Par Nicole Bergeaud
La cuisine coréenne s’impose comme l’un des visages les plus séduisants du soft power de la péninsule. Alors qu’un nouveau restaurant coréen ouvre presque chaque semaine à Paris ou ailleurs en France, un lieu se distingue par son élégance discrète, son authenticité, et la personnalité solaire de celle qui le dirige : le restaurant Hanok, au sein du magnifique musée Guimet.
Aux commandes, Young Kyung Lee accueille les visiteurs avec son beau sourire. Dans ce musée parisien consacré aux arts asiatiques, sa cuisine trouve naturellement sa place. Elle ne cherche pas à impressionner, mais à établir un dialogue entre deux cultures.
Les clients y goûtent, parfois pour la première fois, à la cuisine coréenne, non pas celle dictée par les tendances ou les effets de mode, mais celle d’une tradition culinaire ancestrale, transmise de génération en génération. La cheffe Lee s’est donné une mission : faire découvrir une cuisine traditionnelle appelée Hansik, profondément enracinée dans la culture coréenne.
Son plat signature, rare à Paris, en est la parfaite illustration : le galbitang, une soupe de côtes de bœuf, longuement mijotée pendant un jour et demi. Je l’ai goûtée. Je m’attendais à un plat riche… et pas du tout ! C’est un plat d’une étonnante légèreté, plein de saveurs subtiles, dont la cheffe Lee a le secret.
Le galbitang du restaurant Hanok. © Misso
De Séoul à Paris, guidée par une indéfinissable attirance que la cheffe Lee appelle en coréen 이끌림 (ikkeullim)
« Rien ne me prédestinait à venir en France », me confie Young Kyung Lee lors de notre entretien. Après des études d’arts plastiques en Corée et une première vie professionnelle bien remplie, c’est un désir de pause et de renouveau qui l’amène à Paris à l’âge de 30 ans, avec une idée en tête : reprendre des études artistiques. L’Alliance Française organise alors son séjour et ses premiers cours de français à la Sorbonne. « J’apprends alors qu’à mon âge, je ne peux pas m’inscrire aux Beaux-Arts à Paris…»
Elle ne le sait pas encore, mais c’est la cuisine qui va changer le cours de sa vie.
« Comme j’avais du temps libre, je travaillais chez un petit traiteur coréen du 13e arrondissement. Un jour la propriétaire me dit qu’elle veut vendre. J’ai pris ma décision en quelques minutes, sans trop réfléchir aux difficultés qui m’attendaient. Je parlais à peine français et j’avais très peu d’expérience… mais je retrouvais dans ce projet une passion enfouie depuis l’enfance : celle de cuisiner pour les autres. »
« En Corée, ma mère et ma grand-mère cuisinaient tous les jours. A la maison, il y avait toujours beaucoup de monde, des invités et autant de plats à partager. Je suis alors retournée deux mois en Corée pour approfondir ma connaissance des recettes familiales et, à mon retour, j’ai baptisé ma boutique traiteur Misso (sourire en coréen). C’est là que je me suis formée, c'est là que tout à commencé.et continue aujourd'hui. »
« Il y a vingt ans, les restaurants coréens étaient encore rares à Paris. J’ai innové en proposant un bibimbap tel qu’on le mange en Corée, c’est-à-dire mélangé. L’ancienne propriétaire servait les ingrédients séparés, avec le riz à part, pour ne pas dérouter les clients français. Aujourd’hui, en France, on n’imaginerait plus le manger autrement que mélangé. »
La cheffe Lee et Maxime, son mari. © June Jeong
« Grâce à Hansik, j’ai aussi rencontré Maxime, mon mari français. D’abord client de ma boutique-traiteur, il est aujourd’hui mon plus fidèle soutien, mon partenaire de tous les jours sans qui rien n’aurait été possible. Mes parents l’ont aimé tout de suite. Maxime a appris le coréen pour pouvoir échanger directement avec eux. Mon frère, qui n’est plus de ce monde, l’a rencontré lorsque je suis venue le présenter à ma famille avant notre mariage. Je suis convaincue qu’il me l’a laissé en cadeau, et qu’il veille sur moi de là où il est. »
Du catering pour BTS et le Music Bank au musée Guimet
En 2019, un appel inattendu change la donne : on lui demande de cuisiner pour BTS au Stade de France. « Je ne savais même pas qui ils étaient à l’époque. Je travaillais tout le temps ! J’ai cuisiné pour eux et toute leur équipe (plus de 400 personnes, midi et soir sur deux dates). » Elle ne s’en vante pas, mais le bouche-à-oreille a fait son œuvre. Elle assurera ensuite le catering du Music Bank, les plateaux-repas des grandes chaînes coréennes (KBS, MBC, SBS) pendant les Jeux olympiques de Paris 2024, les buffets des soirées du 14 juillet et la Nuit des musées au musée Guimet.
