Les lumières s’éteignent. Les cris montent. Pourtant, dès les premiers instants, quelque chose cloche, ou plutôt, surprend. Ce n’est pas l’ouverture millimétrée d’un concert, pas le programme détendu d’un fanmeeting, pas non plus le décor familier d’un épisode de Run Jin.
C’est tout cela à la fois, et pourtant… autre chose.
Ce soir-là, Jin signe le dernier épisode de Run Jin, qu’il transforme en point d’orgue. J’ai assisté au Day 2 de Londres et à la toute dernière date à Amsterdam. Sur scène, il alterne chansons, défis, confidences et rires. Dans la salle, on réagit, on intervient, on influe. Le quatrième mur, si solide en K-pop, se fissure. Bientôt, il s’effondre complètement.
Tradition : les formats établis en K-pop
Avant de comprendre pourquoi le RUNSEOKJIN_EP.TOUR, avec ses 18 dates dans neuf villes entre juin et août 2025, déroute et captive autant, il faut revenir aux codes des événements scéniques en K-pop, et à l’univers dont il découle.
Trois formats dominent, chacun avec ses règles précises et son rapport au public.
Le concert est le moment où l’artiste déploie toute sa puissance musicale et scénique. L’entrée se fait souvent après un VCR qui installe l’univers de la tournée, suivi d’un enchaînement millimétré de chansons, chorégraphies et interludes visuels. L’échange avec le public existe, à travers les ments, ces instants de parole, mais la relation se construit surtout par la performance musicale.
Le fanmeeting, lui, privilégie la proximité. Ce format, très courant en Asie mais rare en Europe, se tient souvent dans des salles plus petites. L’artiste y répond à des questions, joue à des mini-jeux, lit des messages de fans. Les chansons y tiennent une place plus modeste, intégrées comme moments de respiration au milieu des échanges.
Enfin, il y a l’univers des émissions de variété comme Run BTS. Ces shows, tournés en studio ou en extérieur, offrent aux fans une autre facette des artistes, en mettant en avant l’humour, le sens du jeu, la complicité entre membres. Mais cette proximité reste illusoire, elle passe par l’écran, jamais en direct avec le public.
C’est dans cet esprit qu’est née la série Run Jin, spin-off solo de Run BTS. Sur 36 épisodes, Jin y relève des défis variés, culinaires, sportifs ou ludiques, seul ou avec des invités, dans un ton décontracté qui met en valeur son humour et son autodérision. Le Run Seokjin Tour en est l’extension scénique, l’épisode 37 en quelque sorte, transposé dans un espace où le public n’est plus spectateur derrière un écran… mais dans la pièce, partie prenante de l’action.
Innovation : quand Jin lance son Dojeon, repenser le concert
Tout ce que les émissions de variété coréennes gardent derrière un écran, RUNSEOKJIN_EP.TOUR l’offre en direct, en face-à-face, avec l’énergie d’un événement qui refuse de choisir entre concert, fanmeeting et show télé.
Tout commence par le mot Dojeon! (Je relève le défi !). C’est ainsi que Jin ouvre son spectacle, en expliquant les règles. Lorsque lui crie Dalliora (Run), la salle répond Seokjin, et lorsqu’il lance Hana dul set (Un, deux, trois), la réponse est Dojeon! Ce rituel brise la distance et installe la complicité.
Ce cri structure le spectacle. Il reviendra tout au long de la soirée, comme un signal que l’on s’apprête à relever un défi ensemble. La setlist, stable d’une date à l’autre avec des titres phares comme Running Wild, I’ll Be There, Abyss ou l’iconique Epiphany, jusqu’au rappel sur To Me, Today, ne suit pas la logique linéaire d’un concert classique. Les chansons surgissent au milieu de séquences interactives ou après un moment comique, créant un rythme mouvant.
Ainsi, une performance vocale intense peut précéder un défi où Jin doit deviner un titre chanté par le public, ou un mot mimé par la salle. D’autres missions transforment le public en chorale improvisée grâce à une roulette qui choisit la chanson, ou en solistes pour relever les fameuses notes de Moon.
Pour dynamiser les changements de costume, Jin confie aussi des missions au public. L’une d’elles était un karaoké collectif, titre choisi par une roulette. Une autre, se tourner vers ses voisins et faire connaissance, transformant la salle en un vaste salon où les conversations naissent spontanément.
Ce mélange, pensé comme un plateau télé en direct, efface la frontière entre scène et salle. Le public n’est plus simple spectateur, mais partenaire de jeu, et chaque Dojeon prend une couleur différente selon la personnalité de la salle et ses réactions.
