Par Lantou Onirina, journaliste honoraire de Korea.net
Chaque année, je bloque la fin du mois d’octobre dans mon agenda pour la consacrer au festival du Film Coréen à Paris, le FFCP. Par la richesse des œuvres que la programmation propose, j’enrichis et je nuance chaque fois ma vision de la Corée d’aujourd’hui. Parmi les films présentés cette année, quatre m’ont marquée par leur exploration de problématiques sociétales contemporaines : It's Okay!, House of the Seasons, Delivery et FAQ. En abordant les thèmes de la famille, de la jeunesse, de la parentalité et de la quête identitaire, ces films brossent un portrait intime d’une société en transformation.
FAQ : l'enfance et l’éducation sous pression
FAQ plonge dans le quotidien de jeunes enfants d’école primaire en Corée. Présenté par la réalisatrice Kim Da-min comme une satire, FAQ dévoile avec humour et un brin d'absurde les extrêmes du système éducatif en Corée. Dong-chun, une jeune écolière, doit jongler avec des cours d’anglais, taekwondo, activités artistiques, mathématiques renforcées et même de code morse, entre autres, pour se préparer – très en avance – aux examens d’entrée à l’université.
Heureusement pour elle, Dong-chun peut compter sur des parents qui la soutiennent et l'encouragent. Mais la réalité rattrape vite cette bienveillance maternelle : en Corée, la compétition scolaire est impitoyable. Sa mère, désireuse de lui donner toutes les chances, ne ménage aucun effort pour lui assurer une avance académique sur la longue route vers l'âge adulte. Cela inclut des séances dans une clinique pour favoriser sa croissance – Dong-chun plus petite que ses camarades – et un programme de persan, recommandé par une autre mère ambitieuse, qui pense que cette compétence exotique pourrait bien être un atout pour les admissions à la prestigieuse université nationale de Séoul... dans plus de dix ans.
Mais Kim Da-min ne se contente pas de mettre en lumière les défis psychologiques auxquels les enfants sont confrontés en raison de la pression constante pour réussir. Elle cherche également à retrouver l’origine du phénomène, et surtout les raisons.
Le film illustre la pression sociale dès le plus jeune âge. Les enfants se retrouvent entraînés dans une compétition féroce pour exceller, non seulement pour satisfaire leurs parents, mais aussi pour répondre aux standards rigoureux de l’éducation coréenne, au détriment du bien-être personnel.
It's Okay! : Résilience et quête de reconstruction personnelle
Dans It's Okay!, réalisé par Kim Hye-young, le bien-être personnel est en effet montré comme secondaire dans cette troupe de danse composée d'adolescentes dont le rêve est de devenir la meilleure danseuse. Le prestige et la réussite prévalent.
In-young, qui fait partie de cette troupe, est brutalement confrontée à la perte soudaine de sa mère. Cette situation l’oblige à affronter non seulement le deuil, mais aussi la précarité financière qui en découle. Elle se retrouve clandestinement hébergée dans les locaux de son académie de danse, où elle est bientôt découverte par Seol-ah, la très stricte chorégraphe en chef. Plutôt que de la dénoncer, Seol-ah lui propose de partager son appartement, instaurant ainsi une relation complexe faite de solidarité féminine et de soutien mutuel. Le film met en lumière la capacité de la société coréenne à créer des liens de solidarité là où les structures traditionnelles sont absentes, tout en questionnant les attentes sociales qui pèsent sur les jeunes artistes.
Mais ce qui m’a le plus intéressée dans cette œuvre, c’est le sujet de l'identité personnelle, au centre des préoccupations. In-young étant orpheline, elle semble moins subir que les autres filles de son âge les contraintes familiales et par conséquent la pression sociale. Elle vit au jour le jour et se heurte finalement à des problèmes d’adulte, comme payer son loyer et ses courses quotidiennes.
Cette forme de liberté suscite pourtant la jalousie de Nari, la meilleure danseuse du groupe dont tout le monde admire - et envie - pourtant la réussite. Nari avouera à In-young qu’elle est envieuse de sa faculté à vivre comme elle veut. Et lors d’une dispute avec sa mère, elle videra son sac : « Je déteste vivre dans un monde que tu as construit pour moi. C’était pour ta propre satisfaction. Je suis ta fille, pas ton objet. Laisse-moi faire ce que je veux ».
