Entretiens

13.03.2014

Une architecture arrondie qui se fond dans le paysageUne structure atypique présentant un design homogène et des courbes sans fin se trouve désormais à proximité de la porte Dongdaemun. Son apparence extérieure pourrait faire penser qu'un vaisseau spatial extraterrestre géant a atterri au milieu de Séoul. Baptisé "Dongdaemun Design Plaza and Park" (DDP), le bâtiment est aujourd'hui presque terminé et il sera ouvert au public le 21 mars.

"C'est unique de combiner l'architecture et le paysagisme dans un même projet. C'est ce qui le rend tout à fait original", a déclaré Zaha Hadid, l'architecte irako-britannique qui a conçu cette monumentale structure. Lors d'une conférence de presse tenue le 11 mars dernier elle a confié : "Ce n'était pas facile à réaliser, mais nous avons réussi et le bâtiment est devenu une partie intégrante du paysage lui-même".

Hadid, qui est la fondatrice de Zaha Hadid Architects (ZHA), a été la première femme à recevoir le prestigieux prix Pritzker en 2004. En plus du DDP, elle a également conçu le tremplin de saut à ski Bergisel, à Innsbruck en Autriche, en 2002, le bâtiment central de BMW à Leipzig en Allemagne, en 2005, le Musée national MAXXI du arts du XXIe siècle à Rome en Italie, en 2010 et le stade principal des Jeux olympiques de 2020 à Tokyo, au Japon. Le DDP est cependant le premier projet de Zaha Hadid en Corée et il est à présent le plus grand bâtiment atypique du monde en trois dimensions.

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어느 각도에서나 다른 모습을 한 DDP의 외부 (사진: 서울디자인재단)

Le DDP présente, sous chaque angle, une forme différente. (Photos avec l'aimable autorisation de la Seoul Design Foundation)


Depuis quelque temps, ceux qui la critiquent surnommaient Hadid une "architecte sur papier". Arguant que ses créations ne sont pas souvent construites parce qu'elle refuse de transiger sur ses conceptions originales et audacieuses. Ses créations sont célèbres pour n'avoir pas de frontières, pas de limites. Et elle conçoit non seulement des bâtiments, mais aussi des meubles, des vêtements et des accessoires, entre autres choses.

Le design de Zaha Hadid a été choisi pour le DDP lors d'un concours international organisé par la ville de Séoul en 2007. La capitale souhaitait établir un centre culturel au centre de l'un des quartiers les plus animés et les plus historiques de la ville mais aussi apporter du plaisir et de l'inspiration aux gens de Séoul. L'idée de ce design était de fusionner organiquement l'architecture avec le paysage environnant et les constructeurs ont fidèlement rendu le concept. C'est ainsi qu'est née cette structure atypique massive.

La caractéristique la plus marquante du DDP, c'est qu'il présente des formes différentes quelle que soit l'angle sous lequel on l'observe. La complexité de la conception, cependant, a été compensée par une surface extérieure simple, couverte de milliers de panneaux en aluminium de la même couleur.

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DDP의 아트홀 1관, 2관 (사진: 서울디자인문화재단)

Les salles Art Hall 1 et 2 du DDP serviront de centres de congrès. (Photos avec l'aimable autorisation de la Seoul Design Foundation)


지하 2층에서 지상 4층까지 이어지는 조형계단 (사진: 서울디자인문화재단)

Un long escalier en colimaçon mène de la cave au quatrième étage. (Photo gracieuseté de la Seoul Design Foundation)


"Le DDP constitue un seul bâtiment, mais l'idée était de créer des formes irrégulières qui permettent du mouvement autour et dans le bâtiment", a expliqué Patrik Schumacher, l'un des partenaires de la firme Zaha Hadid Architects. "La vue ne ​​cesse de changer à mesure que s'ouvrent une nouvelle perspective et de nouvelles formes. C'est ce que l'on ressent lorsque l'on se déplace à travers un paysage inconnu et inhabituel", a précisé Schumacher. "Ce qui importe, ce sont le revêtement, l'apparence monolithique et la structure homogène".

