Tribunes

07.08.2020

Par Kim Min-chul (Professeur à l'université de Kyung Hee, Chercheur au Centre pour la vérité historique et la justice)



Le 15 juin à Tokyo, le gouvernement japonais a ouvert au public le Centre d'information sur le patrimoine industriel, qui nie la vérité historique derrière la mobilisation forcée de travailleurs étrangers par le Japon dans une mine de charbon de l'île de Hashima. Le gouvernement japonais a rompu sa promesse au monde en faisant afficher dans ce centre une déformation de l'histoire. Les attentes étaient faibles étant donné le comportement de Tokyo à cet égard au fil des ans, mais le fait que le gouvernement japonais ait manifestement manqué à sa parole est stupéfiant.


Le 5 juillet 2015, à Bonn, en Allemagne, la 39ème session du Comité du patrimoine mondial a décidé d'ajouter les installations industrielles japonaises de Meiji à la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO, en recommandant au Japon de préparer « une stratégie d'interprétation » pour permettre une compréhension complète de chaque site. À l'époque, des groupes non gouvernementaux de Corée et du Japon ont joué un rôle clé. Le Centre pour la vérité historique et la justice, basé à Séoul, et le Réseau de recherche sur la mobilisation du travail forcé du Japon ont travaillé ensemble pour informer les pays membres du Comité sur la sombre histoire de la mobilisation forcée en recueillant les témoignages des victimes. Cela a conduit les pays membres à demander au gouvernement japonais de préparer une stratégie d'interprétation pour permettre une compréhension complète de l'histoire de chaque site.


À l'époque, l'ambassadeur du Japon auprès de l'UNESCO, Kuni Sato, a déclaré au comité : « Le Japon est prêt à prendre des mesures qui permettent de comprendre qu'un grand nombre de Coréens et d'autres personnes ont été amenés contre leur gré et forcés de travailler dans des conditions difficiles dans les années 1940 sur certains des sites, et que, pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement japonais a également mis en œuvre sa politique de réquisition ». Lors de la session, Sato était accompagné de Koko Kato, qui a supervisé le projet de classement des sites industriels de Meiji par l'UNESCO. Kato est aujourd'hui à la tête du Congrès japonais du patrimoine industriel (NCIH), qui dirige le centre d'information. Le lendemain, cependant, le secrétaire en chef du cabinet japonais Yoshihide Suga a fait valoir que la mobilisation n'était pas illégale selon le plan national de mobilisation appliqué en Corée en 1944, niant la reconnaissance de Sato lors de la session du Comité. Le gouvernement japonais a donc totalement inversé ce que son représentant avait déclaré la veille aux pays membres de l'UNESCO.


Pour nier sa mobilisation et son travail forcé, le gouvernement japonais a depuis changé le terme qu'il utilisait pour désigner les victimes, passant de « travailleurs réquisitionnés de la péninsule coréenne » à « Coréens forcés de travailler ». Ce soi-disant style japonais n'est ni conforme à la recommandation du Comité de l’UNESCO ni acceptable par la communauté internationale. Un rapport sur l'état de conservation que le gouvernement japonais a présenté au comité le 30 novembre 2017 s'est davantage concentré sur la collecte de données et de témoignages et n'a pas admis l'histoire du Japon en matière de mobilisation forcée pour le travail, car il n'a pas recueilli de données historiques relatives aux victimes coréennes ou chinoises du travail forcé et de témoignages sur la discrimination. L'intention du rapport était donc d'ignorer ou d'interpréter la recommandation du Comité du patrimoine mondial de manière déformée. Les victimes coréennes du travail forcé ont ensuite été qualifiées de travailleurs qui « soutenaient » les industries japonaises, une interprétation de l'histoire très japonaise, absurde et illogique.


Le rapport du gouvernement japonais n'a pas réussi à mettre pleinement en œuvre la recommandation du Comité du patrimoine mondial. C'est pourquoi le comité, lors de sa 42ème session en 2018, a demandé à Tokyo « de prendre en compte les meilleures pratiques internationales pour les stratégies d'interprétation » et a encouragé « la poursuite du dialogue entre les parties concernées ». D'un point de vue de bon sens, les « parties concernées » auxquelles le Comité du patrimoine mondial a fait référence auraient dû inclure les ONG concernées ainsi que les victimes et leurs pays d'origine, qui ont tous soulevé la question du travail forcé. Jusqu'à présent, cependant, le gouvernement japonais a interprété le terme « partie concernée » comme une organisation ou une institution qui a fait pression en faveur du patrimoine industriel. Cette attitude persistante de Tokyo ignore non seulement les demandes des victimes et du gouvernement coréen, mais aussi les résolutions du Comité du patrimoine mondial.


Dans une interview accordée au quotidien japonais Sankei Shimbun le 5 août dernier, le directeur du centre, Kato, a admis que le Japon avait perdu sur la scène mondiale dans le processus de désignation des sites industriels de Meiji comme patrimoine mondial de l'UNESCO en raison des activités du gouvernement coréen et des ONG. En tant que conseillère du cabinet japonais chargé d'établir la liste des sites, elle a ajouté que le déni de l'histoire du travail forcé au Japon était sa principale priorité.


Le gouvernement japonais a confié au NCIH toutes les tâches allant de la collecte de données à la promotion des sites Meiji. Le groupe a effectué tout ce qui concerne « l'histoire complète » mentionnée dans la recommandation du Comité sous les ordres de Tokyo avec des fonds de plus de 4 milliards de wons, un montant qui pourrait être considéré comme scandaleux. Le rapport du NCIH présenté au gouvernement japonais est rempli d'un contenu qui ne fait que nier la mobilisation forcée du travail au Japon, en l'absence même d'un semblant d'équilibre minimum.


L'exposition du centre montre des témoignages d'anciens résidents de Hashima qui affirment que les Coréens et les Japonais « étaient en bons termes et partageaient une unité familiale sur l'île », tout en niant l'existence du travail forcé ou de la discrimination. Ces témoignages, cependant, ne prouvent pas qu'il n'y a pas eu de travail forcé. Les victimes ont déclaré qu'elles n'étaient pas payées « correctement », et non qu'elles ne recevaient pas de salaire. L'essentiel de leur appel réside simplement dans le fait qu'elles ont été forcées de travailler alors qu'elles ne le voulaient pas et qu'elles sont restées mal payées pour leur travail.


La mobilisation forcée pour le travail n'est pas seulement un problème entre la Corée et le Japon. Il s'agit d'un problème à la fois multilatéral et lié aux droits de l'homme, car il concerne des prisonniers de guerre chinois et alliés. Le patrimoine industriel a également été construit grâce au sang, à la sueur et aux larmes des travailleurs japonais. Pour que le centre d'information présente un patrimoine aux valeurs universelles, un changement fondamental de mentalité est nécessaire. Le centre, qui a été condamné pour avoir déformé l'histoire, devrait être transformé en un centre de commémoration commune de l'histoire de l'Asie de l'Est avec la participation des parties concernées, y compris les victimes et les pays concernés. Cela permettrait de conduire le conflit vers la réconciliation et de réaliser les « valeurs universelles » poursuivies par le Centre du patrimoine mondial.


Kim Min-chul
Kim mène des études sur l'histoire moderne de la Corée par le biais d'activités telles que la recherche de faits et le soutien aux victimes pour résoudre les problèmes historiques entre la Corée et le Japon, les personnes contraintes de travailler par le Japon, la déformation de l'histoire par les Japonais et les massacres de civils avant et après la guerre de Corée. 

Traduit par Jung Joo-ri, rédactrice de Korea.net

(Note de la rédaction)
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