House of the Seasons : tradition et modernité en conflit
Ces tensions intergénérationnelles conflictuelles sont également dépeintes dans House of the Seasons, réalisé par Oh Jung-min. L’intrigue se déroule dans une maison ancestrale où la famille Kim se réunit chaque année pour des rites commémoratifs. Lors de cette réunion, Seong-jin, le petit-fils aîné, annonce qu’il souhaite abandonner l’entreprise familiale de fabrication de tofu pour poursuivre son rêve d’acteur à Séoul. Cette décision provoque des conflits au sein de la famille, illustrant le choc entre respect des traditions et poursuite de ses propres aspirations.
À travers cette dynamique familiale, on prend conscience de la difficulté de concilier héritage et individualisme dans une société qui valorise le respect des anciens. Le film montre à quel point il est complexe pour les jeunes générations de rompre avec les attentes familiales tout en restant fidèles à leur identité. Ce dilemme est emblématique d'une Corée en pleine mutation, où la tradition cède progressivement le pas à des valeurs plus modernes sans pour autant disparaître totalement.
Delivery : parenté, arrangements sociaux et pression des normes familiales
Nulle surprise dans un tel contexte social que le désir de parentalité devienne complexe. Delivery, réalisé par Jang Min joon, aborde les thèmes de la parentalité et des pressions familiales sous le prisme des difficultés financières. Le film suit deux couples : Me-ja et Dal-su, qui attendent un enfant mais n’ont pas les moyens de l’élever, et Gui-nam et Woo-hee, un couple riche mais stérile et désespéré d'avoir un enfant, condition imposée par le patriarche de la famille pour hériter de la fortune familiale. Les deux couples concluent un accord complexe, questionnant les notions de parentalité, de lien biologique et de construction familiale dans une société encore fortement influencée par les obligations familiales.
À travers cette histoire, Delivery soulève des questions essentielles sur les normes familiales et les compromis auxquels les individus sont prêts à consentir face aux attentes sociales. Le film aborde des sujets encore tabous, comme les arrangements familiaux et la pression exercée par les traditions patriarcales. En explorant la complexité des liens familiaux, le film met en lumière les sacrifices personnels que les personnages sont prêts à faire pour répondre aux normes sociales, une thématique particulièrement pertinente dans le contexte coréen.
Un miroir de la société coréenne contemporaine
Ces quatre films, chacun à sa manière, offrent un aperçu de la société coréenne actuelle, où cohabitent tradition et modernité, pression et quête de liberté. Les thèmes récurrents abordés – pression sociale, devoir familial, identité personnelle et transformation des rôles de genre – montrent une société en plein bouleversement. Ils révèlent aussi des dilemmes qui résonnent bien au-delà des frontières coréennes, touchant à des questions universelles telles que la quête de soi, le poids des attentes et les sacrifices que chacun est prêt à faire pour s’adapter ou se libérer des normes.
À travers It's Okay! et House of the Seasons, le public découvre l'impact de la tradition et des relations intergénérationnelles, alors que Delivery et FAQ permettent de réfléchir sur les contraintes familiales et éducatives. Ensemble, ces œuvres invitent le spectateur à une introspection sur les liens entre individualité et société, sur les choix difficiles entre conformité et émancipation, et sur la redéfinition constante des valeurs dans un monde de plus en plus complexe.
Le festival du Film Coréen à Paris devient ainsi bien plus qu’un événement culturel : il est une passerelle vers les réalités sociales de la Corée contemporaine, un espace pour comprendre les tensions et les espoirs qui façonnent la vie de ses habitants. C'est pour cela que chaque année, je regarde autant de films de la sélection que possible. Pour ceux qui s’intéressent à la Corée ou simplement aux histoires humaines qui transcendent les frontières, ce festival est une plongée indispensable dans les multiples visages de ce pays en mutation.
* Présents partout à travers le monde, les journalistes honoraires de Korea.net ont pour mission de faire connaître et partager leur passion de la Corée et de la culture coréenne au plus grand nombre.