"Deux aspects de la personnalité de Kim peuvent être vus dans son travail. L'un décrit le moi intérieur et l'autre est le rôle que joue ce moi. Ce que le travail de Kim nous montre de façon évidente, ce n'est pas seulement la perception et l'exploration de soi, mais la perception et l'exploration du monde à travers les actions du moi intérieur. L'œuvre de Kim peut être considérée comme typiquement moderne, du point de vue de la perception et de l'exploration de soi, mais elle est aussi typiquement postmoderne du point de vue de la perception et de l'exploration du monde. En termes de matériel et de méthode, cependant, son travail peut être vu comme du gongpilhwa, un style de peinture réalisé très soigneusement et précisément avec le plus grand soin apporté aux détails, et elle s'appuie sur les idiomes traditionnels typiques. Ainsi, nous pouvons comprendre que l'œuvre de Kim brise les frontières entre tradition, modernité et postmodernité. Nous pouvons exprimer des doutes quant à cette classification, mais les tableaux de Kim annoncent l'arrivée d'un nouveau style".
Ces lignes sont extraites d'une critique formulée par Peng Feng, un doctorant de l'université de Pékin et qui était le commissaire du pavillon chinois à la Biennale de Venise en 2011. Il parlait des œuvres de la jeune artiste coréenne Kim Hyunjung.
Kim n'a pas reçu une éducation artistique régulière ou typique. Au lieu de cela, elle s'est formée en autodidacte. Elle aimait dessiner et peindre toute seule et, dès son plus jeune âge, elle était douée pour reproduire ce qu'elle voyait. Un dicton coréen affirme que la malice peut être surpassée par l'effort et que si l'on y prend du plaisir, on est toujours gagnant. En cela, Kim est une gagnante.
Kim Hyunjung dévoile sa première exposition solo intitulée "Depiction & Performance" (Représentation & Performance) au studio ArtLink. (Photo : Wi Tack-whan)
Sa jeunesse s'est déroulée en marge de l'art ou du dessin. Elle a débuté comme modèle à l'âge de 20 ans puis a fait des apparitions dans des feuilletons et des films. Mais, quelque part dans son cœur, elle a toujours eu une passion pour les arts. Cela devait bouillir dans son subconscient.
Quand elle a été plus âgée, elle a décidé de reprendre le pinceau. Et après cinq années de travail acharné, elle dévoile enfin sa première exposition solo. Intitulée, an anglais "Depiction & Performance", cette exposition a ouvert ses portes le 23 juin et elle se poursuit jusqu'au 17 juillet au studio ArtLink, à Insadong, dans l'arrondissement de Jongno, au centre de Séoul. Elle attire de plus en plus d'attention car elle présente un thème original soutenu par une technique créative.
Quand Kim était actrice, on l'a vue dans de nombreuses productions. Deux des plus célèbres étaient "Papillon", une pièce de théâtre traitant de la question des esclaves sexuelles forcées pendant la Seconde Guerre mondiale et le feuilleton, "My Lovely Sam-Soon".
Son passage d'actrice à artiste est très intéressant. En 2009, après dix ans de carrière, elle a décidé de tout arrêter à cause d'une dépression et elle a reçu un soutien psychologique. Dans le cadre de la thérapie, on lui a fait découvrir son moi enfantin intérieur, que Kim a associé à son lapin en peluche, Lala. Et aujourd'hui, elle porte le jouet avec elle, partout où elle va.
Les sentiments et les émotions qu'elle sent avoir partagé et communiqué avec Lala ont ainsi été traduits sur la toile et ils sont désormais visibles grâce à cette exposition. Lala, pour ainsi dire, fait partie de ce projet comme une autre facette de la personnalité de Kim Hyunjung.
Outre la représentation de son moi enfantin intérieur, deux techniques particulières se retrouvent dans ses différentes œuvres. La première, c'est qu'elle décore les tableaux en doublant avec des broderies les parties importantes des dessins. La seconde c'est qu'elle recouvre ses tableaux de soie, permettant à l'encre de suinter naturellement.
Kim a étudié et lu tout ce qui lui est tombé sous la main. Ses intérêts ont couvert un large éventail de l'histoire à la théorie en passant par l'évaluation des œuvres d'art. Les techniques et les styles qu'elle utilise sont considérés comme n'ayant jamais été essayés par quelqu'un d'autre avant elle.
Un total de 15 œuvres sont présentées lors de l'exposition. On trouve ainsi "Baguette Cross", une peinture inspirée une histoire datant de la Seconde Guerre mondiale qui parle d'enfants dans un abri et de leurs affres face à la faim ou "Lala and a Statue of a Girl", qui évoque la question des esclaves sexuelles forcées. L'exposition présente aussi "Summer Colors", une toile qui montre une belle journée d'été, avec des fleurs de lotus et des libellules ou encore "Painting of Grass and Insects" qui se remarque par la poudre d'or émaillant la toile sombre.
