Entretiens

12.02.2015


La légende de la Tour de Babel décrit l’orgueil de la race humaine convaincue de pouvoir surpasser le Créateur par ses réalisations. Pour punir les hommes de leur arrogance, Dieu a crée plusieurs langues, ce qui a engendré de multiples problèmes de communication. En fin de compte, la Tour de Babel, un édifice construit pour atteindre le ciel, a été détruite. 


Or, ce récit nous rappelle, de façon paradoxale, l’importance de la communication. Au fur à mesure que la population s’est accrue et que la civilisation s’est développée, la diversité des cultures s’est accentuée. En conséquence, la complexité linguistique s’est renforcée. Or, il fallait bien faciliter le dialogue et la communication entre les hommes et les cultures. C’est là que la « traduction » s’est inévitablement imposée.


Traduire permet de présenter diverses cultures tout en enrichissant la nôtre. Dès lors, il est impossible d’expliquer le développement de la civilisation et l’évolution historique sans parler de traduction parce qu’elle représente le trait d’union entre cultures humaines appartenant à différents espaces géographiques. Elle démultiplie les perspectives d’une vie. Aujourd’hui, le rôle de la traduction est certes resté le même, mais l’importance et la valeur qui lui sont accordées sont bien supérieures. Chaque année, les rayons des librairies comptent davantage de livres traduits, ce qui témoigne d’un intérêt croissant pour les autres cultures. 


Il va sans dire que la traduction se révèle essentielle pour le monde de la littérature. Toute oeuvre littéraire, qu’il s’agisse de poèmes, de romans ou d’essais, s’inscrit dans un processus de communication et de traduction sur une longue période. Les relations et les échanges qui se nouent grâce à la littérature diffèrent des liens politiques ou économiques qui sont fonction de l’intérêt qu’un individu porte à la notion de profit. Cela va bien au-delà de la nature économique des relations inter-personnelles pour toucher les émotions humaines. 


L’institut coréen de traduction littéraire (LTI pour Literature Translation Institute of Korea) a été établi en 2001. Dirigé par Kim Seong-kon, il a pour mission de favoriser les échanges culturels par le biais de la traduction et d’apporter sa contribution à la culture mondiale. C’est Kim Seong-kon, un universitaire spécialisé dans la littérature anglaise et critique littéraire qui est à la tête de cette institution. Korea.net l’a rencontré pour évoquer la signification et le rôle de la traduction dans le monde actuel, où les frontières s’effacent pour former une continuité.


LTI Korea President Kim Seong-kon explains the meaning of translation, while saying that our lives themselves can be seen as translations.

Kim Seong-kon, Président du LTI Corée, évoque la signification de la traduction, tout en déclarant que nos vies elles-mêmes pourraient être vues comme des traductions.



Vous avez traduit en anglais « “The Square” de Choi In-hun, l’an passé.  Comment le roman a-t-il été accueilli?

De nombreux commentaires ont été mis en ligne. Beaucoup de lecteurs ont jugé ce travail intéressant et ont ressenti le désespoir transparaissant dans l’oeuvre. Je pense que cela vient de la situation si particulière de la Corée. Il y a un cessez-le-feu, mais la guerre n’est pas terminée sur le plan formel. Ce roman avait été originellement écrit dans les années 1960. Mais ce qui m’impressionne le plus, c’est la position choisie par l’auteur, ni de gauche, ni de droite, mais choisissant une troisième voie. J’ai compris qu’un bon écrivain ne choisit jamais de camp, mais cherche une autre perspective. De nombreux auteurs, toutefois, ne cherchent pas à concilier les deux idéologies pour trouver une troisième possibilité. Au lieu de cela, ils optent un chemin plus facile en tranchant la question. Or, pour moi, il leur faut aller au-delà.


Ils doivent faire preuve de tolérance, ne pas se montrer hostiles à l’égard de ceux qui pensent différemment. C’est une lourde responsabilité pesant sur tous les cercles littéraires, comme sur la communauté artistique toute entière. 


D’un côté, il est impossible d’expliquer le contexte historique de la renaissance, la période de modernisation qui a transformé la Corée, sans faire référence à la traduction. La renaissance est née de la traduction des classiques grecs et latins en italien, d’après l’arabe. C’est la traduction en tant qu’outil qui a permis la modernisation de la Corée. La traduction peut être vue comme une messagère qui relie différentes cultures. Quelle est la signification de la traduction au 21ème siècle ?


C’est ainsi que nous l’envisageons. Nos vies elles-mêmes peuvent être envisagées comme des traductions. En d’autres termes, nous comprenons que, par une sorte de traduction, des personnes puissent communiquer entre elles grâce à la traduction. A mes yeux, la traduction est inévitable. Umberto Eco, qui enseigne la traduction à l’Université de Bologne en Italie, affirme que rien n’échappe à la traduction -- qu’il s’agisse de la musique et des arts, sans mentionner la littérature. C’est ce qui fait la singularité des études de traduction. Quand nous observons une peinture, nous ne regardons peut être pas la même chose que de ce que les Français voient. Nous regardons, sans même nous en rendre compte, la toile d’une façon différente selon une sorte de traduction culturelle. Il est essentiel d’envisager toute chose comme une traduction.


Ensuite, la traduction n’est en rien inférieure à la version originale. Dans la préface du « Nom de la Rose »,  Umberto Eco a rappelé que ce livre n’était pas une version originale mais le fruit d’une triple traduction. L’ouvrage avait d’abord été traduit en latin par un moine au 14ème siècle, puis traduit en français par des prêtres français au 19ème siècle. L’ouvrage a de nouveau été traduit en italien à la fin du 20ème siècle. A mes yeux, c’est la raison pour laquelle il affirmait qu’une traduction n’était jamais moindre que l’original.  A la fin, tout ce que nous écrivons est une forme de traduction de ce que nos ancêtres nous ont légué. 


D’une certaine façon, l’art et la littérature sont des langages universels qui n’ont pas besoin d’être traduits. En ce qui concerne la littérature, cependant, ce n’est pas la même chose. Il faut beaucoup de temps pour en traduire le contenu dans une autre langue. C’est un travail difficile car il subit de nombreuses modifications au cours du processus de traduction. La thèse actuelle, c’est que la traduction n’a pas à être similaire à l’original. La traduction est une autre forme de création, aussi difficile que la création elle-même.


