Journalistes honoraires

06.05.2021

Voir cet article dans une autre langue
  • 한국어
  • English
  • 日本語
  • 中文
  • العربية
  • Español
  • Français
  • Deutsch
  • Pусский
  • Tiếng Việt
  • Indonesian

Par la Journaliste Honoraire de Korea.net Myu-Ri de France

Un jour que je manquais un peu d’entrain, j’ouvrais mon compte Instagram, espérant retrouver le sourire en regardant des photos de Corée du Sud. Je m’attendais simplement à passer un bon moment, jamais je n’aurais cru y faire une telle découverte ! Comme quoi, la vie réserve vraiment des surprises.

Ce jour-là, alors que mes doigts font défiler les photos de mon fil une à une, je m’aperçois en effet que nous avons un nouvel abonné. Ils se font plutôt rares ces derniers temps, et comme je suis curieuse de savoir qui s’intéresse à la Corée, je clique sur la photo de profil. Tiens, la galerie de cet abonné semble plutôt vide… à peine cinq images. La bio est tout aussi sibylline.

J’aurais pu passer mon chemin, mais mon regard est attiré par d’étonnantes dorures, un peu plus bas…

Les photos sont petites, je dois me concentrer pour en être sûre, mais pourtant oui, je ne me trompe pas : ce sont bien des enluminures médiévales. Je vois le roi Sejong sur l’une d’elles ! Tiens, un pavillon traditionnel coréen ! Sur une autre, un parchemin relié sur lequel est écrit le mot « Arirang ». Mais, comment est-ce possible ? Ainsi, il existe des enluminures sur la Corée ? C’est la première fois que je vois ça... Mon étonnement est immense.

enluminure de Sejong le Grand, le roi le plus estimé de la dynastie Joseon, à qui l’on doit la création du hangeul, l’aphabet coréen. Crédits : Noëmie Barbereau.

enluminure de Sejong le Grand, le roi le plus estimé de la dynastie Joseon, à qui l’on doit la création du hangeul, l’aphabet coréen. ⓒ Noëmie Barbereau



C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Noëmie Barbereau.

Noëmie est une jeune femme qui vient de recevoir le titre d’enlumineur de France. Les enluminures que j’ai vues sur Instagram, ce sont les siennes. Elle a gentiment accepté de me parler d’elle et de son travail, et nous nous retrouvons par écran interposé un samedi après-midi.

Je rêve d’en savoir plus sur l’origine de ces illustrations. Noëmie m’explique qu’elle a découvert la Corée du Sud en 2008, lors d’un voyage dans la péninsule. Elle n’y est pas retournée depuis, mais à la faveur d’une reconversion professionnelle, elle a choisi de se consacrer à l’enluminure. À Angers où elle habite, elle intègre l’Institut supérieur européen de l’enluminure et du manuscrit. Très vite, elle doit choisir le sujet de son projet personnel, celui qu’elle devra préparer tout au long de sa deuxième année et présenter devant un jury de professionnels. Elle veut tenter quelque chose de nouveau : mettre en images l’histoire de la Corée, depuis la légende de Dangun jusqu’à la dynastie Joseon, en passant par les Trois Royaumes et Goryeo.

Mais comment transposer à l’enluminure européenne les quatre chapitres sur l’histoire coréenne qui formeront son manuscrit ? Noëmie a une idée en tête : elle emploiera la technique de l’enluminure romane, c’est-à-dire des 11e et 12e siècles, pour les trois premiers chapitres. Puis elle passera à l’enluminure gothique du 15e siècle pour illustrer la période Joseon, dont l’époque est quasiment contemporaine. Quand on sait la patience et la minutie nécessaire à la réalisation de folios enluminés, on comprend vite que Noëmie n’a pas choisi la voie la plus facile en mixant ainsi deux époques et deux techniques.

Style roman. À gauche, les marches du temple Bulguksa, qui symbolisent la route de l’illumination et les efforts à fournir pour marcher sur la terre de Bouddha. Crédits : Noëmie Barbereau.