"Ce que nous avons fait est quelque chose de très original. Nous sommes très conscients qu'il y a eu des doutes et des inquiétudes parce que le projet semblait si étrange et étranger. Maintenant, cependant, je pense que l'accueil est en train de changer à mesure que les idées et l'extraordinaire beauté du projet se font de plus en plus apparentes. Nous connaissons toujours cette expérience. Lorsque nous travaillons avec quelque chose de très original et insolite, il y a d'abord des doutes et puis, plus tard, les gens développent une affection pour le bâtiment", a-t-il ajouté.

Une technologie de pointe a été utilisée pour construire le DDP

Cela a coûté 500 milliards de wons pour construire le DDP [soit environ 350 millions d'euros]. Le bâtiment comporte trois étages souterrains et quatre étages hors-sol et il couvre 85 320 mètres carrés. Il abrite des salles de conférences, un espace d'exposition, des studios, des centres d'affaires ainsi que d'autres installations.

Le bâtiment ne comporte aucun pilier à l'intérieur et il présente des courbes sans fin. Un programme de simulation informatique de pointe et un logiciel de modélisation des données de bâtiment (BIM) ont dû être utilisés pour réussir à concevoir ce design. L'utilisation du BIM implique de générer et gérer une représentation numérique des caractéristiques physiques et fonctionnelles d'un bâtiment donné. Le logiciel transforme un plan en deux dimensions en un objet en trois dimensions. De nouvelles technologies, comme des méga-fermes, qui ont été développées pour des applications qui nécessitent des capacités monumentales de chargement ou encore des cadres d'espace ("space frames"), une structure rigide légère construite par le croisement d'entretoises en un motif géométrique, ont ainsi été utilisées pour réaliser une structure qui n'utilise pas de piliers.

A l'intérieur, le DDP est également spectaculaire. Il y a des espaces dans les espaces et il est difficile de comprendre quels volumes sont situés à quel étage. Il y a une galerie en forme de grand cylindre avec des couloirs en spirale. Un grand hall pouvant servir de centre de convention couvre 2992 mètres carrés avec un plafond situé à 9 mètres de haut, offrant un vaste espace ouvert. Et du quatrième étage au sous-sol court un long escalier en colimaçon.

DDP 개관전인 Zaha Hadid_3600이 열리는 갤러리 (사진: 임재언)

L'exposition "Zaha Hadid_3600 " sera présentée à l'ouverture du DDP. (Photo : Limb Jae-un)


곡선이 끝없이 이어지는 건물의 외부 (사진: 임재언)

L'apparence extérieure du DDP se caractérise par des courbes sans fin. (Photo : Limb Jae-un)


동대문운동장 부지에서 발견된 유적을 보존한 모습 (사진: 임재언)

Les vestiges retrouvés sur le site lors de la construction ont été préservés. (Photo : Limb Jae-un)


La surface extérieure du DDP est recouverte de 45 133 panneaux d'aluminium qui sont tous différents les uns des autres. Fabriquer ces panneaux de 4 millimètres d'épaisseur a été l'une des parties les plus difficiles de la construction. Hadid voulait des panneaux courbes en deux dimensions et elle d'abord demandé à des fabricants britanniques et allemands de les produire, mais les fournisseurs ont répondu qu'ils devraient être fabriqués à la main, un par un, et qu'il faudrait 20 ans pour les faire. Après une série de tentatives et d'échecs, les ingénieurs coréens ont développé une machine à mouler de pointe et un cutter. Le développement de la machine a conduit au dépôt de six brevets. Et Zaha Hadid présente maintenant des panneaux fabriqués en Corée pour aider les constructeurs à réaliser ses créations de bâtiments ailleurs.

"La construction du bâtiment a été une expérience sans précédent et il a été difficile de bâtir, car il n'y avait pas d'exemples auxquels se référer", a déclaré Lee Sang-gyu, un dirigeant de Samsung C & T, qui a construit le DDP. "Pour produire les panneaux d'aluminium dans la période requise et en respectant le budget, nous avons dû utiliser toutes sortes de technologies de moulage du métal".


- Zaha Hadid a parlé de sa philosophie architecturale lors d'une conférence de sa presse au DDP, le 11 mars.