Nous avons 25 professeurs qui enseignent à l’académie coréenne de traduction LTI. J’ai été sensible à la remarque d’un professeur espagnol qui disait : « traduire, c’est comme démanteler une maison, charger le matériel sur un bateau, traverser l’océan et reconstruire une maison similaire sur des terres étrangères. L’ancienne maison étant détruite, la nouvelle ne peut être strictement la même et n’a pas besoin de l’être. Traduire, c’est comme construire une nouvelle demeure s’inscrivant dans un nouveau contexte ». Je souscris totalement à cette remarque. Je pense que cela décrit l’essence même de la traduction. Il a même ajouté qu’il fallait, pour faire une bonne traduction, considérer le texte original avec affection, comme un soldat chérit la lettre de la personne aimée. Si vous considérez la traduction simplement comme votre gagne-pain, vous ne ferez jamais une bonne traduction. Pour bien traduire, il faut remplir trois conditions. Tout d’abord, il est nécessaire de maîtriser la langue et la culture. Si quelqu’un ne comprend pas la culture, il peut commettre des erreurs de traduction. Ensuite, il faut avoir une fibre littéraire et, pour finir, d’excellentes qualités rédactionnelles. 


Le LTI Korea a été créé en 2001. Depuis lors, pourriez-nous nous citer certains de ces grands succès ? 

Par le passé, nous consacrions une grande partie de nos efforts aux traductions en français et en allemand, l’anglais ne représentant qu’une partie relativement modeste de notre travail. Après ma nomination à la présidence du LTI, j’ai créé un réseau avec des anglicistes, des professeurs de littérature coréenne et d’autres spécialistes. J’ai constitué une équipe dédiée à la langue anglaise avec des Coréens parfaitement bilingues. Nous avons signé un contrat avec Dalkey Archive Press aux Etats-Unis, pour publier une série de 25 volumes consacrés à la littérature coréenne, une anthologie intitulée « La bibliothèque de la littérature coréenne ». Jusqu’à présent, nous avons publié 15 livres.


Pour nous adapter à notre époque, nous avons aussi mis sur pied une équipe pour les livres numériques et publié 30 ouvrages. Nous présentons les écrivains coréens, en coopération avec Amazon Crossing, une société spécialisée dans les livres électroniques qui appartient au groupe Amazon.com. Parmi ces ouvrages, il faut citer “La route nationale avec des pommes vertes” de Suah Bae, publié dans Day One d’Amazon, un magazine littéraire et numérique qui affiche une série d’environ 20000 copies. Certains des ouvrages qui ont connu le succès ont par la suite été imprimés sur papier à New York. L’oeuvre de Suah Bae a été intégrée à ce recueil littéraire.


Le LTI Korea a aussi mis au point une application qui permet aux utilisateurs de lire des oeuvres de littérature coréenne sur leurs smartphones. Nous fournissons des données sur quelque 350 écrivains coréens, notamment Shin Kyung-sook, sur les pages en anglais et en français de Wikipedia. Autrefois, quand les auteurs coréens publiaient leurs livres à l’étranger, leurs noms même n’étaient pas écrits de la même façon en anglais. A titre d’exemple, nous avons recensé 12 transcriptions différentes pour le nom de Yi Mun-yol. Nous avons créé une base de données pour uniformiser les transcriptions en demandant aux auteurs la version romanisée qui avaient leur préférence pour offrir une information en ligne uniformisée. Ce mois-ci, nous avons ouvert une bibliothèque numérique. Désormais, quand nous écrivons en anglais le nom d’un auteur coréen, nous pouvons consulter toutes les informations provenant du monde entier qui le concernent.


Il faut rappeler que le LTI Korea organise une série d’événements internationaux, comme le Festival International des Ecrivains de Séoul (Seoul International Writers Festival) et des salons du livre dans 11 pays, pour promouvoir la littérature coréenne dans le monde et encourager les échanges. Quelles sont vos attentes, même s’il doit s’agir d’un objectif à long-terme?


En ce qui concerne le Festival International des Ecrivains de Séoul, nous avons préparé un programme dans le cadre duquel 14 auteurs coréens sont invités à passer une semaine chacun avec un auteur étranger. Ils deviennent proches, jusqu’à apprendre la langue de l’autre. A la fin du programme, les écrivains étrangers rentrent chez eux et s’efforcent de faire connaitre les romans coréens dans leurs pays et d’inviter les auteurs coréens. De tels échanges sont très importants selon moi.


Les participants au programme doivent lire les oeuvres de leurs partenaires. C’est ensemble qu’ils vont visiter les rues de Séoul, comme Dongsung-dong, pour cultiver leur connaissance de la ville. Nous chercherons à internationaliser un tel réseau. A travers ces événements, je suis convaincu que nous accomplissons une oeuvre très importante en renforçant les échanges entre auteurs. En fait, les échanges entre écrivains coréens et non-coréens sont essentiels pour promouvoir les auteurs coréens à l’étranger.



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Kim Seong-kon says the prerequisite for a good translation is to have mastery of both the language and the culture, a good literary sense and a supreme writing ability.

Pour Kim Seong-kon, il faut maîtriser la langue et la culture, être doté d’une bonne fibre littéraire et d’excellentes qualités rédactionnelles pour être un bon traducteur.



Selon vous, un traducteur doit être un intellectuel maitrisant parfaitement sa langue et sa culture maternelle, comme la langue et la culture qu’il traduit. Les efforts en jeu sont plus importants que ceux déployés par l’auteur de l’oeuvre originale. Comment pouvons-nous encourager la formation d’un personnel d’excellence?

Les écrivains doivent connaître les oeuvres des auteurs étrangers. Aussi doivent-ils être s’intéresser à l’actualité et beaucoup lire, pour savoir quelles questions internationales concentrent l’attention mondiale. Même les auteurs populaires finissent par être à court d’idées, quand ils se consacrent à l’écriture. C’est pourquoi les auteurs doivent lire les oeuvres d’écrivains étrangers, visiter d’autres pays, autant que faire se peut, pour découvrir quels sont les enjeux actuels. Il s’agit aussi d’une façon de se développer soi-même et d’avoir un éclairage international. 


