
Ce film poignant raconte l’histoire d’une grand-mère, une embaumeuse, qui dédie ses journées à la recherche de sa petite-fille disparue un an plus tôt dans un dramatique accident. Dans sa quête de vérité, son destin se trouvera lié à celui de la meilleure amie de sa petite-fille, elle aussi hantée par la tragique disparition.
Au-delà du simple drame,
The Ripple émeut par son approche sur les relations entre deux générations a priori éloignées (voire opposées) et pourtant unies dans le même chagrin.
À l’occasion de la présentation de son film à Paris, nous avons pu rencontrer le réalisateur pour un échange exclusif et privilégié dans un studio loué pour l'occasion par les équipes du festival du film coréen à Paris, le 6 novembre dernier.
Marie-Line El Haddad : Quelle a été votre inspiration pour ce film ?
Lim Seung-hyun : Il y a deux choses. La première, j’ai été faire du rafting avec ma famille dans la province du Gangwon en Corée. À l’époque je ne nageais pas mais elle m’a forcé à y aller. Il y a eu un tout petit accident ce jour-là, le bateau a commencé à chavirer et j’ai dérivé. Bien sûr, je ne suis pas mort comme la petite fille dans le film, mais depuis, j’ai pu voir à quel point mes parents ont pu ressentir cette forme de culpabilité et cela m’avait beaucoup marqué.
La deuxième est le documentaire sur l’effondrement du grand magasin Sampoong à Séoul (le 29 juin 1995, ndlr). Dans le documentaire on voyait parmi les décombres, parmi ces ruines qui allaient vers la décharge, des familles venir avec de longues pinces pour essayer de retrouver leurs proches. C’est une scène qui m’avait beaucoup marqué. Certaines personnes venaient récupérer les corps. Je me suis dit que cela pouvait m’aider à faire ce film.
Vous parlez de votre expérience d'enfant avec l’eau. D'ailleurs, celle-ci occupe une place prépondérante dans votre film, déjà avec le titre puis, tantôt comme symbole d’espoir et de rédemption au travers de la natation et des recherches de la grand-mère, tantôt comme élément destructeur et meurtrier avec la pluie et la rivière. Pourquoi avoir choisi cet élément en particulier ? Quel message souhaitiez-vous faire passer ?
L’eau est pour moi, le lieu où toutes les créatures vivantes peuvent être sauvées, il y a ce thème de la rédemption.
Mais j’ai une vraie peur de l’eau, dès qu’on voit que l’eau commence à s’infiltrer de partout, qu’une rivière sort de son lit, il y a cet élément qui peut être dévastateur, qui peut tuer des êtres humains.
Il y a cette opposition qui m'a enchanté, charmé. Le son de l’eau était également quelque chose de très important pour moi.
Le thème de l’alcoolisme, bien qu’occupant une place plus secondaire, reste tout de même un élément crucial dans le film. Vous le montrez presque comme la cause principale du décès de la jeune fille. Pourquoi avoir choisi d’aborder ce thème en particulier ?
Pendant l’écriture du scénario, j’ai interviewé beaucoup de personnes qui travaillaient dans les morgues puisque le personnage principal, Ye-boon, est une embaumeuse. Je leur avais demandé ce qui était le plus douloureux pour eux dans leur travail et beaucoup m’ont répondu que c’étaient les problèmes d'alcool. Je pense que c’est parce que c’est un travail très proche de la mort et qu’ils ont besoin d’une échappatoire, d’un défouloir.
En même temps, c’est vrai que mon père, par différents aspects, avait des problèmes avec l’alcool, et c’est ce qui m’a inspiré.
La mort est particulièrement présente dans le film, entre la jeune fille, la grand-mère, et le travail au funérarium. Avec la mort, vous abordez aussi le deuil en Corée du Sud. Comment percevez-vous ce sujet aussi délicat à traiter et profondément culturel par nature ?
Je voulais avant tout faire une histoire sur la perte car n’importe qui connait ce qu’est la perte d’un être cher. En même temps, la mort est un thème qui nous est toujours très éloigné mais cela peut frapper n’importe où et n’importe qui. Donc pour essayer de réduire la distance qu’il y a entre nous et la mort, j’ai beaucoup parlé et discuté avec mon co-auteur Kim Seung-won de l’image et de la pensée que l’on a sur la mort. Ce n’est pas un thème que l’on traite de façon fréquente mais c’est la volonté que j’avais en moi de traiter ce sujet.
Quelle est la particularité du deuil en Corée du Sud ? Les rites sont-ils différents de ce qu’on peut trouver ailleurs dans le monde ?
Effectivement, c’est aussi une question qu’on m’avait posé lors du débat après le film (lors de la session de questions réponses au festival du film coréen à Paris, ndlr) mais je ne sais pas trop ce qui se fait culturellement en France, donc je ne saurais pas dire quelles sont les différences avec la Corée. Toutefois, j’imagine bien qu’il y a un processus ou en tout cas des rites qui sont différents en Corée.
