Entretiens

17.08.2023

Deux autoportraits de Man Chwi. © Man Chwi

Deux autoportraits de Maanchwee. © Maanchwee



Par Wu Jinhwa

Avez-vous déjà imaginé que les odeurs pouvaient se voir au lieu de se sentir ? C’est justement ce que raconte le webtoon phare de Maanchwee, La fille qui voyait les odeurs. Entre policier et histoire d’amour, ce webtoon relate les différentes enquêtes menées par une jeune fille qui, vous l’aurez bien compris, possède la capacité de voir les odeurs.

À l’origine de cette histoire un peu particulière, l’autrice sud-coréenne Maanchwee. Spécialiste des webtoons fantastiques, sa première création, intitulée Mongjupe (du français « mon » et « je fais ») est sortie en 2009. Mais c’est bien avec La fille qui voyait les odeurs, publié entre 2013 et 2016, que Maanchwee se fait sa place dans l’univers du webtoon. Et même bien plus qu’une place, puisque son histoire a été adaptée en drama après avoir dépassé les dix millions de lectures mensuelles. Il a été traduit en huit langues, dont le français, l’espagnol et l’allemand. En 2020, Maanchwee poursuit sa carrière en tant que scénariste avec Locker & Opener. Comme dans ces précédentes créations, Locker & Opener relève du genre fantastique et met en scène la lutte incessante de deux personnages dotés de pouvoirs très spéciaux.

Une idée audacieuse et une histoire sans longueurs, telle est la signature des œuvres de Maanchwee. Lors de son interview pour Korea.net, l’autrice, qui rêvait d’être dessinatrice de webtoon depuis l’enfance, confie que les webtoons lui donnent « cette impression de toujours m’attendre à une histoire palpitante alors qu’elle se déroule juste mes yeux ». Entretien.

Korea.net : Tous les personnages que vous créez ont des capacités particulières.

Maanchwee : J’accorde beaucoup d’intérêt aux histoires de gens qui vivent comme tout le monde, en société, mais qui ont un petit truc en plus. J’ai bien essayé d’autres genres de webtoons, mais bizarrement, aucun texte ni dialogue ne sortait et mes histoires n’aboutissaient pas. J’ai aussi tendance à m’inspirer d’autre chose que les gens pour créer mes personnages. Par exemple, pour l’héroïne de Mongjupe, qui a la capacité de faire sortir du sol ce qu’elle y dessine, je me suis inspirée du programme 3D SketchUp, qui était très utilisé à l’époque. Quand j’ai vu que c’était justement ce dont en quoi consistait la 3D, je me suis dit que je pourrais appliquer ce principe à mon héroïne.

Une scène de La fille qui voyait les odeurs. © Man Chwi

Extraits de La fille qui voyait les odeurs. © Maanchwee


Le concept de l’héroïne de La fille qui voyait les odeurs est unique en son genre. Comment vous est venue une telle idée ?

C’est en partie grâce aux webtoons animés diffusés sur Naver à ce moment-là. Ils m’ont permis de repenser mon approche que j’avais de ces facultés humaines que sont les sens. J’ai donc commencé à réfléchir à ceux qui ne sont justement pas ou peu abordés dans les webtoons. C’est ainsi que j’ai pensé aux odeurs et à l’odorat, puis ensuite à la capacité de pouvoir les voir. J’ai aussi choisi le genre policier afin d’exprimer ce concept, parce que je pensais qu’il serait capable de bien le faire.

La fille qui voyait les odeurs a captivé les lecteurs pendant trois ans. Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour vous lors de son écriture ?

Ce n’est pas facile de sortir deux épisodes par semaine d’un webtoon policier. Je crois avoir travaillé sans arrêt du matin au soir ! (Rires.) Ce qui comptait, c’était de suivre le rythme effréné des lecteurs qui dévoraient les épisodes, ce qui nous forçait à constamment en produire de nouveaux. Afin de bien faire transparaître cette atmosphère essentiellement constituée d’« odeurs », je me suis moi-même improvisée spécialiste des odeurs en écrivant le scénario. J’insérais un petit encart informatif sur les odeurs à la fin de chaque épisode pour ne pas perdre ce fil conducteur, même si La fille qui voyait les odeurs est un webtoon policier.