Pour effectuer une excellente traduction, un traducteur doit posséder une parfaite maîtrise des deux langues et des deux cultures, une solide fibre littéraire et d’excellentes capacités rédactionnelles. Pour être à la hauteur de telles exigences, ils doivent faire davantage d’efforts que les auteurs. C’est la raison pour laquelle le LTI Korea a relevé le niveau de son académie de traduction littéraire pour en faire une école supérieure de traduction. A partir de cet automne, nous pourrons recruter d’excellents étudiants pour notre programme d’études supérieures en deux ans. Les cursus sont également très intéressants. L’un d’eux porte sur la « traduction culturelle » et propose aux étudiants de traduire, non pas la langue, mais les différences culturelles propres aux deux pays. Nous invitons aussi les auteurs à venir discuter avec les étudiants en classe, alors que leurs oeuvres sont en cours de traduction. Dans le cadre du programme, les étudiants doivent effectuer une sorte de travail de terrain et visiter les maisons littéraires des auteurs pour marcher sur leurs traces, si l’on peut s’exprimer ainsi. Cette initiative a connu un franc succès. Nous avons d’excellents étudiants qui se sont inscrits au programme. 


Nous n’acceptons que les meilleurs étudiants à ce programme. Tous les frais d’inscription et de subsistance sont pris en charge. Sophie Bowman du Royaume-Uni et Victoria Caudle des Etats-Unis figurent parmi nos meilleurs traducteurs. Elles obtiennent d’excellents résultats à l’académie et révèlent de grandes qualités sur le plan de la traduction. Pour parler de Victoria Caudle, elle est venue en Corée par hasard. En effet, elle a fait la connaissance d’un ami coréen alors qu’elle participait à un camp d’été dans l’Etat du Minnesota. Il a éveillé son intérêt pour la Corée et après avoir été recommandée par l’un de ses professeurs, elle est partie étudier à l’école des études orientales et Africaines (SOAS) à l’Université de Londres avant de s’inscrire au LTI Korea. Les raisons de venir ici peuvent varier. Certains étudiants ont fait la connaissance d’un(e) ami(e) coréen(ne), ce qui avive leur intérêt pour la Corée, d’autres obtiennent un diplôme en études coréennes. 


C’est en partie l’engouement pour les médias coréens qui permet de comprendre ce phénomène. J’aime beaucoup la culture pop pour cet aspect. La culture pop a ouvert la voie à la littérature. Désormais c’est à nous de jouer !



L’effervescence qui entourait la littérature coréenne depuis le succès du roman « Prends soin de maman » de Shin Kyung-sook semble être retombée. Aujourd’hui, quelles sont les oeuvres littéraires qui attirent l’attention à l’étranger?  


Outre Suah Bae, nous avons Kim Young-ha. Un grand éditeur américain, Houghton Mifflin Harcourt, a publié trois de ses romans : « Votre république vous appelle”, “Fleur Noire” et “La mort à demi-mot”. Le roman « votre république vous appelle » raconte l’infiltration en Corée du Sud d’un espion nord-coréen qui a endossé l’identité d’un étudiant. « Fleur Noire » évoque l’épopée de Coréens partis émigrer au Mexique. « La mort à demi-mot » a pour toile de fond un site internet sur le suicide. Les lecteurs anglophones apprécient beaucoup ses romans et Kim Young-ha gagne en popularité à l’étranger. 


En France, Hwang Seok-young et Yi Mun-yol sont relativement populaires. “L’invité” de Hwang Seok-young est une oeuvre très bien écrite. Par le passé, c’est par ce terme que les gens désignaient la variole. Comme la maladie laisse de profondes cicatrices sur le visage, l’auteur retrace la façon dont le christianisme et le bouddhisme ont marqué d’une empreinte indélébile la Corée. Je souscris à une telle représentation symbolique. L’auteur, dans cet ouvrage, explique que le Massacre de Sincheon, qui s’est déroulé en Corée du Nord au cours de la Guerre de Corée (1950-1953), n’était pas le fait des forces américaines, mais est la conséquence d’un conflit entre Chrétiens et Communistes. 


Hwang Sun-mi, auteur du roman « La poule qui rêvait de voler » est également sous le feu des projecteurs actuellement. L’an passé, au Salon du Livre de Londres de 2014, de nombreuses personnes ont fait la queue pour obtenir un autographe de l’auteur.


In order for Korean literature to communicate with the world, Kim Seong-kon emphasizes that writers need to destroy boundaries and deal with issues of interest at the world level.

Pour que la littérature coréenne s’ouvre au monde, il faut selon Kim Seong-kon que les écrivains renversent les frontières et s’emparent des questions de portée mondiale.



Pourriez-nous nous parler de la façon dont vous avez créé le service d’information global sur la littérature coréenne en traduction?


Par le passé, nous disposions d’une information limitée, partielle et scindée et un service d’information intégré faisait défaut, ce qui me gênait considérablement. A cet égard, le LTI Korea a créé ce type de service en développant une bibliothèque numérique. Il m’a semblé indispensable d’intégrer toutes les informations et de les compiler. Par exemple, nous procurons toute l’information relative à un auteur spécifique. La bibliothèque du LTI Korea s’est considérablement étoffée et notre catalogue d’ouvrage excède les 15000 titres. La plupart d’entre eux sont conservés au sous-sol. Au premier étages, les ouvrages sont pour la plupart des livres traduits. Nous avons des échanges avec un grand nombre de bibliothèques dans le monde et nous leur donnons beaucoup de livres. Je pense que le rôle joué par notre bibliothèque est très important. 



Que faudrait-il pour que la littérature coréenne s’internationalise et s’ouvre au monde?

Pour s’imposer sur la scène littéraire et conquérir les marchés internationaux, nous devons réunir trois conditions : de bonnes oeuvres originales, de bonnes traductions et de bons éditeurs. Par bonnes oeuvres originales, j’entends des oeuvres abordant des thèmes universels, tout en dégageant une atmosphère particulière. Les deux autres paramètres doivent être en harmonie l’un avec l’autre. Nous avons besoin de personnes conscientes des enjeux internationaux et qui n’hésitent pas à les évoquer dans leurs écrits.


Ainsi, « le Nom de la Rose » d’Umberto Eco, « Mon nom est Rouge" de Orhan Pamuk et le «Da Vinci Code » de Dan Brown ont tous un point commun. Il s’agit de romans policiers à trame historique et les thèmes qu’ils évoquent sont similaires. Dans ces romans, les thèmes traités par les auteurs sont ancrés dans le monde contemporain et concernent tout un chacun : la remise en cause des grandes vérités de ce monde, la mise au jour de vérités que cachent ces vérités absolues et le fait d’accepter les autres. Si nous abordions de tels thèmes à partir de sujets coréens, nous aurions un écho favorable sur la scène internationale. En fait, les éditeurs étrangers recherchent des oeuvres qui soient utiles et divertissantes. Ils veulent des histoires écrites sur le mode d’un roman policier et s’inscrivant dans un contexte historique particulier. 


