Journalistes honoraires

16.02.2024

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Bobae KIM, hanbok sur mesure du marché traditionnel de Gwangjang, à Séoul. © Bernard Delhalle, photographe

Bobae Kim, hanbok sur mesure du marché traditionnel de Gwangjang, à Séoul. © Bernard Delhalle, photographe



Par la journaliste honoraire de Korea.net Millie Chiron de France

Suite au concert auquel j’ai pu assister du groupe franco-coréen Moon Trio l’été dernier aux « Estivales de la Treille » à Lille, j’ai souhaité aller à la rencontre des membres de cet ensemble musical. J’ai eu la chance d’interviewer Benjamin Chalat, saxophoniste et directeur artistique dans l’article précédent. Aujourd’hui, je souhaite mettre à l’honneur la chanteuse Bobae Kim.

Bobae est une jeune femme d’origine coréenne, chanteuse lyrique renommée dans la région des Hauts-de-France, travaillant pour de nombreuses maisons d’opéra en France, en Belgique et au Luxembourg principalement et aussi professeure de chant.

Elle me décrit son activité comme telle : « Je suis enseignante en chant lyrique et technique vocale à l’École de Musique de Villeneuve d’Ascq, la plus grande école de musique associative de France, mais interviens également auprès de chorales dans le cadre de stages ainsi qu’en cours particuliers. Lorsque l’Opéra de Lille me missionne, j’exerce mes professions dans des écoles du territoire de la métropole lilloise. Mon rôle est de faire connaître le chant lyrique et la culture de l’opéra à tout public non initié et tout spécialement aux enfants et adolescents des quartiers défavorisés. Comme je suis coréenne, j’offre l’opportunité aux gens de découvrir la musique ainsi que la langue de mon pays natal, c’est une facette de mon métier qui me passionne. J’aime particulièrement cette dimension de partage culturel. »

Bobae m’a ensuite révélé l’aspect le plus gratifiant de son travail : « J’adore voir mes élèves réussir à surmonter un problème technique, un blocage parfois physique parfois psychologique, et entendre jaillir leur voix réelle, à la fois libérée et intime. J’ai un véritable retour immédiat des élèves que j’aide à s’épanouir et progresser. »

Être chanteuse lyrique implique un travail rigoureux au quotidien : « la préparation d’un chanteur est similaire à celle d’un athlète de haut niveau et nécessite un entraînement méticuleux régulier : échauffement du corps, vocalises pour entraîner les muscles des cordes vocales, travail sur les différents résonateurs, etc. Le plus important est d’être à l’écoute et de comprendre son corps. Le chant lyrique est comme une autothérapie, une pratique vertueuse pour le cœur, le corps et pour l’âme. C’est ce que je veux transmettre à mes élèves. »

Bobae Kim avec le Geochang Wind Orchestra, Corée. © Geochang Wind Orchestra

Bobae Kim avec le Geochang Wind Orchestra, Corée. © Geochang Wind Orchestra


Un parcours atypique

En discutant avec Bobae, j’ai été émerveillée par sa passion pour sa profession. J’ai souhaité l’interroger sur le parcours qui l’a mené à sa brillante carrière actuelle, voici le récit qu’elle m’a livré :

« Je suis arrivée en France en 2005 suite à un voyage d’été que j’avais réalisé avec mon université coréenne. Mon rêve le plus cher était de partir à l’étranger pour découvrir une culture différente de la mienne. J’étais toutefois restreinte financièrement et cela a donc un peu réduit mes choix de destination. J’ai tout d’abord voyagé en France durant un mois. Je suis tombée sous le charme de ce pays et je voulais dès lors absolument y retourner. Quelques mois plus tard, j’ai eu la chance de pouvoir m’y rendre à nouveau pour un séjour plus long à la durée indéterminée mais je ne parlais pas du tout le français. J’ai alors commencé à apprendre la langue à l’Université Catholique de Lille pendant six mois et je me suis inscrite en Licence d’anglais en parallèle.