On a par exemple la veillée de trois à quatre jours pour les funérailles. Au début, les proches, la famille sont réunis pour faire le deuil à une période. Puis, on reçoit les amis et les proches soit pour enterrer la personne décédée, soit au crématorium.
La construction du pont est perçue comme un élément perturbateur du film, au point que la jeune Ji-yoon sabote le chantier tandis que Ye-boon accélère ses recherches. Toutefois vers la fin, le pont semble être l’élément qui leur permet d’aller de l’avant et de passer à autre chose. Que représente le pont, dans votre film et pour vous ?
C’est effectivement un élément perturbateur. Je voulais qu’on ait un lieu où cela représente un obstacle insurmontable pour une seule personne, en l’occurrence Ye-boon.
D’ailleurs, lors du repérage, on a beaucoup cherché, on a mis tous nos efforts pour trouver ce lieu-là avec ces travaux. Il s’agit en réalité d’un pont qui a commencé à être construit il y a trente ou quarante ans et dont le chantier a été mis à l’arrêt.
Finalement, vous savez, quand on a une rivière, il faut pouvoir la traverser, soit par un pont, soit avec un bateau et cela montrait que la distance entre Ye-boon et la petite fille est infranchissable mais le pont va servir littéralement de pont entre ces deux êtres.
Vous avez choisi deux personnages principaux féminins issus de deux générations différentes et souvent mis en opposition de nos jours. Pourquoi avoir fait ce choix et comment cela s’est-il répercuté sur le casting ?
Mon co-auteur a été élevé par sa grand-mère et avant même d’écrire le scénario il m’avait beaucoup parlé d’elle. J’ai toujours été très curieux à ce sujet car je n’ai pas connu ma grand-mère et je trouvais cela très intéressant de voir cette relation entre un petit-fils et sa grand-mère ainsi que l’alchimie qui en découle. C’était intéressant de voir qu’on sautait une génération entre les deux. J'étais très curieux de voir ce que ça allait donner et donc de répondre à cette curiosité. C'est pour cela que j’ai fait le film.
Quant au casting, j’ai eu de la chance avec mes deux actrices car pour Ye-boon, dans le cinéma indépendant coréen, elle est une grande figure. Tout le monde la connait mais je n’avais jamais travaillé avec elle. J’ai demandé son contact et c’est comme ça que je l’ai rencontrée.
L’actrice qui joue Ji-yoon s’appelle Song Hye-soo. On a fait énormément de castings d’enfants avant de la choisir, jusqu’à trois auditions d’affilée. Pour la première audition on leur donnait un petit passage de dialogue et on voyait comment les enfants apprenaient leur dialogue et comment il le déclamait. Mais la scène était très courte et malgré cela, on voyait que Song Hye-soo était parfaite, elle jouait très bien son personnage et cela m’avait beaucoup étonné. Après lors de la deuxième audition en fait j’ai appris qu’elle ne savait pas nager. Mais elle est revenue au bout de deux semaines d’entraînement intensif ; j’ai donc pu voir à quel point elle était perfectionniste. Pour la troisième audition, elle a lu du début à la fin tous ses dialogues et la lecture était impeccable.
Ceci est votre deuxième film et, tout comme le premier, il est également montré au festival du film coréen à Paris, qu’est-ce que cela représente pour vous de pouvoir montrer vos films à l’international ?
Avec mon court-métrage, ce sont mes trois films qui ont été montrés ici, c’est quelque chose d’assez étonnant. Déjà, rien que pour montrer mon film a un public cela nécessite beaucoup d’efforts rien qu’avec la distribution en Corée. Je n’avais jamais imaginé pouvoir montrer mon film à l’étranger donc je suis extrêmement heureux. Ce qui est très intéressant c’est que je vois ici qu’il y a différents points de vue que moi je n’aurais jamais imaginé et cela va beaucoup m’aider car justement je me dis que dans le futur, lorsque je ferai des films, il faut que j’aie une vision un peu plus large et beaucoup moins étriquée.
Le cinéma coréen a de plus en plus de succès en France et dans le monde, à quoi attribuez-vous ce succès ?
En effet, il est très difficile de répondre. Je me demande si ce n’est pas à cause de ces différents réalisateurs qui ont fait beaucoup de tentatives dans les films de genre. C’est d’ailleurs moi aussi une volonté que j’ai. Mais à l’intérieur, au sein de conventions de genre, ils essaient de trouver leur propre tonalité, leur propre couleur. C’est aussi ce que j’essaie de faire, en tout cas j’y attache beaucoup d’importance. Je me dis que c’est sûrement ça qui a dû plaire à l’étranger, qui a dû être perçu comme quelque chose de nouveau, de frais puisque même si le système peut ressembler un peu à un système hollywoodien, finalement chaque réalisateur coréen apporte sa propre touche personnelle.
* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.
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