Style roman. À gauche, les marches du temple Bulguksa, qui symbolisent la route de l’illumination et les efforts à fournir pour marcher sur la terre de Bouddha. ⓒ Noëmie Barbereau


Style gothique. Le décor fleuronné, à base de motifs végétaux, est caractéristique de ce style d’enluminure. Crédits : Noëmie Barbereau.

Style gothique. Le décor fleuronné, à base de motifs végétaux, est caractéristique de ce style d’enluminure. ⓒ Noëmie Barbereau



Le manuscrit porte le nom d’Arirang, un mot que les amoureux de la Corée connaissent bien, puisqu’il fait référence à une chanson du folklore traditionnel coréen, très certainement la plus connue et la plus populaire de toutes. Bien que Noëmie ait appris à écrire le hangeul, elle s’est rapprochée d’une enseignante de calligraphie du Centre culturel coréen à Paris, Kum Young-Suk. Celle-ci lui a fait parvenir sa propre calligraphie du mot Arirang, mais celle que l’on voit sur la magnifique reliure en soie bleue de Busan qui orne le manuscrit est bien celle de Noëmie. La reproduction est parfaite ! Digne selon moi des meilleurs copistes du Moyen Âge.


La reliure, réalisée par un atelier spécialisé, a été entièrement imaginée par Noëmie. Crédits : Noëmie Barbereau.

La reliure, réalisée par un atelier spécialisé, a été entièrement imaginée par Noëmie. ⓒ Noëmie Barbereau


Détail sur le titre du manuscrit, Arirang. Crédits : Noëmie Barbereau.

Détail sur le titre du manuscrit, Arirang. ⓒ Noëmie Barbereau



Le travail d’enluminure, ce ne sont pas que les illustrations qui agrémentent les feuillets des parchemins. C’est aussi l’écriture. Toute l’histoire de la Corée telle qu’elle a été mise en texte ici a été rédigée par Noëmie. Elle l’a écrite en utilisant cette fois-ci la technique de la calligraphie latine.

Chaque chapitre représente un élément : l’air pour le légendaire Dangun, la terre pour le royaume de Silla et l’eau pour celui de Goryeo. Quant à la dynastie Joseon, elle est représentée par le feu. Tout est fait à base de pigments naturels, directement inspirés par l’étude de ceux utilisés dans les temples coréens. Noëmie me dit avoir passé beaucoup de temps à faire des recherches sur les sites Internet. Elles forment d’ailleurs la base de son mémoire d’études.

Si tout le travail de Noëmie est absolument magnifique, l’un des feuillets les plus spectaculaires est certainement celui du frontispice. C’est ainsi que l’on appelle l’illustration placée en regard de la page de titre, et qui donne le ton de l’ouvrage. Noëmie a fait des recherches poussées pour comprendre et réutiliser la technique coréenne du Sagyeong, un art coréen ancestral qui consiste à recopier les sutras bouddhiques en utilisant de la peinture en or sur un fond de papier bleu.

Crédits : Noëmie Barbereau

ⓒ Noëmie Barbereau


Noëmie a dépassé la portée religieuse du Sagyeong pour proposer une sublime illustration en lien avec Arirang. Au premier plan, on y voit une jeune chanteuse jouer du gayageum, une cithare coréenne à douze cordes. Derrière elle, un pavillon traditionnel au pied d’une montagne presque infranchissable, telle que la chanson l’évoque.

Cette rencontre avec Noëmie Barbereau a dépassé mes espérances. Jamais je n’aurais imaginé que l’enluminure, cet art monacal du Moyen Âge, serve un jour de support à l’histoire de la Corée ! Malgré la distance, j’ai pu apprécier toute la beauté de ses enluminures et m’émerveiller devant son immense talent. Je suis vraiment très heureuse de pouvoir présenter ici son magnifique ouvrage et j’espère que vous aurez l’occasion de l’admirer également un jour. Merci Noëmie pour cette belle rencontre.

* Cet article est rédigé par un journaliste honoraire de Korea.net. Notre groupe des journalistes honoraires est partout dans le monde, pour partager sa passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.

etoilejr@korea.kr