Culture

11.07.2024

Les livres anciens ne sont pas simplement de vieux objets. Ils représentent une passerelle entre le passé et le présent. Ces artefacts reflètent la vie, l’esprit, l’histoire et la culture humaine à travers le temps. Porteurs de la sagesse du passé, ils résonnent particulièrement dans une ère numérique marquée par la rapidité et l’efficacité.


Par Wu Jinhua et Gil Kyuyoung

Le long de la Seine, les célèbres boîtes vertes des bouquinistes attirent l’attention. Ces commerçants vendent des livres, des photos et des cartes postales anciens depuis le XVIe siècle. Inscrits au patrimoine culturel immatériel français en 2019, ils incarnent un symbole emblématique de la culture française.

À l’approche des Jeux olympiques de Paris, ces bouquinistes ont été menacés de disparition. La préfecture de police leur a ordonné de retirer leurs boîtes en vue de la cérémonie d’ouverture des JO. Grâce aux protestations du public, la préfecture a fini par renoncer. Pourquoi les Français s’attachent-ils autant à conserver les bouquinistes ? Cette question nous amène à une réflexion sur la valeur des livres anciens.

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Un bouquiniste de Paris (à gauche) et le quartier des livres d’occasion de Cheonggyecheon, à Séoul. © Agence de presse Yonhap, musée Cheonggyecheon


En Corée, les librairies d’occasion ont vu le jour aux abords des marchés fréquentés par les classes populaires et ont commencé à se développer dans les années 1970 avec l’industrialisation. À l’époque, le quartier des livres d’occasion de Cheonggyecheon comptait environ 200 librairies, attirant plus de 20 000 visiteurs par jour. Les gens préféraient se procurer des livres de seconde main, moins chers que des livres neufs. Des étudiants aux intellectuels, de nombreux Coréens ont fréquenté ces librairies, véritables espaces de partage culturel et de découverte intellectuelle.

Leur popularité a toutefois décliné au fil du temps. Avec la baisse du nombre de lecteurs de livres papier et l’essor des contenus numériques, les librairies d’occasion ont progressivement perdu leur éclat. La librairie Shakespeare and Company, qui célèbre son centième anniversaire, connaît des difficultés financières. Elle a ouvert un magasin en ligne pour en sortir, mais son avenir reste incertain.

À l'étranger, le quartier des livres d’occasion de Jinbocho, à Tokyo, reste toujours prisé des Japonais et des touristes. Ce centre culturel où différentes cultures convergent autour des livres anciens est un véritable paradis pour les bibliophiles en quête d’un moment de tranquillité.

En Corée, on s'efforce de perpétuer cette tradition. La ville de Séoul a mis en œuvre plusieurs projets pour préserver les livres anciens. En 2013, elle a inscrit le quartier des livres d’occasion de Cheonggyecheon dans son patrimoine culturel. L’objectif était de préserver la mémoire collective véhiculée par ces livres anciens et de les transmettre aux générations futures. En 2019, la capitale coréenne a inauguré la Seoul Book Repository, une librairie publique d’occasion.

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Les étagères de la Seoul Book Repository. © Seoul Book Repository


Cette librairie installée dans un ancien entrepôt du quartier de Jamsilnaru vend des livres anciens provenant des 33 librairies d’occasion de la ville. Elle renferme actuellement plus de 130 000 ouvrages.

Contrairement aux librairies traditionnelles, la Seoul Book Repository classe ses livres selon les librairies d’occasion d'où ils proviennent plutôt que par titre ou genre, pour préserver le charme et l’identité propres à ces librairies. En d’autres termes, elle invite les visiteurs à parcourir tranquillement ses rayons, tout en favorisant les rencontres fortuites avec les livres.

Le Seoul Book Repository a connu un succès inattendu. En 2019, elle a attiré environ 8 500 visiteurs par semaine. C'est un public féminin et jeune ainsi que les familles qui représentaient une part importante des visiteurs, tout comme les touristes étrangers, qui ont découvert cet espace grâce aux séries coréennes comme Hotel del Luna.

« La génération précédente trouve une nostalgie dans les livres anciens, alors que les plus jeunes prennent plaisir à découvrir ces objets inhabituels », a expliqué Hans Lee, responsable de communication de la Seoul Book Repository.

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Livres exposés dans la Seoul Book Repository. © Wu Jinhua / Korea.net


Les livres anciens ne sont pas juste des objets abandonnés dans un garage, mais ils représentent un patrimoine culturel méritant d’être préservé. Selon les statistiques du Festival du Livre de Paris, plus de 80 millions de livres d’occasion ont été vendus en France en 2022, générant un chiffre d’affaires de 350 millions d’euros. Le pays compte actuellement plus de 2 000 librairies d’occasion, et leurs chiffres d’affaires annuels se situent entre 200 et 300 millions d’euros, selon Jean-Marc Dechaud, président du syndicat national de la libraire ancienne et moderne.

« Dans certains pays, les vieux livres se vendent à prix d'or aux enchères, à l’instar des œuvres d’art. C’est une manière de soutenir le marché du livre en difficulté », a expliqué Hans Lee. « En Corée, ce marché n’est pas encore pleinement développé, mais il est en progression », a-t-il ajouté.

« Les librairies d’occasion sont indispensables pour le développement du monde de l’édition ainsi que de la culture », estime Hyeon Mansoo, qui gère sa librairie d’occasion dans le quartier de Cheonggyecheon depuis 35 ans. « Les livres anciens et les librairies d’occasion ne doivent pas disparaître », a-t-il insisté.

« Si les livres anciens ont de la valeur, c’est parce qu’ils ont été choisis par des lecteurs », souligne Hans Lee, invitant ainsi à une réflexion profonde sur la valeur de ces ouvrages précieux.

Les librairies d’occasion ne se limitent pas à vendre des livres à moindre coût ; elles préservent en elles les histoires du papier, du monde de l’édition, de la vie quotidienne de nos ancêtres ce qui forment leur charme unique.

Mitsuyo Kakuta, Used Bookstores


jane0614@korea.kr