Journalistes honoraires

19.08.2024

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Par Nicole Bergeaud, journaliste honoraire de Korea.net

Pendant mes trois ans d’études au centre culturel coréen à Paris, les professeurs évoquaient régulièrement les racines chinoises de tel ou tel mot et ça m’intriguait beaucoup. J’ai enfin pu satisfaire ma curiosité lorsque Le Petit Livre des Hanja a été publié en avril 2024. C’est, à ma connaissance, le seul livre en français sur le sujet. Pratique, utile et pédagogique, il présente les 150 premiers hanja, dont les chiffres, les points cardinaux, etc. Pour chaque idéogramme, une fiche explique sa prononciation, son tracé, son sens en français, en coréen et aussi son étymologie.

Couverture de « Le Petit Livre des Hanja », de Charles-Emmanuel Veillard. ©️ Atelier des Cahiers

Couverture de « Le Petit Livre des Hanja », de Charles-Emmanuel Veillard. ©️ Atelier des Cahiers


Son auteur, Charles-Emmanuel Veillard, est né à Séoul de parents français. Il est professeur de coréen et travaille à la refonte complète du Dictionnaire des caractères sino-coréens de Li Jin-mieung. Doctorant à la Sorbonne, en linguistique du coréen, son sujet de thèse porte sur l'enseignement des caractères chinois en Corée.

Il a gentiment accepté de répondre à mes questions et je l’en remercie.

Nicole Bergeaud : Pourquoi avez-vous écrit ce livre et à qui s’adresse-t-il ?

Charles-Emmanuel Veillard : J’ai écrit ce livre parce qu’il manque un manuel sur le sujet en français. J’ai pensé qu’il serait utile à ceux qui souhaitent approfondir leurs connaissances culturelles et lexicales à propos de la Corée.

En quoi les hanja sont-ils importants pour approfondir ses connaissances en coréen ?

Ils permettent de comprendre la mentalité coréenne en profondeur et une très grande partie de l’influence chinoise, notamment le confucianisme. 70 % environ des origines du vocabulaire coréen viennent du chinois. On ne peut pas faire sans.

Un texte en chinois classique traduit en coréen. ©️ Bibliothèque nationale de France

Un texte en chinois classique traduit en coréen. ©️ Bibliothèque nationale de France


Quelle place occupent- ils aujourd'hui dans l’enseignement en Corée ? Est-ce que tout le monde les apprend ?

Il y en a 900 au collège et 900 au lycée. Il existe aussi des cours de hanja à l’université, notamment pour se préparer à l’examen de capacité de connaissance des hanja. Suivant les gouvernements, leur enseignement est soit considéré comme obligatoire, soit facultatif, voire optionnel.

À quoi sert l’examen de capacité de connaissance des hanja en Corée ?

Il sert notamment à l’étude des textes canoniques de la pensée confucéenne et c’est parfois un critère de recrutement de certains conglomérats coréens. Les connaître permet en effet de pouvoir communiquer avec les employés des conglomérats chinois et japonais.

Quels sont les hanja les plus utilisés dans la vie quotidienne en Corée ? Ceux que tous les coréens connaissent ?

Ils sont tout le temps utilisés, mais sont la plupart du temps transcrits phonétiquement en alphabet coréen. Nous avons par exemple les chiffres et nombres 萬 (만, dix mille), ou 門 (문, porte).

Quelques hanja que j'ai pu voir en Corée. ©️ Nicole Bergeaud

Quelques hanja que j'ai pu voir en Corée. ©️ Nicole Bergeaud


Le petit livre des hanja est le seul livre sur le sujet en français ?

À ma connaissance, oui. Il existe aussi le Dictionnaire des caractères sino-coréens, dont je travaille à la refonte complète corrigée et augmentée. Je ne saurais dire quand elle sera prête. Aux 4 000 hanja y figurant, j’ai ajouté ceux des manuels d’enseignement que j’étudie et j’en suis arrivé à plus de 10 000 graphies. Il me faudra probablement faire une sélection ultérieurement. J’ai également collaboré il y a plusieurs années à l’application Hanja sur iPhone.

Votre livre est une initiation et vous avez volontairement choisi de ne présenter que 150 caractères, y aura-t-il une suite ?

Je ne sais pas encore. Voyons déjà les retours de ce manuel. C’est un sujet qui me passionne mais qui prend énormément de temps. Je prépare une thèse de doctorat en linguistique du coréen, dans laquelle je me penche sur la didactique des hanja en Corée et comment les enseigner à des étrangers.

Vous pouvez nous en dire un peu plus ? En quoi l’enseignement est différent ?

On peut les apprendre comme le font les Coréens, mais ce n’est pas forcément adapté à un public n’ayant pas les repères de la culture (et de la langue) coréenne. Plusieurs méthodes sont applicables, elles ont toutes une complémentarité à apporter. Quelques universitaires sud-coréens ont écrit des articles sur le sujet, publié des recueils incluant des réflexions d’universitaires étrangers. À mon avis, suivant les attentes ou nécessités de l’apprenant, choisir une méthode se rapprochant de ses besoins en accord avec le formateur et adapter cette dernière est ce qui pourrait être finalement le plus pratique, ou lui proposer un enseignement sur mesure en créant un nouveau support de cours. C’est ce que j’ai essayé de faire avec mon livre pour les grands débutants, sans aller trop dans des détails techniques superflus.*

Quels conseils pouvez-vous donner à ceux qui veulent les apprendre ?