11일 열린 기자회견에서 DDP 디자인 컨셉트를 설명하는 건축가 자하 하디드 (사진: 임재언)

Zaha Hadid répondant aux questions sur la conception du design du DDP au cours de la conférence de presse du 11 mars 2014. (Photo : Limb Jae-un)


- Sur quoi vous êtes vous concentrée quand vous avez conçu le DDP ?

- Notre but était de créer un centre culturel dans l'un des quartiers les plus animés et les plus historiques de la ville. Nous voulions concevoir le DDP afin que les expositions et les événements puissent insuffler de la vie aux alentours. Nous avons également voulu maintenir les traces du mur de la ville, fusionner le bâtiment avec le paysage et créer un design homogène. Nous avons également considéré le fait qu'il n'y avait pas de verdure à proximité. Grâce à la technologie de pointe, nous voulions faire tomber les barrières entre le bâtiment et le paysage et les fusionner en un seul élément.

- Pourquoi utilisez-vous beaucoup de courbes dans vos designs ?

- J'aime utiliser des courbes. Il y a vingt ans, je me suis demandée comment traiter de très grands projets. J'ai dû prendre en compte les caractéristiques géographiques car les grands projets sont construits sur de vastes territoires. J'ai utilisé beaucoup de courbes parce que je devais prendre en compte cette géographie. Lorsque vous visitez un endroit inconnu, vous voyez plus de courbes que d'angles, donc j'ai utilisé beaucoup de courbes.

-En quoi le DDP est-il différent des autres projets ?

- La plupart des projets sont spécifiques au site, mais les idées sont génériques. Je dois tenir compte des caractéristiques géographiques pour concevoir un bâtiment et c'est toujours difficile. Pour ce projet, j'ai eu une approche unique en combinant le paysage avec le bâtiment. Compte tenu de la géographie, du contexte historique et de l'harmonie du bâtiment avec le paysage, j'ai eu une idée originale.

- Vous avez visité de nombreuses villes et vous savez à quel point elles sont toutes différentes les unes des autres en termes de design. Est-ce que Séoul va dans la bonne direction ?

- Je pense, pour ma part, que les villes asiatiques ont quelque chose de spécial. Les villes d'Asie sont différentes des villes européennes. Je ne connais pas très bien Séoul. Je sais que la cité a des qualités uniques. J'ai vu des sanctuaires. Beaucoup de villes ont des caractéristiques différentes parce qu'elles ont été façonnées par différentes traditions. Chaque ville est en train de devenir plus ou moins mondiale et il pourrait y avoir des similitudes. De ce que je sais, Séoul va dans la bonne direction avec des projets intéressants. La chose la plus importante est de s'intéresser à de nouvelles idées d'urbanisme. Il faut beaucoup de temps pour que cela se développe.

DDP 개관전인 Zaha Hadid_3600 에서 포즈를 취한 자하 하디드 (사진: 임재언)

Zaha Hadid devant l'exposition d'ouverture "Zaha Hadid_3600". (Photo : Limb Jae-un)


- Qu'entendez-vous par une approche originale ?

- Ce qui est unique, c'est de combiner l'architecture et le paysage en un seul élément. J'ai dû gérer de grandes échelles et c'était difficile à réaliser. Le bâtiment lui-même est devenu un paysage. C'est pourquoi il est tout à fait unique. Par exemple, les toits sont tous verts. Nous avons créé un paysage artificiel. Les espaces d'exposition sont pas des cubes et ils sont connectés avec le paysage. Cette combinaison est ce qui rend ce bâtiment original.

- Est-ce que votre concept de design été matérialisé par le DDP ? Êtes-vous satisfaite de la façon dont il se présente ?

- Je pense qu'il est important de réaliser un dessin. Puis, lors de la construction, une autre couche est ajoutée au bâtiment. Il y a évidemment des changements. Chaque bâtiment est unique et utilise des matériaux différents. Par la construction, vous ajoutez une autre couche et elle aura une autre qualité de texture. La construction est une interprétation du dessin d'origine. Il y a évidemment des changements et des ajouts apportés, mais je pense que c'est une belle réussite.

- Comment avez-vous pris en compte les aspects historiques et culturels du DDP ?