« L’Empire Eternel » de Yi In-hwa, « l’Arbre aux profondes racines" et "Jardin du Vent" de Lee Jeong-myeong en sont de parfaits exemples. Ils ont tous deux de très bons sujets. Si la littérature coréenne traitait, avec qualité, de sujets universels comme ceux-ci, elle remporterait d’un franc succès. 



De nos jours, la traduction semble en recul puisque les gens privilégient le côté fonctionnel et le profit. Comment la traduction peut-elle surmonter ce contexte?

Un cadre dirigeant porterait un jugement sévère sur les projets culturels, qu’il qualifierait d’inefficaces. Ils requièrent beaucoup de temps et leurs résultats ne sont pas visibles. C’est un écueil auquel les sciences humaines sont confrontées, notamment la littérature et la traduction. Il est difficile d’envisager l’art, la culture, la littérature ou la traduction avec l’état d’esprit d’un gestionnaire. Ils prennent du temps et ne produisent pas de résultats tangibles, mais leurs effets sur le monde sont déterminants. Dans le domaine sportif, les résultats sont concrets, puisque le score est visible immédiatement. Or, je pense que les décideurs politiques doivent comprendre combien il est important d’être reconnu sur le plan international. 


Quand Sony et Panasonic sont devenus populaires dans le monde entier, la culture japonaise a bénéficié de leur succès. C’est, je pense, la voie à suivre pour la Corée. Quand Samsung, LG et Hyundai ont pris leur essor, l’engouement pour la culture pop coréenne en Asie de l’est, ce qu’on appelle le phénomène Hallyu s’est développé. La littérature a désormais emboîté le pas. Or, le problème, c’est qu’à l’époque où les entreprises japonaises ont conquis les marchés étrangers, le monde était plus simple. A cette période, la littérature représentait l’une des principales sources de savoir, d’information et de divertissement. Désormais, tout a changé. Nous avons de multiples sources de distraction dans le domaine des multimédias, comme sur le plan du savoir et de l’information. Pourtant, la Corée semble être confrontée à un contexte bien plus difficile que le Japon ne l’avait été auparavant. De moins en moins de gens s’intéressent aux oeuvres purement littéraires de nos jours. Seule une minorité dominante sur le plan social continue de lire ce type d’ouvrages. Les jeunes ne lisent pas de livres « papier ». Les temps sont donc plus durs pour nous. Divers médias, tels que YouTube, permettent à la musique pop coréenne de se diffuser instantanément dans le monde. En revanche, la littérature ne peut faire de même. Sa diffusion est inévitablement lente. Même ainsi, nous devons faire des efforts à plusieurs niveaux. Nous devons aussi être présents dans le domaine des livres numériques.


Je me demande s’il est encore possible de parler de pureté aujourd’hui. Nous devrions, en fait, rejeter la dichotomie entre "pur" et "non pur". Nous devrions avoir une image globale de la littérature et l’envisager comme une forme de culture textuelle dans un sens large. Il nous faut élargir notre perspective et continuer ce que nous faisons, à savoir de la littérature. Dans le même temps, nous devons soutenir la création littéraire de qualité dans le domaine des romans policiers, de la science fiction, du fantastique et des romans graphiques, appelés autrefois comic books. En effet, c’est par ce biais que de nombreux enfants apprennent l’histoire, à travers les romans graphiques. Si nous produisions davantage de bons romans graphiques portant sur l’histoire de la Corée, nous pourrions faire connaître notre histoire au monde. Si nous présentions sur la scène internationale des romans graphiques sur «les Mythes et Légendes des Trois Royaumes » (Samguk Yusa, 삼국유사, 三國遺事) ou sur "l’histoire des Trois Royaumes" (Samguk Sagi, 삼국사기, 三國史記), les enfants du monde entier pourraient, en lisant, acquérir des connaissances sur l’histoire coréenne. Nous vivons dans un monde où nous devrions nous affranchir de toutes formes de préjugés. C’est la raison pour laquelle nous entendons  diversifier nos objectifs. Ceci ne devrait pas représenter un souci pour ceux d’entre nous qui travaillent sur des oeuvres véritablement littéraires. Notre soutien à la création littéraire ne faiblira pas. Pour prolonger le champ de notre action et promouvoir la Corée dans le monde, nous avons cependant l’intention de soutenir d’autres genres très rapidement. 



Quelles sont les initiatives que vous prendrez pour parvenir à cette fin?

Nous avons fait feu de tout bois. Quand nous recevons des candidatures, nous les examinons et nous choisissons celles que nous appuierons. Nous pouvons sélectionner des romans graphiques et des oeuvres de genre. Nous étudions aussi des ouvrages de sciences humaines et des livres pour enfants. L’ensemble, autrefois présenté sous l’appellation collective de « K-littérature", est désormais appelé « K-livres » pour en élargir la portée et embrasser toute forme d’écriture.


En fait, les jeux vidéos sont pour les enfants d’aujourd’hui ce que les romans représentaient aux yeux de notre génération. C’est à travers les jeux vidéos que les enfants découvrent le monde, se divertissent et s’inventent des aventures. Tout comme nous regardions "Tarzan" à la télévision et que nous imaginions en train d’explorer la forêt vierge, les enfants d’aujourd’hui éprouvent le même sentiment de découverte en jouant aux jeux vidéos. Par exemple, si nous produisions un bon jeu vidéo dont l’histoire est basée sur la mythologie, qu’elle soit coréenne, grecque ou romaine, voire germanique ou nordique, il serait intéressant de le traduire pour qu’il ait une diffusion mondiale, s’il illustre l’histoire et la culture coréenne. Pour moi, la littérature est essentiellement un jeu. La bande dessinée "Misaeng" de Yoon Tae-ho nous montre combien un jeu peut égaler une bonne oeuvre littéraire. Dès lors, nous devrions élargir notre vision des choses, avant d’estimer que « ceci peut être de la littérature », au lieu de faire preuve de préjugés et d’idées préconçues en pensant que « ceci n’est pas de la littérature ». Si nous adoptions une telle perspective, nous confèrerions à la littérature une portée bien plus grande.