C’est un très grand atout de les apprendre. Il faut se motiver, s’y mettre. Mais c’est d’une aide tellement riche et précieuse ! Un proverbe coréen l’illustre très bien : 시작은 반이다, le début, commencer, c’est la moitié !

Remarquons au passage que le vocabulaire de cette maxime est d’origine chinoise : 始作 (시작, commencement ou début) et 半 (반, moitié). Il faut y passer du temps et ne pas se décourager, y aller étape par étape et varier les méthodes. C’est l’un des points de mes recherches en thèse. Il n’y a pas de moyen parfait. La détermination est importante. C’est une discipline.

Pour le matériel, nous disposons de centaines de dictionnaires (j’ai eu la chance de trouver une étude assez complète sur les dictionnaires de hanja, qui les présentait par ordre chronologique, avec une liste en annexe, le premier répertorié en 1536 et les derniers en 2003), des plus petits contenant 5 000 hanja aux grands dictionnaires en contenant plus de 50 000. Sans oublier les dizaines de méthodes, de format poche (idéal pour réviser dans les transports) contenant les 3 500 hanja ou les 1 800 de base. Vous pouvez aussi vous procurer des livres se concentrant sur seulement un ou plusieurs niveaux, suivant ce que vous cherchez. Quelques ouvrages en français et en anglais ont le mérite d’exister. Je pense notamment à ceux de :

- Jeong Eun Jin, PPalli ppalli : Initiation à l’étude de la langue coréenne

- Lyah Mayahi, Parler coréen !

- Bruce K. Grant, A Guide to Korean Characters, en format maniable, présentant la liste des 1 800 hanja de base (légèrement modifiée depuis, elle a 45 ans tout de même et l’une des dernières actualisations du corpus date de 2000).

- Talk to Me in Korean, Your First Hanja Guide

- Choo Miho, William O’Grady, Handbook of Korean vocabulary

Une autre façon de faire est de mettre les mots sino-coréens dans des textes :

- Fred Lukoff, A First reader in Korean Writing in Mixed Script

- Son Yeonja, Hanja de la vie courante pour les étrangers (외국인을 위한 생활 한자)

- Lee Younghee, Learn Hanja the fun way

- Choi Eunkyu, Kim Minae, Kim Sanghee, Min Jungwon, Usefull Hanja for Learners of Korean

Un moyen astucieux aussi est d’essayer de les lire dans les panneaux, affiches, certains journaux ou le métro, en visitant des lieux touristiques (palais, temples, etc.). C’est moins rébarbatif, répétitif et scolaire, plus ludique. Il existe des logiciels et sites internet comme Hangul, Hanjasajun et probablement des applications sur les smartphones.

En cas de vocation, ou de passion, pourquoi ne pas apprendre tous les manuels d’enseignement des hanja de la Corée ancienne à actuelle (que je traduis pour les besoins de mes recherches, pour en comparer et analyser le contenu), y compris le niveau technique avec ses 5 978 hanja ?

Le Petit Livre des Hanja est disponible sur les sites de la Fnac, dans les librairies dont Le Phénix à Paris, sur Amazon, mais aussi en Belgique, au Canada, en Suisse et même en Corée chez Kyobo.

Cette interview a été réalisée par téléphone et échange de courriels en juin 2024.

Talisman contre les trois fléaux, avec inscriptions utilisant des sinogrammes hanja et l’alphabet hangeul. ©️ Bibliothèque nationale de France

Talisman contre les trois fléaux, avec inscriptions utilisant des sinogrammes hanja et l’alphabet hangeul. ©️ Bibliothèque nationale de France


Les caractères coréens se lisent de haut en bas tandis que les caractères chinois se lisent horizontalement de droite à gauche. Ces amulettes sont l’expression des croyances populaires coréennes ancestrales.

En conclusion, je voudrais dire que en apprendre les bases permet de mieux comprendre la langue et la culture coréenne. Je les trouve aussi très utiles pour mémoriser le vocabulaire car l’on retrouve la même racine dans des mots de la même famille comme par exemple 大 (대 en coréen ) se traduit par « grand » et est utilisé dans des mots comme大國 (대국, grand pays), 大王 (대왕, grand roi) ou 大學校 (대학교, université). En apprenant les hanja de cette façon, avec leur prononciation en hangeul, cela aide à assimiler beaucoup plus rapidement le vocabulaire de manière structurée. Je prends aussi beaucoup de plaisir à les écrire.

En Corée, on les trouve sur les menus pour indiquer la taille d’un plat (petit 小 ou grand 大), sur les enseignes de restaurants, sur les logos, les cartes des musées, les documents administratifs (homme 男 ou femme 女). Les hanja sont aussi utilisés sur de nombreux panneaux de rue et de localisation comme par exemple pour un temple 寺 ou une montagne 山.

Comme le disait très justement Charles-Emmanuel Veillard, on peut aussi les apprendre en s’amusant !


* Présents partout à travers le monde, les journalistes honoraires de Korea.net ont pour mission de faire connaître et partager leur passion de la Corée et de la culture coréenne au plus grand nombre.

caudouin@korea.kr