Journalistes honoraires

19.03.2025

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© Min Jungyeon

© Min Jungyeon



Par Stéphanie Müller

Min Jungyeon, née en 1979 à Gwangju, a grandi à la campagne, où la nature fut son premier terrain d’observation.

Formée aux arts plastiques à l’université Hongik de Séoul, elle a ensuite intégré les Beaux-Arts de Paris dont elle en sortira diplômée en 2006. Depuis, son travail se caractérise par une dualité subtile – entre vide et plein, construction et destruction – inspirée par la pensée taoïste, la nature et le chamanisme.

À l’occasion de sa dernière exposition personnelle, « Croquez la pomme », présentée à la galerie Maria Lund, j’ai eu le privilège d’échanger avec l’artiste sur son univers singulier.

« Croquez la pomme » nous convie à une immersion dans un monde où réalité et imaginaire se mêlent, invitant le spectateur à redécouvrir la force et la fragilité de la nature.

À travers ses œuvres, Min Jungyeon questionne les frontières du tangible et de l’intangible, nous offrant un aperçu de sa vision poétique du monde.

« Silence – diptyque » - acrylique sur toile 150 x 400 cm – 2022. © Thierry Estrade, galerie Maria Lund

« Silence – diptyque » - acrylique sur toile 150 x 400 cm – 2022. © Thierry Estrade, galerie Maria Lund


Stéphanie Müller : Vous êtes née en Corée et vous vivez en France depuis de nombreuses années. Comment votre double appartenance culturelle influence-t-elle votre pratique artistique, et qu’est-ce qui vous a particulièrement attirée en France, notamment à Paris ?

Min Jungyeon : C’est avant tout une ouverture, une manière d’accéder à un mode de pensée différent. Au début, mon travail intégrait beaucoup de références culturelles diverses tout en préservant un lien avec la culture traditionnelle coréenne. Mais en même temps, je ne suis pas vraiment une artiste traditionnelle, car je fais partie d’une génération déjà influencée par l’art mondial et occidental. En Corée, nous avons une pensée qui reste profondément ancrée dans notre culture. Ce qui m’a attirée en France, ce n’est pas tant l’apprentissage technique – aujourd’hui, avec Internet, on accède aux mêmes savoirs partout – mais plutôt la possibilité de développer une autre manière de penser. Paris, en particulier, est une ville où l’histoire et le présent coexistent en permanence. Cette énergie me fascine. J’aime l’idée que le passé et le présent puissent se rencontrer et s’influencer mutuellement, ce qui résonne avec mes propres réflexions sur le temps et l’espace.

Quand vous êtes arrivée en France, avez-vous ressenti le besoin de vous adapter à la culture européenne ? Et au fil du temps, comment percevez-vous désormais la Corée ?

Absolument. Au début, j’ai cherché à m’harmoniser avec la culture française pour mieux comprendre mon environnement. Cette quête d’équilibre se reflétait aussi dans mon travail : je voulais faire coexister des mondes différents, entre abstraction et réalité. Mais avec le temps, ma perspective a changé. Aujourd’hui, je ne cherche plus à fusionner deux cultures. Je suis moi-même, tout simplement. Mon identité n’est ni entièrement coréenne, ni entièrement française, elle s’est construite au-delà de ces définitions. J’ai vécu en Corée jusqu’à mes 21 ans, mais cela fait maintenant 24 ans que je suis en France. Mon enfance en Corée reste un souvenir teinté de nostalgie et de beauté, alors que ma vie adulte en France a été marquée par des expériences plus complexes et intenses émotionnellement.

Ressentez-vous que, dans votre travail, les deux cultures se mélangent de manière purement plastique, presque inconsciemment ? J’ai notamment noté dans le communiqué de presse un mélange des éléments – « de la pierre aux matériaux, du microscopique jusqu’au paysage évoquant l’Asie », on pense de suite à ces grandes montagnes peuplées de tout petits individus des estampes.