Pour de nombreux auteurs, le cinéma a ruiné la littérature. Or, c’est tout simplement l’opposé qui se produit. La convergence entre littérature et cinéma crée des synergies. L’universitaire allemand Joachim Paech a dit « les films peuvent être comparés à un prince qui réveille la belle au bois dormant, puisqu’il donne vie à des oeuvres littéraires que personne ne lit et incite à les lire ». Pour ma part, le film « le Nom de la Rose » m’a tellement marqué quand je l’ai vu que j’ai lu le livre dont le film était adapté.


Il faut aussi évoquer l’opinion publique qui distingue la littérature sérieuse de la littérature populaire. Mais je pense différemment. Pensez à la « belle et la bête ». Dans l’histoire, une très belle jeune femme enfermée dans un donjon magique était prisonnière de la bête. Elle n’avait pas la permission de sortir. Sa seule perspective était d'épouser la Bête et de devenir la maîtresse des lieux. Il y a une morale à cette histoire. « La Bête » est le personnage imposant et effrayant présenté par le cinéma, la télévision et les jeux vidéos. « La belle prisonnière » est une véritable oeuvre littéraire, emblématique des Belles-Lettres. La Bête peut être envisagée comme une formidable industrie dotée de pouvoirs magiques, mais la Dame n’avait, elle, ni pouvoir, ni fortune. Leur seule échappatoire était de se montrer complémentaires, de former un partenariat et de se lier d’une amitié, puis de s’aimer. C’est ainsi que la jeune fille a pu devenir la maîtresse de maison.


En d’autres termes, au lieu de dénoncer une crise des sciences humaines ou de la littérature, nous devons proposer de nouer des partenariats avec d’autres médias et faire fi des frontières. C’est alors que la littérature comme la société en général pourront être enrichies. Pourquoi aurions-nous à nous montrer hostiles les uns envers les autres? Nous sommes aujourd’hui à l’ère du multimédia. Aujourd’hui, la littérature est, pour nous, une forme de média comme une autre. Si la littérature allait de concert avec un autre média, elle possèderait littéralement tout. Les personnes évoluant dans le milieu culturel doivent avoir un état d’esprit aussi engagé. Ils ne devraient pas s’enfermer à l’intérieur d’une enveloppe de pureté.  «  Toutes les cultures sont liées les unes aux autres ; nulle n’est unique et pure, toutes sont hybrides, hétérogènes, extraordinairement différenciées et non monolithiques » disait Edward Saïd, (NDLT : dans Culture et impérialisme) et je suis de son avis. Cela peut aussi s’appliquer à la littérature. Nous pouvons écrire un roman après avoir été inspiré par la littérature du monde. Ce livre est le nôtre, certes, mais les deux ouvrages sont liés.



Les gens disent que nous ne parlons pas assez d’enrichissement culturel. Pour eux, il ne s’agit que de slogans, sans aucune vision d’ensemble.  Comment, selon vous, pourrions-nous nous engager sur la voie de la prospérité culturelle?

Pour aller au-delà de cette « fluidité mondiale » et produire quelque chose de concret, les sciences humaines doivent franchir les frontières et tisser des liens avec d’autres domaines. C’est en élargissant leurs horizons qu’elles se mêleront et convergeront avec tout autre chose. Ce sera le cas avec la littérature. Il existait des frontières au début du 20ème siècle. Il y avait la culture pour les classes privilégiées et la culture des classes populaires. Aujourd’hui, le public est constitué de nous tous. Nous regardons tous la télévision, nous lisons des revues et nous jouons aux jeux vidéos. Nous vivons dans un monde où le fait de poser des barrières n’a plus aucun sens.


En réalité, c’est la relation entre l’auteur et le lecteur qui a évolué. Avant l’écrivain était dans une position de supériorité pour enseigner au lecteur. Aujourd’hui ils se situent sur le même plan. Dans certains cas, il arrive que les auteurs apprennent des lecteurs. S’ouvrir aux autres médias est, selon moi, la première étape pour faire de la prospérité culturelle une réalité. C’est possible en collaborant avec les autres médias, en formant des partenariats et en créant quelque chose de nouveau, car la littérature ne peut y parvenir seule. Par exemple, si nous encouragions le rapprochement entre la littérature et les jeux vidéos, nous pourrions produire un jeu très littéraire.


Cela me préoccupe. Plusieurs voies s’offrent à nous. L’une d’elles serait de renverser les barrières et de collaborer avec les autres médias. Dans mon cas, par exemple, j’ai dit aux gens combien le film « rainman » m’avait marqué. Je leur ai expliqué combien mon avis différait de celui de la plupart des critiques qui avaient écrit sur le film. L’une des personnes auxquelles je m’adressais dirigeait une maison d’édition. Mon récit l’a intéressé et il m’a demandé d’écrire des articles pour un magasine littéraire « l’esprit littéraire » ("Munhak Jeongsin"). Mes articles ont beaucoup plu aux lecteurs. J’ai écrit pour le magazine pendant deux ans. Un recueil de mes papiers a été publié quelques années plus tard et a reçu un écho favorable. Mes écrits ont joué un rôle important, conciliant littérature et cinéma. J’ai pensé qu’il était possible d’étudier la culture à travers le cinéma. J’ai surtout analysé des films hollywoodiens. Le cinéma convergeant avec la littérature, les professeurs de théâtre et de cinéma à l’Université Chung-Ang m’appréciaient beaucoup parce que je faisais du cinéma une oeuvre d’art. Ils se disaient : « c’est incroyable, un professeur enseignant la littérature anglaise à l’Université Nationale de Séoul donne la parole au cinéma ». Cela offrait un point de vue différent sur le cinéma puisque les films étaient envisagés comme de bonnes oeuvres d’art, pas simplement comme des produits commerciaux. C’était différent de ce qu’ils avaient l’habitude de faire avec la technique cinématographique, comme l’usage d’une mise-en-scène, le travail ou l’oeil de la caméra. Mes articles étudiaient la culture à travers le cinéma. Ce faisant ils conféraient un certain pourvoir aux films, ce qui incitait les gens à les regarder comme de grandes oeuvres d’art. Mon livre, intitulé « Essais de cinéma du Professeur Kim Seong-kon a été un véritable succès en librairie à cette époque. Quand la littérature converge avec le cinéma, elle peut s’épanouir et bénéficier aux deux parties.