La cheffe Lee. © Dreamz Production
Sans oublier sa participation à des évènements comme la Korean Expo et son activité de cheffe à domicile pour une clientèle exigeante pour qui elle cuisine en toute discrétion.
Hanok, un écrin au cœur du musée Guimet
Lorsque le musée Guimet lance un appel d’offres en 2024 pour son restaurant, la cheffe Lee candidate sans trop y croire : la concurrence est rude. Mais elle donne tout, et c’est son projet qui est choisi.
Hanok, le restaurant du musée Guimet. © Rachel Prat
Elle imagine alors un lieu à son image : authentique, élégant et soigné dans les moindres détails. Elle fait réaliser une porte inspirée des motifs du palais Gyeongbokgung à Séoul, choisit elle-même la vaisselle, les meubles, la décoration et y invite à l’occasion des artistes coréens.
« C’est la première fois que je dirige un restaurant… et pas n’importe lequel. C’est beaucoup, beaucoup de travail et d’efforts chaque jour » me confie-t-elle.
Côté cuisine, la cheffe Lee reste fidèle à ses principes : proposer une cuisine authentique, sincère et exigeante. Chaque matin, tout est préparé sur place, y compris les sauces dont elle garde jalousement la recette. Face au succès grandissant et à une salle qui ne désemplit pas depuis l’ouverture début 2025, elle a dû faire venir un cuisinier de Corée pour la seconder. La presse, quant à elle, ne tarit pas d’éloges.
Depuis 2024, elle dirige aussi les cuisines du Han Rooftop installé pendant l’été sur le toit terrasse du musée Guimet. Son équipe y propose le meilleur de la street-food coréenne (poulet frit, kimbap, corn cheese, hot-dog coréen, fritures…), tous les jours sauf le mardi (jour de fermeture du musée) et en soirée en fin de semaine.
Le Han Rooftop au musée Guimet, côté jour. © Nicole Bergeaud et June Jeong
J’ai testé pour vous. Tout est très bon, avec une carte idéale pour les petites faims d’été. Mon coup de cœur ? Le bingsu maison, léger et rafraîchissant, à déguster sous un parasol ou dans le jardin, un moment suspendu, comme une parenthèse entre la France et la Corée.
Du jeudi au dimanche soir, le Han Rooftop accueille des DJ sets avec vue imprenable sur la tour Eiffel et le meilleur de la street-food coréenne.
Le Han Rooftop, côté nuit. © Musée Guimet
Vous l’aurez compris, le musée Guimet est devenu un lieu incontournable pour tous les fans de la péninsule.
La volonté de transmettre et préserver
Enfin, cette année, la cheffe Lee a ajouté une nouvelle corde à son arc : un institut dédié à Hansik, la cuisine coréenne traditionnelle. « Tout change tellement vite, même en Corée aujourd’hui. Je veux préserver la tradition, l’authenticité, transmettre les vraies recettes, loin des tendances.» Une mission qu’elle porte avec conviction La cuisine coréenne est au centre de ses valeurs, de sa vie et de son travail, exprimant à la fois une passion profonde et un engagement.
Et demain ?
La cheffe Lee a déjà les yeux tournés vers l’avenir, alors que la France et la Corée s’apprêtent à célébrer en 2026 le 140e anniversaire de leur traité d’amitié. Mais chut… c’est encore un peu tôt pour en parler.
« Grâce à Hansik, je suis ici. Grâce à la cuisine, j’ai rencontré mon mari. C’est le destin qui m’a menée jusqu’ici. »
Un destin tissé de travail acharné, de sourires partagés et de plats mijotés avec amour.
Je tiens à remercier la cheffe Lee et son mari Maxime pour leur accueil chaleureux et le temps qu’ils ont bien voulu m’accorder dans un emploi du temps bien rempli.
Cette interview a été réalisée en personne au restaurant Hanok du musée Guimet les 11 juillet et 8 août 2025.
Liens utiles
Musée Guimet, 6 place d’Iéna, Paris 16e (fermé le mardi)
https://www.guimet.fr/fr/hanok-restaurant
https://www.guimet.fr/fr/han-rooftop
Hanok by Misso – Musée Guimet, 6 place d’Iéna, Paris 16e (fermé le mardi)
https://missocoree.wixsite.com/missocoree
https://www.guimet.fr/fr/collections/coree
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