Complètement. Finalement, ces deux influences coexistent en moi de manière naturelle. Depuis environ dix ans, je suis très intéressée par le taoïsme. Même s'il est né en Chine, cette philosophie s'est imposée comme une idée globale en Asie – un peu comme la culture classique en Europe à l'époque de Rome ou de la Grèce. En Asie, le taoïsme représente cette racine classique, presque comme le confucianisme. Sans nous en rendre compte, nous vivons au quotidien dans cette pensée. Pour moi, le taoïsme se traduit dans mon travail par le développement d'un paysage qui n'est pas réel, mais imaginaire. L’immensité des espaces où se côtoient des montagnes, des lacs et des rochers, au microscopique avec l'intérieur du corps humain, comme si j’inscrivais ma présence dans ce paysage. L’idée, c’est que rien n’est vraiment détaché : nous faisons tous partie d’un tout, une unité où ce qui est vivant et non vivant se confond. Cette notion d’Asie culturelle reste présente, en partie grâce à mes souvenirs de la campagne coréenne, où la nature me fascinait. Cela à éveillé en moi une nostalgie profonde où on ne peut séparer le paysage, la nature de l’humain.

« Paysage dans mon corps » - acrylique sur toile 100 x 150 cm – 2024. © Thierry Estrade, galerie Maria Lund

« Paysage dans mon corps » - acrylique sur toile 100 x 150 cm – 2024. © Thierry Estrade, galerie Maria Lund


Vous évoquez aussi une fascination pour les mythes, les contes et la philosophie. Comment ces éléments, associés à la science, se traduisent-ils dans votre travail ?

Pour moi, la physique quantique et le taoïsme, ainsi que le bouddhisme, sont intimement liés. Par exemple, Carl Sagan, dans son livre Cosmos, explique qu’en approfondissant la physique quantique, il se sentait de plus en plus proche d'une pensée bouddhiste. J’ai moi-même lu, en Corée, un ouvrage d’un physicien coréen qui utilisait de nombreuses citations taoïstes pour illustrer des concepts quantiques. Naturellement, je ne maîtrise pas tous les détails techniques – je ne peux pas calculer tout en détail – mais ce qui m’importe, c’est de comprendre la philosophie qui sous-tend ces recherches. Je lis des livres vulgarisés pour saisir ce que cherchent à découvrir les scientifiques, et c’est cette philosophie que j’essaie de transposer dans mon travail à travers des idées taoïstes. La physique quantique, c’est essentiellement une étude de l’espace-temps, un sujet qui m’intéresse depuis toujours. Dans le taoïsme, on parle d’une énergie et d’un temps qui se définissent de manière fluide, évoquant une transformation constante. Par exemple, j’utilise des éléments comme les rochers et les montagnes qui apparaissent en lévitation, en suspension, pour symboliser cette idée que rien n’est figé. Les définitions ne sont que temporaires, et la science, loin de détenir une vérité absolue, évolue et se corrige constamment. Ce qui est défini aujourd’hui, comme la gravité, pourra être remis en question par la prochaine génération. C’est cette absence de vérité figée qui m’inspire.

Il y a toujours cette notion de transformation continue, n’est-ce pas ? Et on retrouve dans vos œuvres une ambiguïté des formes et des plans : là où, au lieu de distinguer clairement premier plan, second plan et arrière-plan, tout se mélange.

Exactement. Parfois, il y a plusieurs perspectives. Si je mets le public à la place du spectateur, il perçoit d'abord un plan, comme une montagne ou un paysage, mais en le regardant plus attentivement, il réalise que ce n'est pas un paysage traditionnel du tout.

J'ai également remarqué une évolution en termes de couleurs dans votre travail. Jusqu’à présent, vos œuvres étaient plutôt légères et subtiles, avec des pointes de couleurs dégradées, mais aujourd'hui la couleur est beaucoup plus appuyée, et la palette a changé. Est-ce le fruit d'une réflexion approfondie ou simplement une envie de couleur ? Et le choix des teintes vert, bleu, orange a-t-il une signification particulière pour vous ?

C'est le tempérament de mon approche artistique. Quand j'avais entre 20 et 30 ans, mes œuvres étaient très colorées, mais petit à petit, j'ai supprimé une grande partie de la couleur pour mettre l'accent sur la forme et la composition, en n'utilisant qu'une couleur essentielle et simple. Aujourd'hui, ma recherche consiste à insuffler la vie dans mes œuvres, et cela se traduit par un renouveau dans le choix des teintes. Chaque couleur définit une émotion dans mes tableaux, même si je ne souhaite pas imposer une interprétation précise au public. C'est avant tout très personnel. Par exemple, dans un grand tableau représentant une rivière ou un lac, j'ai choisi un orange acide pour évoquer une sensation forte. Naturellement, le vert – comme le vert pomme – et le bleu sont également très présents, car je cherche à rendre ces couleurs vivantes pour transmettre l'émotion de la vie.

