L’Assemblée législative de l’Etat de Virginie aux Etats-Unis a voté une loi exigeant que les manuels scolaires des écoles publiques inscrivent conjointement les dénominations Mer de l’Est et Mer du Japon pour évoquer l’étendue d’eau qui sépare la Corée des îles japonaises.
Or, le vote de cette loi a contribué à diffuser le principe d’une double dénomination aux Etats-Unis. En effet, de nombreux Etats comme New York, le New Jersey, la Géorgie, l’Illinois, Washington et la California, envisagent d’opter à leur tour pour une telle législation.
Cette décision et la dynamique qu’elle a suscitée s’inscrivent dans une campagne plus large visant à rectifier l’appellation «Mer du Japon» imposée par l’Empire nippon de façon unilatérale quand le pouvoir colonial japonais dirigeait la Corée.
S’il est possible de tirer des enseignements du passé, il faut alors se rappeler que les Japonais appelaient, jadis, l’étendue d’eau à l’ouest de leur pays «Mer de Corée», et non «Mer du Japon», dénomination qu’ils ont pourtant adoptée par la suite.
En effet, le nom «Mer de Corée n’était pas seulement utilisé par le grand public et des érudits, mais il figurait aussi dans les documents officiels échangés entre la Dynastie Joseon (1392-1910) et le gouvernement Meji qui venait d’être investi dans ses fonctions.
A ce titre, ces questions sont très clairement évoquées dans un traité signé par la Dynastie Joseon et le Japon en janvier 1884. En effet, le «règlement commercial entre Joseon et le Japon» s’en fait l’écho dans son article 41, lequel déclare ceci : «les bateaux de pêche japonais sont autorisés à naviguer près des côtes bordant le littoral de quatre provinces de Joseon, de Jeolla et Gyeongsang jusqu’à Gangwon et Hamgyeong, tandis que les navires coréens peuvent pêcher le long de la côte, près des provinces japonaises, notamment Hizen, Chikuzen, et Iwami, qui longent la Mer de Corée».
Or, dans le cadre des efforts engagés à l’échelle mondiale pour apporter des éclaircissements sur ces points, la Fondation pour l’Histoire de l’Asie du Nord-est, un institut de recherche historique basé à Séoul, a récemment publié un recueil de cartes anciennes. Ainsi, l’ouvrage «La Mer de l’Est et Dokdo, dans les Cartes Anciennes» est-il le fruit d’une longue collaboration portant sur une recherche conjointe consacrée à d’anciennes cartes d’Asie du Nord-est et au-delà.
Cette recherche montre que «Mer de l’Est» était l’appellation la plus usitée pour désigner cette étendue d’eau. De plus, l’ouvrage atteste, preuve à l’appui, que les îlots Dokdo, les affleurements rocheux les plus à l’est du territoire coréen, avaient toujours fait partie intégrante du pays tant sur le plan géographique qu’historique, et ce, depuis les premiers documents que l'on peut consulter.
En effet, les anciennes cartes qui illustrent l’ouvrage font référence à cette étendue d’eau sous l’appellation de Mer de l’Est et indique les îlots Dokdo comme appartenant au territoire coréen. Si nombre de ces cartes viennent de pays occidentaux comme l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, certaines ont été dressées par des cartographes japonais.
C’est sous l’appellation «MARE EOUM», terminologie latine qui signifie «Mer à l’Est», que la carte réalisée en 1624 par le cartographe allemand Philip Cluver (à gauche) fait référence à l’étendue d’eau séparant la Corée et le Japon. Dans une carte établie en 1721, le cartographe royal anglais John Senex (à droite) évoque cet espace maritime sous l’appellation de «Mer Orientale».
L’usage du terme Mer du Japon, parfois employé, n’apparaît qu’avec l’essor des liens commerciaux entre l’Occident et le Japon. Pourtant, c’est une réalité bien différente que révèle une série de cartes antérieures au 18ème siècle, originaires d’Allemagne, d’Angleterre, de Russie et même du Japon.