Les scientifiques sont trop occupés à développer de nouvelles technologies. Ils n’ont donc pas assez de temps pour s’interroger sur les implications éthiques des nouvelles technologies ou se demander si la technologie est humaine ou inhumaine. « L’Homme Bicentenaire » d’Issac Asimov (1920-1992) en est un bon exemple. Ce roman parle de littérature et de technologie. Dans un futur proche, une famille achète un robot pour s’occuper des tâches ménagères. Un jour, les robots développent des sentiments et une intelligence à l’image des hommes. Plus tard, ce robot quitte le foyer et s’affranchit. Il ouvre son propre compte en banque, puis tombe amoureux de la petite-fille de la maison où il avait vécu auparavant. Il veut l’épouser mais, en tant que robot, il bénéficie d’une très longue espérance de vie. Aspirant à devenir un simple être humain, il entame des démarches pour déclarer son lieu de résidence. Sa demande est rejetée et pour être accepté en tant qu’être humain, il se fait greffer des organes humains pour remplacer les siens. Il va même jusqu’à subir une transfusion sanguine. Mais, des erreurs médicales sont commises, ce qui cause la dégénérescence de ses organes internes et provoque sa mort. En définitive, le cyborg n’a pas pu épouser la femme qu’il aimait. Le film pose la question suivante : « lequel est le plus humain, le robot ou l’homme? ». Les machines peuvent devenir plus humaines que certaines hommes dont le comportement peut s’avérer totalement inhumain. Ce roman avait au départ écrit dans le cadre de la commémoration du bicentenaire des Etats-Unis. L’auteur a décrit un robot devenu indépendant et qui a quitté sa famille et les Etats-Unis. Pour vivre comme un homme et se marier, le personnage principal renonce à la vie éternelle et choisit de mourir après avoir vécu 200 ans. Un autre film "Terminator 2" a pour héros une machine qui se sacrifie pour les êtres humains. Ces films nous disent que de telles machines se comportent mieux que des êtres humains.


Par ailleurs, le film "Multiplicity" s’intéresse aux questions soulevées par le clonage humain. Tout ceci a trait aux sciences humaines. La littérature peut aborder sous l’angle du divertissement les problèmes éthiques soulevés par la technologie. C’est ainsi que nous pourrons faire de l’enrichissement culturel un réalité. La littérature et les sciences humaines peuvent contribuer à l’ingénierie industrielle. Cela nous fait penser que la technologie n’est pas une fin en soi. Cela nous permet de nous remettre en question et nous incite à nous demander si  « cela valait vraiment la peine » ou bien « comment pourrions-nous tirer parti du progrès technologique de manière significative », voire, si les êtres humaines vivaient comme des machines, sont-ils au final meilleur que les machines?" Si les écrivains abordaient de tels sujets dans leurs romans, leurs livres s’imposeraient sur la scène internationale, parce que leur lecture serait agréable et ludique et qu’ils seraient source de connaissance, au lieu de se limiter à un intérêt purement littéraire. Alors, la littérature pourrait conduire à une nouvelle renaissance, plus profonde. 


L’imagination est source de création, l’une puis l’autre, à l’infini, liant et associant chaque pensée pour créer quelque chose de nouveau. La littérature a de multiples possibilités pour concourir à de telles oeuvres.

Après avoir lu « Le Nom de la Rose », je me suis dit : « nous n’avons pas de meilleur roman, aucun sur un tel sujet ». Peu après, pourtant, Dan Brown a publié « Anges et Démons" et "Da Vinci Code." Tous deux sont formidables et bien écrits. Je ne classerais pas ces ouvrages simplement comme de la littérature populaire. Ces livres nous apprennent de nombreuses choses : l’histoire de l’Europe médiévale, l’histoire de l’art et des religions, une découverte prélude à une nouvelle vérité. Si les livres étaient écrits de manière vivante et qu’ils étaient source de connaissance, ce serait de la bonne littérature. Certains ouvrages appartenant à la littérature populaire nous interpellent : « pourquoi l’auteur a-t-il écrit cela? que voulait-il nous dire? » Peu de gens liraient de tels livres. Nous optons plutôt pour des livres qui nous intéressent et dont nous pourrions tirer des enseignements. Voici ce que j’appelle de la bonne littérature.


A cet égard, les livres du regretté Lee Byung-Joo (1921-1992) offre tout cela : divertissement, histoire et philosophie. Depuis sa mort, aucun auteur doté d’un tel sens de l’observation ne lui a succédé. Ses romans, comme « Le Ferry Gwan-Bu" et « la Montagne Jiri" offre un aperçu de l’histoire contemporaine de la Corée et sont très enrichissants. Son livre "Fiction, Alexandrie » est inspirée de la ville d’Alexandrie en Egypte, mais l’intrigue est liée à notre histoire. J’espère, parfois que nous puissions avoir des auteurs d’une envergure égalant la sienne. C’est dommage. Nous pouvons écrire des romans basés sur des thèmes universels, en faisant référence à l’histoire coréenne et aux nombreuses difficultés que nous avons traversées. Même ainsi, il semblerait que nous ne tirions pas suffisamment parti de ces aspects de notre histoire. 



Vous qui êtes un amoureux des livres, parlez-nous des oeuvres littéraires qui vous ont marqué. 

En fait, enfant, je lisais tous les livres qui me tombaient sous la main. Je lisais tout, qu’il s’agisse de bandes dessinées ou de classiques littéraires. Pourtant, je n’avais pas beaucoup d’affinité pour les biographies de personnages célèbres, parce que tout un chacun peut devenir une personnalité d’exception. Ou bien, certains ont connu le succès par hasard. Je préfère les bandes dessinées et les romans, car ils font appel à l’imagination. Ce n’est pas facile de répondre à une telle question, car tant de livres m’ont marqué. Toutefois, je citerais « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » de Nelle Harper Lee, que j’ai lu pour la première fois quand j’étais au lycée. J’ai vu le film avec Gregory Peck. J’ai été terriblement touché et j’ai voulu lire l’oeuvre originale. Le livre était aussi très émouvant. J’en suis à ma cinquième lecture actuellement. A chaque fois que je le lis, c’est comme si je le lisais pour la première fois et les larmes me viennent aux yeux. C’est, pour moi, de la bonne littérature car elle touche les gens, les enrichit et élargit le champ de nos réflexions. 


