Étranger

Un Français uni à une Coréenne (70% des mariages franco-coréens) ou une Française à un Coréen* (30%) épouse aussi le pays avec sa culture, le kimchi, la belle-mère... Parallèlement, depuis 1990, l’hymen de Coréens avec l’Asie continentale pallie un peu le manque de bébés. Mais, ne comptez pas sur les Franco-Coréens pour faire nombre face aux légions coréo-chinoises, vietnamiennes... Plutôt pour influer sur la vie culturelle de Séoul. Car chaque idylle est un roman, un Drama virevoltant, parfois une saga intergénérations, un indice de l’évolution de la Corée vers le multiculturalisme. 

* Culture Coréenne, N° 94, Les Français en Corée

La photo circule encore. Magazines, sites... Le symbole du mariage mixte. Elle, lui, des étoiles dans les yeux. Lui, elle, leurs enfants. Son mari coréen et Ida Daussy, l’étudiante en business devenue une star TV à Séoul avec le Oh la la, leitmotiv de ses apparitions TV. 16 ans d’union et un livre-témoignage Ida au Pays du Matin Calme (Lattès, 2006).

Ida : « La Corée est mon pays » 

Je savais le sujet délicat depuis l’annonce claironnante de son divorce. Ida avait pleuré à l’écran : « J’élèverai mes enfants comme jusqu’à maintenant. J’ai vécu en Corée la moitié de ma vie. La Corée est mon pays. Je vais continuer à faire de mon mieux au travail. » Déclaration à Kwon Mee-yo, du Korea Times (23-02-2009). Depuis, ça va mieux mais j’ai tenté l’approche en douceur. M’accorderiez-vous un entretien pour évoquer les relations franco-coréennes, leurs spécificités ? Oui. L’entretien aurait lieu mardi à l’heure du déjeuner à Seorae Maeul, le très branché village français de Séoul. Elle y vit avec ses garçons. Elle vérifierait son agenda. Elle rappellerait pour confirmer. Pas de souci. Elle a rappelé... pour s’excuser ! Surchargée. Son mandat à la Chambre de commerce franco-coréenne, la rédaction d’un ouvrage sur les relations interculturelles pour 2018... Elle redoutait d’en déflorer le contenu. Bon. On n’attendait pas de la pétillante animatrice TV un point définitif sur l’anthropologie culturelle locale. Plutôt un ressenti. Car la Normande de Corée (naturalisée en 1996) avait incarné l’alliance réussie des héritières de Descartes aux fils de Confucius. Elle était un emblème. Une personnalité inspirante pour les Dramas TV qui jusqu’en Chine diffusent l’image d’un émouvant Eden coréen. Puis patatras ! En 2009, la star devient un symptôme des difficultés culturelles que les instituts coréens pointent. Depuis les années 2000, les unions mixtes font masse. Longtemps, le mariage international a surtout concerné Coréennes et GI des bases US. 6000 unions de 1950 à 1964 avec émigration aux USA. L’essor de la diplomatie sino-coréenne a tout changé. En 1990, les mariages mixtes comptent pour 1,2% du total annuel. 13,6% en 2005 ! 1 sur 7 ! 250 000 unions internationales sont enregistrées de 1990 à 2005. 238 000 depuis ! (The Diplomat, 29-1-2015). La moitié* impliquent Chinoises et Sino-coréennes, un quart, des Vietnamiennes. Viennent ensuite Japonaises, Philippines, Cambodgiennes... La France se cache dans l’épaisseur du trait !

* Korea Immigration Services Statistics, 2010

Mais les chiffres ne reflètent pas l’aura de ses ressortissants. Car leurs parcours relèvent de l’épopée artistique, de la communication internationale pas de l’entreprise de repopulation. Les franco-coréens sont profs, traducteurs, stars, présentateurs TV..!