Entre temps, comme j’aimais chanter depuis mon plus jeune âge, je me suis renseignée pour trouver des cours. Le Conservatoire de Tourcoing proposait des cours théoriques de jazz et le Conservatoire de Roubaix des cours chant lyrique. Sur les conseils de mes connaissances locales, je me suis donc orientée vers le Conservatoire de Roubaix où étaient également prodigués des cours d’art dramatique. Voici comment a débuté ma vie de chanteuse lyrique. »

A partir de ce moment, Bobae s’est consacrée pleinement à sa passion : « Le chant lyrique est venu très naturellement pour moi. Pendant mon apprentissage, je vivais presque toujours au Conservatoire et je me suis investie plus que les autres ayant commencé très tard. »

Après ses études de 1er cycle à Roubaix (d’une durée de quatre ans qu’elle a validé en un an) et ayant découvert un vrai talent reconnu par ses professeurs, Bobae a déménagé à Paris pour effectuer un cycle professionnel. Elle tenté de passer l’examen de fin d’étude dès sa deuxième année car la vie parisienne coûte chère mais n’a très malheureusement pas réussi. « J’ai eu un blocage après cet échec, me retrouver face à ce mur n’a pas été facile à accepter pour moi car j’avais cette envie de rester en France, pays où j’avais déjà construit ma vie, et je me retrouvais dans une situation d’urgence. »

Suite à cet événement douloureux, Bobae a fait une pause dans sa carrière musicale : « J’ai découvert l’I.A.E. de Lille (University School of Management) où j’ai pu obtenir un Bachelor Management International en un an. J’ai validé ce diplôme me permettant de travailler en entreprise. »

Pendant ce cursus, Bobae a eu l’opportunité de réaliser un stage dans l’entreprise coréenne « Hyundai France », présidée à l’époque par M. Im Deok-Jeong.

« Travailler pour Hyundai France a été l’occasion pour moi de découvrir beaucoup de choses. J’étais chargée de communication et avais de nombreux interlocuteurs coréens. Monsieur IM m’a conviée à toutes les rencontres de personnalités importantes, ce qui m’a ouvert les portes de différents univers que je ne connaissais pas. J’ai rencontré des patrons d’entreprises français et coréens, des personnalités éminentes de la mairie de Paris, des lieux auxquels je n’aurai jamais eu accès autrement. »

Alors qu’elle travaille pour Hyundai, Bobae reçoit plusieurs réponses positives suite à des auditions passées à l’Opéra des Flandres et l’Opéra de Lille qui souhaitent l’embaucher dans différentes futures productions.

« J’ai reçu ces propositions de maisons d’opéras prestigieuses au moment où je devais renouveler mon contrat et négocier mon salaire chez Hyundai. Ne sachant pas quoi choisir, j’ai demandé conseil à mon supérieur, Monsieur IM, qui m’a guidée en toute bienveillance. Il m’a incité à faire ce qui m’animait et me passionnait : le chant lyrique. » Il a finalement trouvé les justes mots pour lui faire reprendre sa carrière de chanteuse lyrique alors qu’elle y avait renoncé.

Pour Bobae, sa rencontre avec M. Im, le président de Hyundai France, a été fondamentale car il lui a donné l’opportunité de chanter à plusieurs reprises dans le cadre du travail notamment pour un concert franco-coréen organisé une fois par an à Paris et sponsorisé par l’association « Échos de la Corée ».

Les débuts de Bobae en tant que chanteuse lyrique et la création du Moon Trio

Bobae accepte alors plusieurs productions de maison d’opéra et découvre l’ivresse de la scène ; elle sera par la suite sollicitée de manière continue et jusqu’à ce jour par l’Opéra de Lille.

Bobae Kim sur scène à l’Opéra de Massy © Opéra de Massy

Bobae Kim sur scène à l’Opéra de Massy © Opéra de Massy


Son quotidien de chanteuse lyrique consiste à travailler de manière permanente à l’entretien et au développement de ses capacités vocales et musicales, à passer de nombreuses auditions dans différentes institutions culturelles. Bobae, dans un souci professionnel et passionnel, prend la décision, en toute humilité, de reprendre les cours de chants avec sa première professeure du Conservatoire de Roubaix : Brigitte Toulon, une autre rencontre décisive dans sa vie et pour l’avenir de sa carrière.