J’aime ce livre parce qu’il dénonce les préjugés du monde des adultes à travers le regard d’un enfant, ce qui a valeur de symbole dans toute la littérature. C’était si fort pour moi. Certains romanciers anglais ont parlé de ce livre en le présentant comme un ouvrage traitant du racisme aux Etats-Unis. Pourtant, je pense que c’est un peu plus compliqué que cela et qu’il s’agit d’un véritable chef d’oeuvre. Bien que le fil conducteur soit la question du racisme, le livre dénonce toutes sortes de préjugés envers les enfants de foyers désunis à travers le personnage de Dill et les idées reçues dénigrant les femmes seules ou divorcées. 


Le roman prend pour modèle la société américaine des années 1930. A cette époque, de tels préjugés existaient. L’auteur déplore les idées préconçues des adultes à l'égard des enfants. Quand le livre a été publié en Corée, il s’agissait d’une traduction de la version japonaise, dont la traduction de l’anglais était excellente. Le titre avait alors été traduit comme suit : « les enfants savent ». Certes, ce n’était pas le titre originel mais il y avait de bonnes raisons à cela. Le livre voulait dire que les enfants connaissent les faiblesses et les préjugés des adultes, même s’ils restent muets. Les adultes, en revanche, pensent que les enfants ne savent rien. Le livre attire l’attention sur toutes les formes d’apriori, notamment les préjugés de l’Est contre l’Ouest, exprimés en termes de normalité et d’anormalité, des préjugés que les gens dits « normaux » ont contre les « fous », ce qui est en rapport avec la théorie de Michel Foucault. 


Après avoir lu ce livre, je me suis dit que je ne devais jamais avoir de préjugés. J’ai fait lire ce livre à mes étudiants à l’Université Nationale de Séoul. Ils ont tous été très émus après l'avoir lu, car il ont compris le poids des préjugés. J’ai même projeté le film à leur intention. Ce faisant, je pense que la littérature accomplit une oeuvre formidable. C’est de la bonne littérature. Qu’il soit considéré comme un livre pour enfants ou comme un roman populaire, je pense qu’un ouvrage comme celui-ci est de l’excellente littérature et qu’il devrait figurer au Panthéon des oeuvres littéraires. Le livre a reçu le Prix Pulitzer. Si la littérature pouvait jouer un tel rôle, il serait possible de s’enrichir sur le plan culturel, n’est-ce pas? C’est parce que la littérature traite des questions sociales, sans parti pris idéologique de gauche ou de droite. Si la littérature peut aborder l’actualité en touchant le public, elle jouerait un rôle remarquable. Dès lors, la société et la culture pourront s’épanouir de concert. 



En réfléchissant aux questions de société à travers la littérature, et en débattant de ces thèmes, nous pourrons contribuer à la paix mondiale. Etes-vous d’accord?

Oui. C’est devenu la base de tout. J’ai enseigné la littérature aux Etats-Unis. A la question « Qu’est-ce que la littérature? », je répondrais : « Dans les romans, la littérature nous montre, à travers les différents protagonistes de l’histoire, comment la vie mérite d’être vécue ». C’est pourquoi nous nous disons en lisant un roman : « nous devrions vivre ou ne pas vivre comme cette personne ». Les romans nous disent pourquoi les gens entrent en conflit et comment résoudre ces litiges. Ce faisant, les romans nous éclairent sur la façon de vivre une vie empreinte de compassion. C’est travers notre vécu que la littérature nous enseigne la manière dont nous devrions vivre nos vies à l’avenir. La science-fiction nous guide, grâce à la science, quant à notre futur mode de vie. La littérature fantastique nous permet de vivre notre présent en se reflétant sur le miroir du monde fantastique. C’est pour ma part la principale fonction de la littérature.



Pourriez-vous conseiller trois ouvrages de littérature coréenne aux lecteurs du monde entier, et nous expliquer votre suggestion?

Personnellement, j’aime les oeuvres de Yi Sang (1910-1937), notamment « les ailes ». Je me suis spécialisé durant mes études sur le postmodernisme. Ses oeuvres étaient en avance sur son temps, avant même que le postmodernisme ne soit introduit en Corée. Ses livres ouvrent à de nombreuses interprétations et non se faire le reflet d’un point de vue. C’est ce que fait « les ailes ». Par exemple, le personnage principal peut être vue comme un intellectuel sans défense alors la Corée était colonisée par le Japon. Sa femme, une prostituée, pouvait symboliser la Corée, tandis que ses clients représentaient le Japon.


Je souhaite présenter la littérature coréenne en la classant par période. Il y a la littérature classique, la littérature de l’époque coloniale, la literature de l’ère industrielle, également la littérature sous la dictature militaire et la littérature de l’époque des TI.


L’ère des TI est représentée par les oeuvres de Kim Young-ha, Lee Kiho, Cheon Myeong-kwan et Park Min-gyu qui évoque la sensibilité des jeunes gens.


Les auteurs emblématiques de l’ère de l’industrialisation sont Kim Seung-ok, qui a écrit « Séoul, hiver 1964" et « Voyage à Mujin," Cho Se-hui, auteurs du roman “le Nain” et « l’homme à qui il reste neuf paires de chaussures » de Yun Heunggil. Tous ces écrivains ont tous évoqué des questions qui leur étaient contemporaines. 


Yi Sang, Kim Dongin, Lee Hyoseok et Yeom Sang-seop illustrent la période coloniale. Parmi eux, je pense à Lee Hyoseok, l’un des auteurs à avoir le mieux résisté à la réalité. Son intention n’a jamais été de nous inciter à vivre en suivant le principe du naturalisme. Les écrivains à cette époque ont résisté de diverses manières. Lee Hyeseok a fait de même d’une manière singulière. On pourrait dire que Yeom Sang-seop a résisté d’une façon plus directe.


Nombre de lecteurs non coréens aiment lire les traductions de classiques de la littérature coréenne. Le LTI Korea s’est associé au Korea Herald pour publier cinq traductions de grands classiques littéraires. C’est ainsi qu’il est possible de rendre plus aisée et plus agréable la lecture de classiques littéraires. Certes, les étrangers aiment la littérature coréenne classique, telle que "Yangbanjeon" de Yeonam Park Jiwon (1737-1805), mais pour cela, il faut que le contexte de l’ouvrage leur soit également expliqué. Ces explications permettent aux lecteurs non-coréens de comprendre pourquoi de telles oeuvres satiriques avaient été écrites à cette époque et quels étaient leurs thèmes de prédilection. L’époque et la société d’alors étaient également présentées aux lecteurs.