Le webtoon s’est bien exporté à l’étranger et en particulier en Chine, où les lecteurs confient dans les commentaires l'avoir lu d’une traite, et ce même plusieurs fois.

Je crois que c’est surtout grâce au charme que possède cette histoire si particulière que les gens l’ont appréciée. Je pense aussi que l’idée que les odeurs, qui par définition ne laissent aucune trace et donc ne peuvent pas être une preuve, a contribué à ajouter du suspense et du mystère à l’histoire. Les personnages du webtoon, aussi bien principaux que secondaires, sont tous uniques en leur genre et ont permis au webtoon de tenir les lecteurs en haleine jusqu’à la fin.

À gauche, l’héroïne de La fille qui voyait les odeurs, dessinée par Man Chwi. À droite, l’actrice Shin Se-kyung, qui incarne le personnage principale de la série du même nom, diffusée sur SBS en 2015. © Compte Facebook de SBS

À gauche, l’héroïne de La fille qui voyait les odeurs, dessinée par Maanchwee. À droite, l’actrice Shin Se-kyung, qui incarne le personnage principale de la série du même nom, diffusée sur SBS en 2015. © Compte Facebook de SBS


Votre webtoon a été adapté en drama. Voyez-vous des différences entre les deux versions, en tant qu’autrice de l’original ?

Les dramas proposent un format tout à fait différents des webtoons, dans le sens où ils déroulent l’histoire sur 40 minutes. Le travail requis est tout à fait différent, mais cela m’a permis d’avoir un nouveau point de vue sur l’adaptation. Grâce à la mise en scène, le drama offre un plus grand champ de liberté que le webtoon. Il est également possible de raccourcir, d’allonger ou même de supprimer certaines scènes ou bien de mettre l’accent sur d’autres. Mais si le processus de mise en scène a l’air vraiment difficile, je pense que ça doit être vraiment sympa d’y réfléchir. (Rires.)

Après La fille qui voyait les odeurs, vous êtes devenue la scénariste de Locker & Opener. Que pouvez-vous dire aux lecteurs de Korea.net sur le travail des scénaristes ?

Simplement, je dirais que les scénaristes doivent créer l’histoire ainsi que sa continuité. Leur rôle est de fabriquer des personnages avec les expressions qui leur sont propres ainsi que le déroulement principal de l’histoire. Il laisse ensuite la main au dessinateur, qui lui se charge au contraire de représenter jusqu’au cheveu l’apparence de ces personnages, dans le moindre détail. C’est un travail qui prend beaucoup de temps.

Vous avez participé à la campagne de protection des droits d’auteur lancée par l’agence coréenne du même nom. Que voudriez-vous dire aux lecteurs sur le respect de ces droits ?

Il m’est arrivé de dénoncer un site frauduleux qui diffusait Locker & Opener sans autorisation. Si ce site a heureusement fermé, il y en a une multitude d’autres qui ont vu le jour et qui ont continué à diffuser l’œuvre illégalement. Les revenus de certains artistes qui travaillent dessus ont été divisés par trois. Je voudrais donc dire aux lecteurs qui, pour raisons économiques, vont sur ces sites qui diffusent nos webtoons certes gratuitement, mais illégalement, de ne pas y aller. N’oubliez pas que ces quelques centaines de wons que vous payez pour lire les webtoons sont le gagne-pain de tous ceux qui travaillent dur pour que vous puissiez les lire.

Quels conseils donneriez-vous aux nouveaux auteurs de webtoons, qui sont de plus en plus nombreux grâce au succès des webtoons coréens ?

Je voudrais leur conseiller de se focaliser sur des histoires qui les passionnent et qui les font vibrer. Vous pouvez tout aussi bien partager la simplicité de la vie quotidienne que construire une histoire compliquée et remplie de rebondissements. Vous n’avez pas besoin de vous conformer aux effets de mode et à « ce qui se fait de mieux en ce moment ». Je crois que c’est en traçant sa propre route qu’on finit par devenir spécialiste d’un genre d’écriture.

jane0614@korea.kr