C’est à la même période que Bobae croise le chemin du saxophoniste, professeur et artiste, Benjamin Chalat : « J’ai rencontré Benjamin car je remplaçais quelqu’un pour un spectacle à l’école de musique dans laquelle il enseignait et pour laquelle il écrivait un spectacle important mêlant musique, danse classique, hip-hop, théâtre et chant lyrique. »

Bobae Kim avec l’Orchestre de Saxophones des Hauts-de-France, sous la direction de Benjamin Chalat. © Daniel Edouin, photographe

Bobae Kim avec l’Orchestre de Saxophones des Hauts-de-France, sous la direction de Benjamin Chalat. © Daniel Edouin, photographe


Elle m’a alors raconté la création du Moon Trio : « Quand j’ai fait la connaissance de Benjamin, il était déjà très inspiré par la création artistique, et après m’avoir écouté chanter, il a souhaité que nous réalisions des projets ensemble. La conception du Moon Trio (une voix lyrique et deux saxophones) s’est avérée naturelle, facile et évidente. C’était comme la formule magique idéale pour un mariage de la culture de nos pays : la France et la Corée. Nous avons alors construit petit à petit et patiemment, ensemble, notre projet musical, puis nous nous sommes produits à l’occasion de nos premiers concerts. Les retours du public ont immédiatement été très positifs. Les gens ont adoré découvrir l’alchimie intime et inouïe de nos deux cultures. Même si peu de français maîtrisent la langue coréenne, l’importance pour nous était de mettre l’accent sur l’expression visuelle, dramatique et d’incarner les émotions au-delà de notre musique par nos visages et nos corps, de donner à voir et à entendre l’expression des sentiments universels de notre union culturelle. ».

Bobae est aujourd’hui fondamentale animée par cette volonté de transmettre le chant lyrique et la culture coréenne : « Je veux éveiller à cette notion de partage, de construire ensemble, dans un sentiment de confiance, autour du chant lyrique. J’ai la chance de pouvoir également faire connaître la culture coréenne avec mes interventions dans les écoles. Lorsque je travaille avec des enfants et adolescents des quartiers populaires, c’est un moment vraiment merveilleux : ils ont les yeux qui brillent lorsqu’ils découvrent ce monde magique dont ils ignoraient l’existence. »

Le Moon Trio : Benjamin Chalat, Bobae Kim et Pietro Angelillo. © Bernard Delhalle, photographe

Le Moon Trio : Benjamin Chalat, Bobae Kim et Pietro Angelillo. © Bernard Delhalle, photographe


Identité franco-coréenne et inspirations artistiques

Bobae est également l’heureuse maman d’un petit garçon franco-coréen de 7 ans. En effet, Bobae épousa, en 2015 en France et en 2018 en Corée, son partenaire de scène Benjamin devenant son « partenaire de vie ». Le trio porte le nom de « Moon », un bel hommage à leur propre fils Moon et au père de Bobae dont ils ont décidé de garder le premier caractère signifiant « la porte », « la porte de la Littérature » ou encore « la porte des Arts ».

En tant que maman, elle essaie d’équilibrer sa vie professionnelle et sa vie familiale. Cependant, par la nature de son métier d’intermittente du spectacle, cela n’est pas simple et demande beaucoup de concessions car elle est sollicitée le soir, les week-ends et n’a jamais des horaires et un calendrier fixe ou prévisible. Elle souhaite, ainsi que Benjamin, préserver la richesse de cette double culture franco-coréenne : « Quand je suis avec mon fils, je parle essentiellement coréen. Je veux que Moon appréhende et intègre les deux cultures même si nous vivons en France et j’aimerais qu’il puisse s’imprégner de la manière la plus naturelle qui soit de sa culture coréenne et maternelle, d’autant plus que nous rendons visite chaque année à mes parents et toute ma famille ».