La dame de cour et l’ambassadeur 

Avec 2 millions d’étrangers en 2017 contre < 200 000 en 1990, la Corée s’essaie au multiculturalisme. Mais le romantisme français influe. De longue date, d’une façon irréductible aux statistiques. Car l’idylle supposée du premier chargé d’a aires Victor Collin de Plancy* (1853-1922), le concepteur amoureux du Pavillon de la Corée à Paris 1900, avec Li Tsin (ou Li Chin) une dame de la cour, est devenue une légende coréenne. Le consul Hippolyte Frandin** parle « d’une danseuse de cour suivant en Europe le diplomate aimé, puis retournant avec lui en Corée où elle se suicide en avalant des feuilles d’or, consciente de son infériorité physique (mais non intellectuelle) par rapport aux femmes d’Occident alors qu’elle est à nouveau prise dans les intrigues du palais. »

* Collin de Plancy représenta la France à Séoul entre 1886 et 1906.

** Consul à Séoul de 1892 à 1895. A publié En Corée. Delagrave, 1905.

Le résumé de Frédéric Boulesteix* souligne déjà l’excentricité des alliances avec la Corée, leur retentissement. Leur parfum de transgression, la persistance du souffle romanesque.

* Images françaises de la Corée. Thèse Paris III, 1999, T1. P459.

Un siècle plus tard, les collections de Collin de Plancy s’exposent en grande pompe (Paris, Troyes, Séoul 2006*). Le destin de l’amante magnifique inspire l’édition (Li Chin, Picquier). Une grande chorégraphie lyrique lui est dédiée au musée Guimet (18-12-2015). Françaises, Coréens, les âme-soeurs de la romance séoulienne ?

* Elisabeth Chabanol (dir) Souvenirs de Séoul, EFEO, 2006

L’extravagance de la Corée 

« Moi ça s’est fait plus simplement », sourit Martine Prost, ex-directrice de l’institut d’études coréennes du Collège de France. En 1979, le coup de foudre, je l’ai éprouvé pour la Corée. Sa pauvreté rugueuse, ses gamins des rues, les fesses à l’air. Le contraste entre le Japon policé et cette rude extravagance ; les bains du Japon où « on se regarde en évitant de se regarder » et les « mogyoktang » de Séoul où l’on attrape l’« étrangère bizarre » à bras le corps ; les restaurants où des filles minuscules coupaient la viande sur le barbecue avec des ciseaux gros comme leur bras. »

Le mari ? Plus tard ! « J’ai obtenu une bourse pour finir ma thèse à Séoul. J’enseignais à Yonsei. Il y était étudiant en sport. Champion de Corée de tennis ! Je lui ai été présentée par le directeur des études françaises : « Martine, tu aimes le tennis, tu ne peux pas rester sans jouer. »

Pourquoi le béguin pour ce champion ? « Les autres Coréens étaient ternes, gris. Mon futur mari souriait, il était agréable. Mais je l’ai horrifié avec mes vieilles raquettes !  » Bien paraître confucéen versus décontraction européenne. « J’étais la gitane. C’est comme cela que je m’habillais ! Il avait six ans de moins, un drôle de truc pour Séoul. Mais ça s’est fait !  »

L’affaire se complique lorsque les amants décident d’officialiser. «  Au bout de deux ans, on a voulu mettre notre relation au clair. Il fallait passer par le grand père. La piété filiale l’exigeait. Sinon, ça ne se faisait pas.  » L’aïeul est un médecin chinois, un gentilhomme confucéen. Martine a raconté dans un délicieux récit (Halabeoji, l’Asiathèque, 2015) le test d’admission que grandpapa, aussi empesé que son costume de lin blanc, lui a fait subir. « Seul son petit-fils parlerait. Moi j’attendrais sans bouger le temps qu’il le faudrait. Combien ? Impossible de le savoir à l’avance. Tout dépendrait du bon vouloir de l’aïeul.  »

L’entrée dans une famille coréenne est-elle toujours aussi ritualisée ? Lorsque Bob Chudy, un jeune prof d’anglais de l’université de Busan, a demandé la main de son étudiante Yong-Hee, à son père (1977), celui-ci, un instituteur rural, l’a claquemurée plusieurs jours. Mais l’aide du président de l’université a mis les tourtereaux dans l’avion pour l’Amérique !


En savoir plus :

Revue Culture Coréenne Culture Coréenne

« Culture Coréenne », dont le premier numéro remonte à l’automne 1981, est une publication destinée au public français présentant les arts, l’histoire, les traditions, et d’une façon générale, les multiples facettes de la Corée et de sa culture.

http://www.coree-culture.org/-automne-hiver-2017-no95,368-.html