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29.08.2025

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Par Coline Louis

Quid des courtisanes coréennes, ou gisaeng, dans la littérature à l’international, et notamment dans la poésie ? On peut citer Créatures du petit pays, de Juhea Kim, qui sur fond de colonisation japonaise (1910-1945), a pris pour l'un de ses personnages principaux une jeune courtisane, et dépeint avec une grande justesse le rôle de ces femmes auprès d’hommes souvent très influents, de part et d’autre de l’échiquier politique. Ce rôle, les femmes courtisanes coréennes l’ont tenu parfois presque malgré elles, car envoyées dès leur plus jeune âge par leurs familles suivre les enseignement de la courtisane parfaite, entre autres la lecture et l’écriture.

Sounya Whang, artiste-peintre, poétesse et chanteuse coréenne résidant en France, a décidé cette année avec Ainsi ce monde devient céleste, poésies anciennes de femmes coréennes, et sa série de tableaux Femmes courtisanes coréennes, de leur rendre honneur en traduisant et publiant les poèmes d’une dizaine de ces femmes. Mélancoliques, hommages à la nature et ses éléments, à leur condition de femmes d’apparat, mais aussi drôles et insolents, ces textes montrent la nature indépendante de ces femmes courtisanes, sur une période qui s’étend du XVIe au XIXe siècle.

J’ai rencontré Sounya Whang afin d’en discuter et vous rends ici compte de notre échange, espérant vous donner l’envie de vous plonger dans la lecture de son livre...

Sounya Whang pose ici entourée de sa série « Femmes courtisanes coréennes » au sein de la Sounya Art Gallery © Coline Louis

Sounya Whang pose ici entourée de sa série « Femmes courtisanes coréennes » au sein de la Sounya Art Gallery © Coline Louis


Interview réalisée en face à face avec Sounya Whang le 6 août 2025.

Coline Louis : Bonjour Sounya, c’est un plaisir de vous revoir ! Pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas, pouvez-vous vous présenter un peu ?

Sounya Whang : Je suis d’abord artiste-peintre mais aussi poète, et de temps en temps je chante – je suis compositrice et chanteuse. Je suis notamment très attachée à la culture traditionnelle coréenne : pour la peinture, je pratique l’encre de Corée ; dans mes poèmes, je pratique une forme de poésie certes contemporaine mais assez influencée par le sijo, une forme de poésie courte d’origine coréenne ; et enfin, je compose pour mes chansons des mélodies « franco-coréennes », c’est-à-dire qu’on retrouve toujours l’influence de la musique traditionnelle coréenne ainsi que dans ma manière de chanter. Toute ma pratique de l’art prend origine dans la Corée.

Je vous rencontre cette année pour Ainsi ce monde devient céleste, poésies anciennes de femmes coréennes. Comment décririez-vous ce livre mais aussi votre démarche ?

Ce sont uniquement des poésies de femmes coréennes, allant du XVIe au XIXe siècle. Pourquoi les poésies de ces femmes-là ? Parce que ces femmes avaient un statut social très bas. La place des femmes dans la société était très basse : elles étaient simplement au service de la société, d’une famille ou des hommes. Par exemple, les femmes lettrées, aristocrates ou royales apprenaient à lire et écrire non pas pour se réaliser, mais pour être de bonnes épouses ; pour converser avec leur mari et leurs enfants, pour les éduquer, mais surtout pas pour se réaliser. Quant aux courtisanes, qui viennent de la basse société, pourquoi apprennent-elles à lire, écrire, peindre, jouer d’un instrument et danser ? Parce qu’elles devaient distraire les hommes aristocrates. Encore une fois, pas pour se réaliser mais pour servir la société. Ces femmes n’existaient pas en elles-mêmes, elles existaient pour quelqu’un et elles n’étaient pas reconnues comme êtres humains à part entière. Mais leur éducation a fait qu’elles avaient atteint un niveau spirituel élevé, qui dépassait parfois les hommes. Certaines avaient un niveau de peinture exceptionnel. Leurs poésies étaient parfois reconnues par les hommes écrivains, ce qui suscitait un certain respect et une certaine admiration, bien qu’elles ne soient pas lues par le public, contrairement aux hommes. Ce n’est qu’après la libération de la Corée en 1945 qu’on a commencé à revaloriser leurs écrits, et on a même pu voir que leur qualité dépassait largement celle des hommes. Je trouve que c’est un revanche magnifique ! Dire qu’elles ont dû vivre pendant des siècles sous le joug des hommes, avec l’introduction du confucianisme puis du néo-confucianisme… Quelle revanche !