Londres et Amsterdam : deux défis, deux atmosphères
À Londres Day 2, j’entre dans la salle avec l’excitation mêlée de curiosité de celle qui ne sait pas encore ce qui l’attend. J’avais soigneusement évité toutes les vidéos qui spoilent le spectacle. L’énergie est immédiate, presque électrique. Chaque interaction devient un morceau de mémoire partagée. Les premières chansons s’enchaînent, entre défis hilarants et moments suspendus. Lors d’un jeu, Jin doit deviner Mikrokosmos à partir d’un extrait chanté par le public. Nous la chantons en coréen… plutôt mal, mais il la reconnaît grâce au fameux « oh oh ! ». En quelques secondes, toute la salle reprend avec lui cette chanson devenue, au fil des années, un hymne d’espoir et de lumière partagée pour BTS et ARMY. Plus tard, la roulette du karaoké tombe sur Anpanman, ode aux héros ordinaires portée par un refrain irrésistible. La salle entière devient un chœur enthousiaste. Puis vient un autre moment fort, Jin tend son micro à des ARMY choisis au hasard pour entonner les fameuses et difficiles notes du « ouh ouh » de Moon. Deux d’entre elles brandissent une pancarte « We are bad singers ». Après leur tentative, tout le monde rit de bon cœur, Jin y compris, qui conclut en souriant « you are bad singers ». Un rire partagé, jamais moqueur, à l’image de la soirée où l’on rit ensemble, pas les uns des autres.
Quelques jours plus tard, à Amsterdam pour la dernière date, je pense connaître le principe… et pourtant. L’énergie est différente, plus diffuse, plus joueuse, presque complice. Le jeu de mimes prend ici une tournure mémorable avec les mots gymnastics et worldwide handsome, menant à la fameuse pénalité du costume de cow-boy gonflable, dans lequel Jin interprète Super Tuna. Ce morceau, né comme une blague et devenu un mème culte, déclenche une vague d’hilarité collective. Comble du comble, la roulette du karaoké tombe elle aussi sur Super Tuna, redoublant l’ambiance bon enfant.
Mais le moment le plus personnel pour moi reste l’ARMY Time. Ce segment du spectacle, réservé aux fans, permet à leurs messages ou créations d’apparaître sur l’écran géant. Ma pancarte « From Paris to the Moon for Jin » est choisie pour apparaître en grand sur l’écran et toute la salle a réagi. Quelques secondes suspendues, un sourire partagé avec ARMY, et mon petit moment de gloire.
Ce geste résonne particulièrement dans une communauté comme ARMY, où les liens se tissent bien avant le début du spectacle. Les files d’attente deviennent toujours un terrain d’échanges chaleureux. Par tradition, on y distribue de petits cadeaux faits main, bijoux, badges, photocards… autant de souvenirs à glisser dans une poche ou un sac, trace de cette rencontre éphémère. À Amsterdam comme à Londres, ces coutumes ARMY transforment l’attente en un moment de partage, et il suffit d’un sourire ou d’un simple « Hello ARMY » pour que la conversation démarre, quelle que soit la langue de l'autre, et qu'on se fasse un nouvel ami. On dit souvent, entre ARMY, que notre communauté est une safe zone. Pour ma part, je le confirme après y avoir trouvé ma place dès 2013. Ce sentiment d’appartenance, on le retrouve aussi une fois à l’intérieur de la salle. Les échanges entre fans se mêlent aux interactions avec Jin, comme si l’énergie circulait dans tous les sens.
Ce n’est plus seulement Jin qui nous parle, nous parlons aussi entre nous.
À la fin, lorsqu’il salue le public pour la dernière fois, je réalise que, même si Londres et Amsterdam partageaient les mêmes mécaniques, aucun des deux moments n’aurait pu être interchangeable. C’est peut-être ça, le vrai Dojeon. faire de chaque date un jour unique, même quand on croit savoir à quoi s’attendre.
En sortant de la salle, je n’avais pas l’impression d’avoir « vu » Jin. J’avais la sensation d’avoir passé du temps avec lui. Là où le concert, le fanmeeting et l’émission télé gardent chacun leur cadre, Run Seokjin les mêle, les détourne et les réinvente pour créer un espace où artiste et public se retrouvent au même niveau.
Ce format hybride, né de l’esprit joueur de Jin, est structuré pour tenir sur scène, mais assez souple pour s’adapter à chaque public. Ce n’est pas un spectacle que l’on « rejoue », mais un moment qui vit dans l’instant, façonné par les rires, les réactions et les interactions uniques de chaque public.
En K-pop, où tout est souvent calibré au millimètre, cette liberté est rare et précieuse. Le Dojeon n’est pas qu’un slogan crié en chœur, c’est une invitation à oser sortir du cadre, à se risquer à l’inattendu, et à transformer un événement en souvenir partagé.
Présents partout à travers le monde, les journalistes honoraires de Korea.net ont pour mission de faire connaître et partager leur passion de la Corée et de la culture coréenne au plus grand nombre.