Si nous publiions une telle collection d’ouvrages, les lecteurs non-coréens pourraient avoir une meilleure connaissance de la littérature coréenne par période chronologique, les oeuvres offrant un fidèle témoignage de l’époque dans laquelle elles s’inscrivent. En effet, la littérature donne un excellent aperçu du contexte dans lequel les livres ont été écrits. Les lecteurs peuvent comprendre comment les gens vivaient à une certaine période et connaître les problèmes auxquels les soubresauts de l’histoire les confrontaient. Ce faisant, ils pourront deviner la voie choisie par les gens d’aujourd’hui. A cet égard, je pense qu’il serait intéressant de compiler les oeuvres littéraires qui nous permettent de jeter un regard chronologique sur notre passé.


Ceci est également valable pour le cinéma. Quand le long-métrage "My Sassy Girl" est sorti en salle au début des années 2000, les critiques ont estimé que le film décrivait parfaitement le destin d’une femme qui s’affirme et gagne en force, ce qui la rend plus attirante. C’est la raison pour laquelle les gens conseillent de regarder ces films pour mieux connaître la société contemporaine. 



Et quels seraient les trois ouvrages de littérature étrangère que vous recommanderiez au public coréen? Pourriez-nous dire pourquoi?


En fait, trop de titres me viennent à l’esprit, mais si je devais en choisir un, je recommanderais la nouvelle « Vente à la criée du lot 49" de Thomas Pynchon. Ce roman a pour toile de fond l’Amérique des années 1950 et 1960. Le roman repose sur le parallèle que l’auteur fait entre les épreuves auxquelles la Corée était alors confrontée et celles qu’affrontaient les Etats-Unis à cette époque. Les conservateurs avaient été au pouvoir aux Etats-Unis dans les années 1950, puis les démocrates leur avaient succédé à tête du pays lors de la décennie suivante. L’auteur a décrit les 20 années d’affrontement qui les ont opposés et l’issue n’en apparaissait que plus désespérée. Quand nous lisons son livre, nous découvrons l’histoire en comprenant que « nous ne devrions pas vivre ainsi » ou que « nous devrions vivre comme cela ».


Les romans nous ouvrent le coeur et nous invitent à retenir les leçons de l’histoire pour éviter de reproduire les mêmes erreurs. Serions-nous assez fous pour revivre les affres qu’un autre pays a vécu auparavant? Le plus triste, c’est que nous devrions mettre un terme aux conflits idéologiques. Les écrivains devraient être les premiers à oeuvrer pour mettre en avant la littérature coréenne sur la scène internationale. C’est ainsi que l’on pourra promouvoir la littérature dans le monde et c’est la voie que nous devrions emprunter. Il nous faut mettre un terme à la guerre, à la confrontation et à l’opposition. Nous ferions mieux de nous réconcilier parce qu’écrire est un acte politique pour les auteurs.


Quels sont les projets de l’institut?

Nous projetons de fonder, au cours de l'année, une organisation trilatérale de traduction sous l’égide de la Corée, de la Chine et du Japon. Les pays de l’Asie du Sud-est devraient être invités à participer. Ces trois pays vont conjuguer leurs efforts pour publier des livres aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Ce faisant, nous ferons l’objet d’une attention plus soutenue et nos oeuvres seront d’autant plus respectées. 



Qu’est-ce que traduire signifie pour vous?

J’ai commencé une carrière de professeur de littérature anglaise et j’ai aimé la littérature coréenne. Un spécialiste de littérature anglaise aura comme premier objectif de parfaitement connaître la littérature anglo-saxonne et les cultures américaines comme britanniques. Cependant, je pensais ne pas devoir m’arrêter là. Je croyais qu’il me faudrait renverser les barrières et réfléchir sur la littérature coréenne à travers la littérature anglaise, pour contribuer à la mondialisation de la littérature coréenne. C’est, pour ma part, le principal objectif d’un chercheur en littérature étrangère.


Or, la traduction occupe une place centrale dans ce processus. J’ai porté de nombreux titres, tels qu’angliciste, critique littéraire, éditeur et Président des Presses de l’Université Nationale de Séoul et de l’Association des presses universitaires de Corée. Le titre que je préfère est, toutefois, « traducteur littéraire » parce que je pense que la traduction transcende l’ensemble du processus. Traduire rend la communication possible, et facilite les relations inter-personnelles ou le dialogue inter-familial. La différence entre le langage masculin et le langage féminin, comme celles entre le langage des adultes et celui des enfants. Tout processus être envisagé comme une traduction. Elle n’est en rien séparée. Elle est consubstantielle à notre vie. Je considère la traduction comme une oeuvre particulièrement importante. J’ai reçu de nombreux prix mais ma plus grande joie a d’être nommé par l’Association des éditeurs de Corée comme le traducteur le plus représentatif de Corée. C’était tout ce que je souhaitais faire : promouvoir la littérature coréenne à l’étranger en traduisant est un travail particulièrement enrichissant. Pour cela, la traduction est fondamentale.


Rédaction : Wi Tack-whan et Yoon Soung (whan23@korea.kr)

Traduction : Alexia Griveaux Carron

Photos: Jeon Han



La page d’accueil de l’institut permet d’en apprendre davantage sur le LTI Korea, : 

http://www.klti.or.kr/main.do


The LTI Korea was established in 2001 to introduce Korean literature and culture to the world. The above photo shows LTI Korea headquarters.

Le LTI Korea a été fondé en 2001 pour promouvoir la littérature et la culture coréenne à l’étranger. Ci-dessus, le siège du  LTI Korea.


To raise interest in Korean literature and to introduce Korea authors overseas, the LTI Korea produces various publications, including a quarterly magazine 'list.'

Pour sensibiliser le public international à la littérature coréenne et présenter les auteurs coréens à l’étranger, le LTI Korea édite diverses publications, notamment un bulletin trimestriel appelé ‘list.'


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Reflecting current trends toward consuming a diverse range of media, the LTI Korea developed an app which allows users to read Korean literature through their smartphone. It also published 30 e-books. The above photos show the LTI Korea library.

Se faisant l’écho de l’évolution de la consommation de produits médiatiques, le LTI Korea a développé une application permettant aux utilisateurs de lire des oeuvres littéraire sur leurs smartphones. Il a aussi publié 30 livres numériques. Ci-dessus, la bibliothèque du LTI Korea.