Une courtisane et son chat ; les chats des tableaux de la série « Femmes courtisanes coréennes » sont en fait les chats de Sounya Whang. © Sounya Whang

Une courtisane et son chat ; les chats des tableaux de la série « Femmes courtisanes coréennes » sont en fait les chats de Sounya Whang. © Sounya Whang


Quand vous avez sélectionné et traduit ces poèmes, avez-vous trouvé résonance ? Car la société coréenne est encore très critique envers les femmes…

Effectivement. C’est en train d’évoluer, le pouvoir politique fait des efforts pour l’égalité femme-homme, mais les mœurs évoluent très lentement. Les femmes elles-mêmes ne sont pas très actives pour leur émancipation. En effet, l’émancipation accompagne aussi une forme de douleur, un combat, mais aussi sortir d’un certain confort ; si elles sont obéissantes, c’est plus simple. Mais si vous voulez vraiment cette égalité, il faut être au niveau, c’est un travail très dur. Beaucoup de femmes dans le monde entier ont trop l’habitude d’être protégées par leur condition actuelle.

Finalement, ces textes sont très modernes…

Très modernes ! J’ai traduit de manière à ajouter une certaine modernité, et j’ai exclu toutes les poésies qui incitent à l’obéissance aux hommes et à la règle sociale. Ces écrits existent et je les ai exclus. J’ai sélectionné des poésies féministes et très libres qui, au-delà de leurs évidentes qualités littéraires, portent cet esprit d’émancipation et de combat.

Quel a été le processus, de la sélection à la parution ?

Beaucoup de ces textes étaient écrits en chinois (ndlr : caractères chinois ou sinogrammes) malgré la création du hangeul (ndlr : alphabet coréen) par le roi Sejong au XVe siècle, que les aristocrates ont refusé d’utiliser. Ils appelaient le hangeul, « hamgeul », c’est-à-dire l’écriture femelle. C’est évidemment une appellation très méprisante venant d’eux. Donc certaines de ces femmes courtisanes ont écrit en chinois. Moi, je ne sais pas le lire, alors j’ai travaillé avec une spécialiste de l’écriture chinoise qui m’a traduit chaque caractère. À partir de cela, j’ai traduit en français de manière à ce que ce soit au plus proche du texte original. On trouve également beaucoup de traductions en coréen, ce qui m’a aidée. La sélection s’est faite ainsi : premièrement, la qualité littéraire, et deuxièmement, cet esprit d’émancipation.

Le livre est également illustré avec votre série Traces et signes, et en première de couverture avec une illustration tirée de votre série Femmes courtisanes coréennes. Pourquoi avoir décidé de leur consacrer ainsi votre œuvre ?

C’est une série très importante pour moi, à cause du statut très malheureux des femmes courtisanes. L’un des poèmes cite « Un ivrogne a déchiré ma robe »… C’est très dur et méprisant, ces femmes devaient obéir à des demandes souvent peu respectueuses. Et malgré leur condition, elles luttaient contre ces difficultés en écrivant et en peignant notamment. Par rapport aux femmes aristocrates, respectées et au statut confortable, leur combat est double, malgré leur haut niveau spirituel et artistique. Je suis sûre que ce décalage a créé une souffrance importante.

Sounya Art Gallery, un brin de couleur dans la ville médiévale de Joigny. © Coline Louis

Sounya Art Gallery, un brin de couleur dans la ville médiévale de Joigny. © Coline Louis


Ce sont des femmes lettrées, pour distraire les hommes, comme des objets qu’on montre, mais on parle peu de l’impact qu’elles ont pu avoir sur des hommes très influents politiquement. Pensez-vous qu’on cherche à l’éviter ?

On n’en parle pas beaucoup, mais certaines courtisanes sont devenues concubines d’hommes politiques et ont joué des rôles importants. Par exemple, Hwang Jini avait une grande influence sur eux, et jouait un certain rôle, bien que les hommes discréditent celui-ci. Leur rôle n’est pas négligeable, et notamment dans la littérature, car elles échangeaient avec des hommes lettrés. C’est pourquoi je voulais absolument le montrer au public français, car la culture des courtisanes n’est pas présente en Occident.

Vous avez publié en France, mais votre ouvrage est aussi traduit en anglais. Ce type d’ouvrage existe-t-il en Corée ?

En Corée et en coréen il en existe beaucoup : on en parle, c’est lu et étudié. Mais pas à l’étranger. C’est pourquoi je voulais faire ce livre.

Enfin, quels sont vos projets en cours et à quoi peut-on s’attendre dans un futur proche ?

Je vais d’abord beaucoup parler de ce livre, notamment à travers des séances de lecture et des expositions. Je pense beaucoup travailler dessus et présenter ce livre à un maximum de monde !


Vous pouvez retrouver Ainsi ce monde devient céleste, poésies anciennes de femmes coréennes sur Amazon et sur commande ou en magasin au Saut du livre, librairie indépendante à Joigny, ville où se trouve la galerie de Sounya Whang, Sounya Art Gallery (27, rue de l'Étape 89300 Joigny).


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