« Histoire d'une comète » - acrylique sur toile 150 x 200 cm – 2025. © Thierry Estrade, galerie Maria Lund

« Histoire d'une comète » - acrylique sur toile 150 x 200 cm – 2025. © Thierry Estrade, galerie Maria Lund


Parlons de votre installation « Tissage » au musée Guimet, dont la scénographie m’a particulièrement marquée. J’ai l’impression qu’il y a une forme de mise en scène qui se retrouve aussi dans vos peintures. Que représente pour vous cette scénographie et comment le choix du médium – que ce soit la peinture, le dessin ou l’installation – s’articule-t-il en fonction de l’espace d’exposition ?

Absolument. Pour moi, la peinture, le dessin et l’installation ne sont que des outils différents pour exprimer une même recherche. Je ne hiérarchise pas ces médiums. Ce n’est pas parce qu’une œuvre est une installation qu’elle interroge davantage l’espace, ni parce qu’elle est une peinture qu’elle met l’accent sur la couleur. En réalité, c’est souvent le lieu d’exposition qui détermine mon approche. Par exemple, lors de ma visite au musée Guimet, j’ai immédiatement ressenti que l’espace appelait une installation, ce qui m’a permis de travailler Tissage. À d’autres moments, j’ai besoin d’explorer la couleur, alors je me tourne vers la peinture. Et lorsque je réfléchis à la forme et à l’espace, je dessine. Je considère chaque exposition comme une œuvre à part entière, où l’espace joue un rôle fondamental en me guidant : quel sujet mettre en avant ? Comment organiser les éléments pour que l’ensemble prenne sens ?

Installation « Tissage » réalisée pour l'exposition « Carte blanche à Min Jungyeon » au Musée Guimet - MNAAG, Paris, 2019-2020. ©Thierry Ollivier, galerie Maria Lund

Installation « Tissage » réalisée pour l'exposition « Carte blanche à Min Jungyeon » au Musée Guimet - MNAAG, Paris, 2019-2020. ©Thierry Ollivier, galerie Maria Lund


Pouvez-vous nous donner un exemple précis de ce dialogue avec l’espace ?

Lors de mon exposition à l’Atelier d’Estienne à Pont-Scorff l’année dernière, j’ai retravaillé l’installation La Mer Blanche ainsi que Tissage. Bien que ce soient des œuvres que j’avais déjà présentées ailleurs, chaque espace leur donne une nouvelle dimension, et j’ai dû adapter leur déploiement en fonction de l’architecture du lieu. Dans La Mer Blanche, j’ai couvert toute la salle de plumes découpées et recomposées pour immerger le spectateur, comme s’il était plongé dans la mer ou à l’intérieur d’un oiseau immense. L’idée était de jouer avec cette perception : un oiseau si vaste qu’on ne peut jamais l’embrasser du regard, parce qu’on est déjà en lui, permettant ainsi au public de ressentir physiquement cette immersion. Parfois, un détail dans l’architecture d’un lieu déclenche une nouvelle création. Pour une exposition à Cannes, par exemple, la salle contenait un ascenseur condamné, transformé en une sorte de cage en grillage de fer. Ce dispositif m’a inspiré la création d’un oiseau gigantesque, composé de plumes attachées à une chaîne. La porte de la cage était ouverte, mais l’oiseau restait prisonnier, non pas par une contrainte physique, mais par une entrave mentale – une métaphore de nos propres enfermements intérieurs, ces barrières invisibles qui nous retiennent malgré nous.

« La mer blanche » réalisée pour l'exposition « Autres soleils » à Pont-Scorff en 2024. © Stéphane Cuisset, galerie Maria Lund

« La mer blanche » réalisée pour l'exposition « Autres soleils » à Pont-Scorff en 2024. © Stéphane Cuisset, galerie Maria Lund


Pour finir, cette exposition à la galerie Maria Lund se termine bientôt. Avez-vous d’autres projets en vue ?

Oui, je suis actuellement en train d'élaborer un nouveau projet de vidéo de grande ampleur.


Mon entretien avec l'artiste à été une véritable bouffée de fraicheur, simple et informel, en tant qu'artiste plasticienne c'est un bonheur de pouvoir échanger avec d'autres artistes et de découvrir d'autres démarches et techniques. J'attends avec impatience la sortie de ce nouveau projet.

Un grand merci à la galerie Maria Lund (48, rue de Turenne, 75003 Paris).


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