Korea.net a récemment rencontré Kim Hyunjung pour un entretien. Elle s'est confiée sur sa courte, mais complexe, carrière d'artiste ainsi que sur sa vie.
De nombreux acteurs et actrices savent dessiner. On les appelle des "multi-tainers" [mot valise multi + entertainers - Ndt]." Mais il est plus rare de voir un artiste qui peut jouer la comédie, dessiner et écrire. Et vous êtes à peine trentenaire : où puisez-vous cette inspiration ? En étant actrice, j'ai développé un intérêt pour mon moi intérieur. C'était surtout à l'époque où je jouais "papillon", la pièce de théâtre centrée sur l'histoire des femmes dites "de réconfort" et qui étaient en fait des esclaves sexuelles forcées pour l'armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. La pièce était sombre et lourde. Comme j'en faisais partie, j'ai tenu mon rôle pendant trois longues années. Peut-être influencée par cela, tout dans le monde me semblait sombre et cruel. Plongée profondément dans l'agonie, je me suis retrouvée à regarder le côté sombre du monde et j'ai connu des problèmes dans ma vie quotidienne.
Par ailleurs, l'une de mes plus grandes faiblesses en tant qu'actrice, c'est que je ne pouvais pas montrer mes émotions intérieures. Un jour, mon conseiller a souligné cette lacune en disant que je n'étais pas capable de montrer la colère. Cela a été un grand choc pour moi. J'ai été submergée et j'ai souffert à l'idée que je n'avais même pas les compétences de base pour être actrice. Je devais alors m'intéresser à cela et apprendre à montrer ce qui était à l'intérieur de moi.
Le lapin en peluche Lala semble avoir eu une énorme influence sur de nombreux aspects de votre vie. Qu'est-ce qu'il représente pour vous ? J'ai eu la chance de pouvoir m'inscrire à une consultation psychologique volontaire, proposée par l'Église catholique romane, connue pour aider les personnes souffrant de dépression. Dans les premiers temps, j'ai pensé que je serais en mesure d'aider mes collègues et d'autres personnes connaissant les mêmes problèmes. Mais au fur et à mesure que j'en apprenais davantage, j'ai découvert que mon moi intérieur n'avait pas mûri et qu'il avait encore besoin d'attentions.
Quand j'étais jeune, je n'ai pas eu l'occasion de m'amuser avec des jouets. Je devais toujours les laisser à ma sœur, de deux ans ma cadette. Ces souvenirs sont revenus à travers la consultation. Je me suis souvenue que je me marmonnais toujours à moi-même : "Ce n'est pas grave. Je n'aime pas les jouets".
Après la séance qui m'avait ramené ces souvenirs, j'ai décidé de m'offrir moi-même un jouet, juste pour moi. Visiter un magasin de jouets à 30 ans était un peu difficile. Mais dans le magasin, j'ai vu mon lapin, Lala. C'est une petite chose de rien du tout, mais pour moi, ça a été une grande joie. Cela m'a remplie de plaisir et d'excitation.
De nos jours, un grand nombre de personnes cherchent une aide psychologique ou un lieu qui puisse les aider à guérir leur esprit et leur âme. Je voudrais leur dire qu'un moyen sûr de se guérir, c'est de regarder directement son moi enfantin intérieur. Voilà comment j'en suis arrivée à dessiner et à écrire, pour livrer cet important message.
C'est plutôt créatif de faire apparaître un lapin en peluche dans des peintures traditionnelles asiatiques. D'où vous est venue cette idée ? A chaque fois que je peins, Lala se trouve à côté de moi. En la fixant, je ne cesse de me demander : "Qu'est-ce que je ressens, ici ?" ou "Qu'est-ce que je veux dire aux gens avec ça ?" Je me demande et je me réponds. Ce sont seulement des questions à moi-même. Je dis ce que je veux dire et je tiens à exprimer ce que je ressens à travers mon petit lapin.
Kim parle de son tableau représentant le lapin Lala et la statue d'une jeune fille. (Photo : Wi Tack-whan)
Partager des mots dans mon esprit avec d'autres personnes me vient naturellement. J'essaie simplement d'exprimer cela et de le partager avec autant de personnes que possible, de manières variées. Au milieu de tout cela, Lala vient naturellement dans mes dessins. J'espère que mon travail peut réconforter le cœurs des gens quelque part.
Dans votre travail, on peut déceler une psychologie émotionnelle et complexe. Est-ce ce que vous recherchiez ? A une époque, je me suis intéressée à l'expression des émotions. J'ai étudié l'artiste chinois, Badashannren, qui aurait vécu de 1625 à 1705. Il était de noble lignée, étant un descendant du prince Zhu Quan de la dynastie des Ming. Il a exprimé de la colère et de la rage dans ses peintures. Étudier son travail m'a aidé à contempler et étudier les moyens par lesquels je pouvais exprimer la colère de façon saine. Et tandis que j'ai commencé à montrer dans mon art tout ce que j'avais dans mon esprit, je me suis aussi sentie en bien meilleure santé.
