Par Kang Bang-hwa
Enseignante à l’Institut coréen de traduction littéraire
Début août, je me suis rendue au centre culturel coréen d'Osaka pour assister à la cérémonie de remise des prix du concours de traduction de littérature coréenne lancé par le centre l'année dernière. La littérature coréenne bénéficie depuis peu d’une attention particulière au Japon. Après la K-pop, les médias parlent désormais de « K-littérature ». Le nombre de personnes désireuses d'apprendre le coréen augmente progressivement, lui aussi, en partie grâce aux chansons, films et dramas. Une fois la langue apprise, il est naturel de s'intéresser à la culture liée à cette langue. Un intérêt qui continue dans la traduction. Après un premier succès l’année dernière, le concours a vu la participation de nombreux candidats, fruit de multiples efforts.
« Même en vivant dans des pays et des mondes différents, nous trouvons du réconfort autour des points communs que chaque peuple partage à travers la littérature. Mais la traduction, elle, consiste peut-être davantage à découvrir des différences et à aider la compréhension mutuelle plutôt qu’à trouver des points communs », ai-je commenté en tant que membre du jury.
Les nombreuses similitudes linguistiques entre le coréen et le japonais, en particulier celles de l'utilisation des caractères sino-coréens, de l’ordre des mots dans la phrase et de l'emploi de titres honorifiques, sont connues depuis longtemps. Mais un examen comparatif plus approfondi des deux langues révèle de nombreuses différences, notamment dans le langage, les gestes adoptés selon les relations et les situations, et dans les modes et les degrés d'expression des émotions. Les Japonais intégrés à la société coréenne se demandent souvent pourquoi les Coréens utilisent l’expression « siwhonhada » (c’est frais) lorsqu’ils se baignent dans une eau chaude, ce qu'ils ressentent lorsqu'ils appellent quelqu'un par son nom complet ou pourquoi utilisent-ils le mot « wife » pour parler de leurs épouses. Personnellement, je crois que la différence entre le coréen et le japonais se voit le plus lors des disputes. Les Coréens ont tendance à s'agiter en passant brusquement du discours formel à l'informel, tandis que les Japonais deviennent froids et distants en adaptant eux aussi leur discours, cette fois de l’informel vers le formel.
Plusieurs événements sont organisés dans les deux pays cette année pour commémorer le 60e anniversaire de la normalisation des relations diplomatiques. J’ai eu l’occasion de réfléchir à l'évolution de ces relations en participant à une conférence d’experts organisée par le ministère des Affaires étrangères, le 21 juillet dernier.
J’ai grandi dans une famille qui lisait beaucoup. Mon père était un véritable rat de bibliothèque, et notre chambre était remplie non seulement de livres pour enfants, mais aussi de littérature japonaise et étrangère. C'est donc tout naturellement que nous avons commencé à lire des œuvres traduites, découvrant des noms, des cultures, des scènes et des intrigues inconnus, dont le
Journal de Yunbogi. En commençant ma lecture, j'ai été envahie par une sensation étrange que je n'avais jamais ressentie dans aucun autre livre. J'avais envie de tout nier, de dire : « c'est ça, “nous” (우리) ? Non, c'est impossible. »
Le personnage principal de l’histoire, un jeune coréen, décrit sa vie au milieu des cicatrices de la guerre, de l'extrême pauvreté et de la séparation d'avec sa famille. À l'époque, j'étais au collège et je savais que j'étais d’origine coréenne, sans pour autant en maîtriser la langue. La Corée, pour moi, me semblait lointaine. Elle n’était qu’un pays où je rendais visite à ma famille une fois par an. Ce « nous », est-ce le « nous » pour « êtres humains » ? Ou le « nous » pour « les Coréens », ou pour « immigrés coréens » ?
C’est probablement à partir de ce moment-là que j’ai commencé à prendre mes distances avec ce pays qu’est la Corée. Le contenu du livre était sûrement trop difficile à lire pour une jeune fille de mon âge, à moins que ce soit ma volonté de rester dans ma zone de confort. Mais en grandissant, j’ai compris, comme pas mal de gens, qu'il est impossible de rester dans sa zone de confort. Après mes études, j'ai décidé de partir en Corée pour étudier. Au début, je pensais me contenter d'apprendre la langue, mais au fur et à mesure, j’ai commencé à vouloir lire des œuvres écrites par des auteurs coréens. Et plus j’en lisais, plus j’étais curieuse de savoir comment vivent les Coréens qui vivent en Corée. Ressentaient-ils de la même manière que moi ces mots, ce vocabulaire ?
Je ne m’identifie ni comme une Coréenne, ni comme une Japonaise, mais comme issue de la troisième génération d’immigrés coréens au Japon. Ces trois identités paraissent semblables, et sont pourtant très différentes. Le fil de ma vie a sûrement été guidé par la curiosité née de ces différences et par la surprise ressentie face à ce que je croyais être des similarités. Pour moi, la traduction littéraire est un moyen d’aider à la compréhension des lecteurs et de satisfaire, au moins un peu, ma propre curiosité.
Comme le soleil qui se coucherait après une dure journée de travail, le monde a changé. On entend des chansons japonaises à la télévision coréenne et on organise des cours de maquillage à la coréenne au Japon. Chaque jour, je rencontre des personnes courageuses qui, comme moi, s'étonnent des différences et, au lieu de dresser des murs ou de prendre leurs distances, se posent des questions, cherchent à comprendre.
Être traducteur, c'est rêver avec l'auteur, voyager entre l’œuvre et la réalité. C'est s'intéresser, apprendre, reconnaître l’inconnu et la nouveauté. Une fois que ce processus est acquis, il est possible de se comprendre et d’imaginer l’avenir.
Kang Bang-hwa enseigne la traduction coréen/japonais au sein de la Translation Academy de l'Institut coréen de traduction littéraire depuis 2016.