- (Schumacher) La décision de démolir le stade [Dongdaemun Stadium qui se trouvait avant sur le site - NdT] a évidemment été prise par le gouvernement. Dans la compétition, il a été suggéré d'imaginer comment on pourrait évoquer le souvenir de ce bâtiment. Nous avons laissé les projecteurs du Dongdaemun Stadium. Nous voulions nous concentrer sur les caractéristiques originales de l'espace et même si c'est un peu abstrait, nous avons créé un design qui ressemble à un stade.

- Quelles sont les différences existant entre la conception et la construction du DDP ?

- (Schumacher) Grâce à des simulations, nous avons été en mesure d'améliorer la fluidité de la forme du bâtiment et de créer une forme homogène. Nous avons essayé de prendre l'urbanisme en compte. C'était notre objectif. Ceci s'applique également aux aménagements intérieurs ou aux produits. Le DDP est un bâtiment complexe et nous avons dû faire des calculs. L'utilisation d'un grand nombre de courbes était important pour que le bâtiment s'adapte au site complexe. La conception est si complexe que nous avons dû utiliser un grand nombre de courbes. S'il y avait des lignes droites, cela aurait créé le du chaos. L'utilisation de courbes qui évoluent constamment et des formes intégrées crée un sentiment de calme visuel et d'élégance.

- Je pense que conceptuellement la construction et la conception sont très similaires, mais l'architecture est beaucoup plus complexe que cela. Il y a des espaces dans l'espace. Il y a de grandes différences entre les deux. En tant qu'entreprise de design, vous savez que vous pouvez concevoir sur plusieurs niveaux et à différentes échelles. Elles peuvent être très petites ou très grandes. Les différences spatiales sont énormes.

- Certains critiques disent que c'est trop grand. Qu'en pensez-vous ?

- Trop grand pour quoi ? Je pense que beaucoup de gens sont très habitués à l'échelle courante. Lorsque vous avez affaire à un très grand projet, on n'a pas le choix. Il s'agit d'une échelle donnée. Ce n'est pas une maison, ce n'est pas un bureau. L'idée était de combiner des lignes fluides avec le paysage et l'architecture. Si le même projet avait été réalisé ici en forme de boîte, il aurait été beaucoup plus grand et pas adapté pour sa taille.

Si vous avez besoin de construire un stade pour contenir un certain nombre de personnes, vous ne pouvez pas réduire. Vous pouvez réduire une cuisine ou une chambre à coucher, mais vous ne pouvez pas réduire un stade, un théâtre ou un opéra parce que ces espaces ont certaines exigences et ils doivent accueillir un certain nombre de personnes. Si ces gens veulent un autre stade, c'est une autre histoire, et complètement un autre projet.

- Que devrait faire Séoul en matière de design ?

- La prochaine évolution dans n'importe quelle ville est l'urbanisme. Ce n'est pas seulement à Séoul, mais dans de nombreuses villes à travers le monde. Il y a beaucoup de changements, dont le développement des transports. De la même manière, ils ne peuvent pas tout changer. Nous devrions nous concentrer sur l'urbanisme, par opposition à la construction de nouveaux bâtiments. Il ne s'agit pas de changer, mais de voir comment on peut changer. Chaque ville devrait envisager l'urbanisme et pas seulement l'ajout d'autres bâtiments.

- Vous êtes devenue une femme architecte de premier plan. Vous avez dit un jour que l'architecture était une bataille sans fin. Que vouliez-vous dire ?

- Ce n'est pas une bataille sans fin parce que je suis une femme, mais parce que l'architecture nécessite des négociations constantes avec tout le monde, à propos de tout. C'est un métier très difficile. Et je pense qu'il est plus difficile pour les femmes, cependant. Je pense toujours que c'est plus facile pour mes partenaires et les architectes hommes. Il faut beaucoup de temps à vos pairs pour vous accepter [en tant que femme]. Vous devez convaincre les collègues, les enseignants, les politiciens et les clients. A chaque étape du processus, c'est une bataille. Pendant ma carrière, au cours des 20 à 30 dernières années, les choses ont beaucoup changé. On trouve beaucoup plus de femmes dans la profession aujourd'hui. Il y a beaucoup de femmes architectes respectées. Mais c'est encore difficile pour les femmes, cependant.

Rédaction : Limb Jae-un (jun2@korea.kr) pour Korea.net
Version française : Bruno Caietti