En effet, dans ces cartes, l’étendue maritime est dénommée soit Mer de Corée, soit Mer Orientale.
A titre d’exemple, il est possible de citer la carte datant de 1690 réalisée par un cartographe et historien allemand Philip Cluver, que l’on peut découvrir dans l’Introduction à la géographie universelle», fait mention de la mer sous l’appellation «MARE EOUM», c’est-à-dire «Mer à l’Est» en latin.
Par ailleurs, John Senex, géographe auprès de la Cour Royale d’Angleterre, employait le terme «Mer Orientale» dans sa la carte de l’Inde et de la Chine réalisée en 1721.
Cartographe officiel des souverains français et espagnols, Nicolas de Fer a même précisé dans sa carte de 1702 : «la Mer de l’Est est une mer appelée ‘Mer Orientale’ par les Tatars (une ethnie originaire de Russie), mais est inconnue des Européens».
Deux anciennes cartes japonaises indiquent toutes deux que l’espace maritime entre la Corée et les îles japonaises était dénommé «Mer de Corée», tandis que l’Océan Pacifique était appelé «Grande Mer du Japon».
A l’instar des cartes occidentales, de nombreuses cartes japonaises ne font pas mention du terme «Mer du Japon». En effet, la carte Shintei Bangkoku Zenu du cartographe et astronome japonais Takahashi Kageyasu fait mention de la Mer de Corée, tout en appelant l’Océan Pacifique « Grande Mer Japonaise». Un autre cartographe japonais, Kurihara Nobuaki, dans sa carte intitulée Touzai Chikyu Bangkoku Zenzu parue en 1848, emploie les deux dénominations.
Les auteurs japonais reconnaissent, dans ces deux cartes, que Dokdo fait partie du territoire coréen.
Dokdo est indiqué dans la même teinte jaune que la péninsule coréenne dans la carte Sangoku Tsuran Zustsu publiée par Hayashi Shihei en 1785, tandis que les îles japonaises voisines sont mentionnées dans une couleur gris-vert. La distinction entre les deux îles est ainsi très clairement établie. Mais pour qu’il n’y ait aucune méprise possible, la légende «possession de la Dynastie Joseon» est inscrite à côté des îlots de Dokdo.
De plus, une carte japonaise complète dressée en 1877 représente le territoire japonais dans son intégralité, sans mentionner Dokdo, ce qui contredit de façon éloquente certaines des récentes revendications japonaises sur ces îlots.
Ainsi, dans cette carte japonaise de 1783, Dokdo est-il indiqué en jaune, couleur qui différencie la péninsule coréenne, la légende «Possession de la Dynastie Joseon» levant toute ambiguité quant à l'Etat exerçant la souveraineté sur ces îlots.
La carte japonaise de 1877, qui représente l’ensemble des terres et territoires appartenant au Japon ne considère pas Dokdo comme appartenant au territoire japonais.
D’autres cartes occidentales présentent également Dokdo comme appartenant à la Corée, comme en témoignent la Carte de la Chine de Jean Baptiste Bourguignon D’Anville, le cartographe français de la Cour, la Carte de la Côte Orientale de Joseon des officiers de la marine et la carte Kang Neung du Service Cartographique de l’Armée française.
Géographe auprès de la cour royale, Jean Baptiste Bourguignon d’Anville évoque Dokdo sous le terme “Tchian-chan-tao,” utilisant ainsi la prononciation en mandarin de l’ancienne dénomination Usando, qu’il s’agisse de la carte de 1732 (à gauche) ou celle de 1737 (à droite).
Selon la Fondation pour l’Histoire de l’Asie du Nord-est, ces précieuses cartes anciennes, considérées comme des documents historiques de premier ordre, confirment que l’étendue d’eau située à l’est de la péninsule coréenne était depuis longtemps appelée Mer de l’Est et que les Japonais eux-mêmes considéraient Dokdo comme appartenant au territoire coréen.
(Photo publiée avec l’aimable autorisation de la Fondation pour l’Histoire de l’Asie du Nord-est).