Quand j'étais jeune, j'ai dû changer d'école plusieurs de fois parce que ma mère voulait que je reçoive la meilleure éducation. Je n'ai pas eu l'occasion de me faire des amis. En outre, étant la sœur aînée, je me suis inconsciemment forcée à être mature. Tout le monde a un moi intérieur enfantin qui lui est propre. C'est la partie la plus faible et la plus immature de moi que je voulais cacher. Un moi intérieur enfantin existe naturellement chez tout le monde. Je voudrais dire aux gens que c'est une partie importante d'eux-mêmes qui doit être chérie. J'espère vraiment que ces types de sujets psychologiques bénéficieront de plus d'attention dans les médias.
Vous jouez la comédie et vous peignez : ces activités sont-elles différentes ? On m'a toujours dit quand j'étais très jeune que j'étais bonne en dessin. J'était particulièrement douée pour capturer les détails. J'aimais dessiner parce que j'aimais les louanges, mais je n'ai pas eu l'occasion de suivre une formation en arts appropriée. Quand j'avais 20 ans, j'ai débuté comme modèle. Et j'ai été choisie pour une publicité de jeans de la marque Storm. Puis en 1999, j'ai joué le rôle de Jindallae dans le feuilleton de KBS "Gwangkki." Jouer aussi était plaisant.
Être acteur et dessiner partagent des similitudes subtiles. Tout d'abord, les deux activités cherchent à établir une communication avec le public. Les deux ont aussi en commun le fait que nous devons affiner et ajuster le message avant de le présenter. Par ailleurs, ma volonté de mieux exprimer mes sentiments est encore une similitude, je pense. Je veux communiquer avec davantage de personnes à travers mon écriture, mon dessin et mes rôles.
Ressentez-vous un attachement particulier pour l'une de vos œuvres ? Je voudrais en choisir trois. La première est "Heaven of Dragonfly". J'ai utilisé pour cela une technique spéciale de mon invention. J'ai ajouté de la broderie par-dessus mes croquis, sur le papier. J'ai pu créer cette technique par moi-même car je me suis spécialisée dans les vêtements traditionnels à l'université. Pour utiliser cette méthode, tout le travail doit être fait en une seule fois. Cela a été difficile de rester assise dans la même position pendant un long, long moment. Au plus je fournis d'efforts pour sa réalisation, au plus je suis attachée au produit final.
Heaven of Dragonfly (littéralement, "Paradis de la libellule")
La deuxième est "Baguette Cross". Ce tableau porte un message important concernant l'éducation de son moi enfantin intérieur. J'ai été inspiré par une histoire de la Seconde Guerre mondiale. Des enfants dans un abri ne pouvaient pas dormir parce qu'ils étaient inquiets d'avoir faim le lendemain matin. Des adultes ont alors déposé du pain à leur chevet et ils ont enfin pu s'endormir. Je suis totalement en accord avec cela : un petit mot de réconfort ou des condoléances, ou même une courte pause, cela peut faire naître une plus grande confiance et une attitude positive chez les gens. Ma théorie est bien reflétée par cette œuvre.
Baguette Cross (littéralement, "Croix de baguettes")
Enfin, je voudrais vous présenter ma toile "Already Fall Breeze". En tant que comédienne, je suis à un tournant. Je ne peux plus jouer les rôles jeunes et glamour que j'interprétais quand j'avais une vingtaine d'année. A la place, je veux sentir et exprimer la beauté du vieillissement et de la chute. J'ai peint une fleur qui tombe et ses pétales qui s'envolent. Il m'a fallu beaucoup de temps pour tracer cette esquisse.
Already Fall Breeze (littéralement "Brise de l'automne déjà là")
Ceci est votre première exposition, mais elle semble très bien pensée et soignée. Quels sont vos plans pour le futur ? Quand j'étais actrice, après avoir bien joué, j'avais le désir de faire encore mieux la prochaine fois. C'était presque un fardeau pour moi. Je ressens la même chose maintenant. A travers mon rôle d'artiste, je veux donner au public des choses qu'il apprécie et qui puissent lui faire plaisir, ainsi que des choses qui l'aident à apprendre et à penser.
Au mois de novembre, je prévois d'organiser l'exposition "Trois voyagent ensemble" avec le peintre Lee WalJong et, en vedette, quelques œuvres remarquables de Paik Nam-june. Je mets mon énergie dans ce projet. Je suis très honorée de pouvoir me joindre à ces deux peintres célèbres pour présenter notre exposition en Chine. Je vais me concentrer là-dessus durant les prochains mois.
Rédaction : Wi Tack-whan (whan23@korea.kr) & Lee Seung-ah (slee27@korea.kr) pour Korea.net
Version française : Bruno Caietti
Kim se confiant sur sa vie d'actrice et de peintre. (Photo : Wi Tack-whan)
Informations sur la galerie : 02-738-0738 (depuis la Corée)
Le blog de Kim Hyunjung:
http://khj_lpe.blog.me