La famille Chalat Kim : Bobae, Benjamin et Moon. © Studio AM View

La famille Chalat Kim : Bobae, Benjamin et Moon. © Studio AM View


La famille est un pilier essentiel pour Bobae : « J’essaie de retourner voir mes parents au moins une fois par an. Je veux créer un lien fort et évident entre mes parents et Moon. » En Corée, l’enfance de Bobae a été étroitement liée à la musique. Il n’y a aucun musicien dans sa famille mais sa mère écoutait beaucoup d’airs et de mélodies de tout style, classique, variété, « trot » 트로트 (musique populaire typiquement coréenne). Bobae aimait déjà très jeune chantonner et a participé à des concours de chants dès l’école primaire. Elle a commencé le piano à l’âge de quatre ans et a poursuivi les cours jusqu’au collège. (Petite anecdote qui en dit long : un jour alors qu’elle était encore à l’école maternelle, elle a fugué de la maison. Après plusieurs heures, sa mère l’a retrouvée dans une académie de piano. C’est là que sa maman a compris que Bobae avait un lien spécial avec la musique et décida de l’inscrire en cours de piano). L’omniprésence de la musique dans son enfance explique cette sensibilité pour le chant lyrique qu’elle partage avec son public aujourd’hui.

« En dehors de ma vie familiale en Corée, avec mon groupe, le Moon Trio, nous avons la chance de pouvoir réaliser des prestations musicales en France mais également dans mon pays natal. Cela constitue une motivation supplémentaire pour nous y rendre chaque été pendant près de 2 mois. Nous nous produisons notamment au « KIFT », le « Festival International de Théâtre de Geochang », tous les ans depuis la fin de la pandémie de Covid et la réouverture des frontières en 2021. M. Lee Geon-Hyoung, chef d’orchestre et responsable de la culture à Geochang, récompensé en 2023 du prix honorifique du « Faco Art & Culture Achievement Award of Korea » (Ordre National du Mérite), reconnaît et valorise notre travail et nous sollicite depuis 2018 pour différents concerts et évènements culturels de la ville et de ses alentours. »

A l’occasion du Festival International de Théâtre de Geochang, le Moon Trio a assuré l’ouverture de l’événement dans le contexte du Covid. Ce moment a été particulièrement mémorable pour Bobae car il y avait la présence de nombreuses caméras de KBS, des chorégraphies de drones, la scène ainsi que les gradins des spectateurs étaient construits au-dessus d’une célèbre rivière. Benjamin, Bobae et Pietro (le 3e membre du Moon Trio), seuls étrangers non Coréens en 2021 au spectacle d’ouverture, ont incarné des personnages divins et mystiques portant symboliquement l’espoir d’une réouverture et d’un renouveau dans un contexte d’isolation et de séparation des peuples. Cette expérience artistique et humaine est l’une des plus belles qu’elle ait menée de sa vie, avec la fierté et humilité de pouvoir mettre son talent à contribution de son pays d’origine, la Corée, qu’elle a quitté depuis tant d’année, tout en représentant celui qui l’a accueilli, la France.

Bobae Kim, hanbok designé par Benjamin Chalat. © Bernard Delhalle, photographe

Bobae Kim, hanbok designé par Benjamin Chalat. © Bernard Delhalle, photographe


Aujourd’hui, mère heureuse et femme accomplie, Bobae est membre des chœurs de l’Opera Ballet Vlaanderen d’Anvers (Antwerpen, Belgique). Elle enseigne le chant lyrique selon « La Méthode Sarkissian » de sa professeur actuelle Mariam Sarkissian dont les précieux conseils et la bienveillance l’accompagnent afin de préserver sa voix, son merveilleux outil d’expression et de travail.

Message de Bobae aux lecteurs

Pour terminer, j’ai demandé à Bobae si elle désirait partager un message aux lecteurs de Korea.net. Voici ses propos.

« Le monde de la musique classique, de l’opéra, du chant lyrique d’opéra, est souvent perçu comme lointain, inaccessible, fermé… mais en réalité, il n’existe aucune barrière, aucune frontière.

Sans leur public, les artistes comme moi ne pourraient exister…

...d’où l’importance d’être inspirée par l’idée d’ouverture et de diversité musicale et culturelle, de toujours garder l’esprit disponible, curieux et empathique. Il faut profiter précieusement de chaque instant que la vie nous offre… et autant qu’il se peut, en écoutant et partageant de belles musiques. »


* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée à travers Korea.net.

caudouin@korea.kr