Par Justine Orcel

Elles sont appelées haenyeo, « femmes de la mer ». Plongeuses en apnée, gardiennes d’une tradition inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, les haenyeo de Jeju, incarnent la résilience et la beauté immuable. Le photographe français Franck Seguin, rédacteur en chef photo à L’Équipe, a eu le privilège rare de les accompagner, invité par le ministère coréen de la Culture, du Sport et du Tourisme aux côtés de Guillaume Néry, multiple champion du monde d’apnée. Dans cet entretien, il nous raconte son immersion au cœur de ce monde où la mer est à la fois nourricière et implacable.


Des femmes marquées par le temps, un regard transformé par l’eau, un lien sacré avec l’océan.

Les haenyeo sont bien plus que des pêcheuses. Ces femmes, souvent âgées de plus de 70 ans, plongent jusqu’à 20 mètres de profondeur sans bouteille, récoltant algues, coquillages et fruits de mer dans des conditions extrêmes. Pour ces plongeuses, la mer n’est pas seulement un lieu de travail : c’est un partenaire, parfois un adversaire, toujours une entité sacrée.

Elles allient traditions ancestrales et croyances spirituelles, tout en assurant la subsistance de leurs familles. Chaque sortie est un pari avec la vie : un courant trop fort ou un malaise peuvent être fatals.

« Elles entretiennent un respect immense pour la mer, car elle peut autant offrir que reprendre », nous confie Franck Seguin.

Avant leur plongée, « on ne peut ignorer que ce sont des femmes âgées, elles ont les stigmates du temps sur leurs visages mais aussi ce pas lent et courbé des femmes de plus de 70 ans. » Une fois dans l’eau tout cela est oublié, leur corps devient fluide, leur souffle se régule, leur force se révèle.

« Elles passent très régulièrement plus de quatre heures dans l’eau à enchaîner les apnées, les descentes malgré les migraines et la fatigue », raconte Franck Seguin. « Ce sont des femmes fortes, belles, qui forcent le respect. »

Franck Seguin, un regard humble et juste

S’il est connu pour ses photographies spectaculaires du monde de l’apnée, notamment aux côtés de Guillaume Néry, c’est aussi un photographe dont j’admire profondément la sensibilité. Peu d’artistes aujourd’hui savent capter avec autant de justesse l’âme d’un instant. C’est cette qualité rare qui m’a poussée à lui poser mes questions.

Journaliste et photographe reconnu au journal L’Équipe, Franck Seguin est habitué aux grandes rencontres. Cette expérience lui a appris à reconnaître la force mentale et physique exceptionnelles. Mais ici, il ne s’agissait pas de performance sportive : « Les haenyeo ne cherchent pas le record, elles sont simplement adaptées à leur tâche. Elles plongent par nécessité, et cela force l’humilité. »

Franck Seguin n’a pas cherché à embellir ou transformer la réalité. « J’ai voulu être juste », dit-il. Pour lui, déclencher reste un geste instinctif : « J’appuie sur le déclencheur lorsque j’ai le sentiment que les choses s’harmonisent. »


Parallèles avec Guillaume Néry : performance et adaptation

Photographe attitré du champion d’apnée Guillaume Néry, Franck Seguin sait reconnaître un mental d’acier.

Comme Néry, les haenyeo possèdent une résistance physique et mentale hors norme. Mais la comparaison s’arrête là : l’athlète recherche la performance, tandis que les haenyeo plongent par nécessité, sans quête de record. « Elles sont simplement adaptées à leur tâche. ». L’athlète et explorateur sous-marin partage avec elles le lien intime avec l’océan, la maîtrise du souffle, et l’acceptation des risques.


Préserver un héritage vivant

Aujourd’hui, cette tradition séculaire attire l’attention du monde entier, mais elle reste fragile. Inscrites à l’UNESCO, les haenyeo pourraient être préservées grâce au soutien des institutions et à l’arrivée de nouvelles générations.

Pour Franck Seguin, ce patrimoine humain mérite qu’on s’y attarde : « Elles représentent un phare dans la tourmente du monde moderne et digital, elles représentent un monde où la capacité physique et l’intelligence restent les seuls garants de la survie en milieu naturel, souvent généreux mais qui reste hostile et où il faut accepter la mort pour vivre. »

Un rêve : revenir pour raconter plus profondément

Ce séjour à Jeju était plus un repérage, une invitation par le ministère culturel de la Corée du Sud. Le photographe espère un jour revenir sur plusieurs mois, en trouvant un mécène qui souhaiterai les soutenir, pour capturer toute la richesse de leur univers.

« Juste pour l’amour de l’art. »

Ma vision : un pont entre les cultures par l’émotion et le partage

En tant que passionnée par la richesse des traditions humaines et l’expression sensible à travers la photographie, ce projet autour des haenyeo me touche profondément. Ces femmes incarnent une force rare, à la fois fragile et puissante, un équilibre que peu de photographes parviennent à capturer avec autant d’émotion. Ce sont des histoires humaines universelles, à la croisée du respect, du courage et de la beauté, qui méritent d’être partagées largement.

Je crois que des projets comme celui-ci, soutenus par le ministère coréen de la Culture, sont essentiels pour construire des ponts entre les peuples. Ils ouvrent une fenêtre sur des modes de vie parfois oubliés, mais toujours porteurs d’enseignement et d’humanité. En valorisant ces récits, nous participons à un dialogue interculturel riche et nécessaire, où la sensibilité devient un langage universel.

J’espère que cette mise en lumière des haenyeo inspirera d’autres initiatives similaires, qui célèbrent la diversité du monde à travers la beauté des individus et la force de leurs traditions et permettra la réalisation du rêve « impossible » de Franck Seguin et Guillaume Néry.



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