Par la journaliste honoraire Danielle Tartaruga de France
Depuis plusieurs années, j’avais le projet de réaliser une interview de Benjamin Joinau, son parcours est très intéressant et je trouve que c’est quelqu’un d’inspirant ! Il est selon moi l’exemple parfait d’une personne qui s’applique à tisser au fil des ans, des liens entre les communautés francophones et coréennes.
Son emploi du temps à Séoul est toujours bien chargé, mais il a pu se libérer un petit moment afin de répondre à mes questions et je l’en remercie ! Il faut dire qu’entre ses responsabilités de conseiller des Français de l’étranger, ses cours à l’université, ses recherches et la sortie actuelle de plusieurs livres par sa société d’édition, c’était un peu compliqué pour lui.
J’ai souhaité qu’il nous parle de son travail d’enseignant en Corée, de l’actualité littéraire proposée par l’Atelier des Cahiers, mais aussi de son rôle de conseiller des Français de l’étranger dont les missions sont encore peu connues du grand public.
Et voici ses réponses…
Benjamin Joinau. © Benjamin Joinau
Danielle Tartaruga : Bonjour Benjamin Joinau ! Pourriez-vous vous présenter et nous expliquer votre parcours en Corée ?
Benjamin Joinau : Je suis arrivé en Corée du Sud il y a 29 ans, en 1994, pour effectuer un service civil de coopération (CSN). J’ai enseigné deux ans au Lycée français de Séoul, puis j’ai décidé de rester un peu plus comme lecteur à l’université Hongik… sans savoir que je resterais aussi longtemps ! J’ai ainsi touché à différents domaines, l’enseignement et la recherche qui sont au centre de mes activités depuis toujours, mais pendant 15 ans l’entrepreneuriat (j’ai ouvert des restaurants à Séoul), l’édition (je suis co-directeur de l’Atelier des Cahiers), le monde de l’art (j’ai organisé beaucoup d’expositions), et même la télévision (j’ai été l’animateur d’une série documentaire sur la chaîne Arirang), etc.
Quel est le rôle d’un conseiller des Français de l’étranger et plus particulièrement quelles sont ses missions en Corée ? De quel ministère dépend-il ?
Le conseiller des Français de l’étranger est élu au suffrage universel dans les circonscriptions de l’étranger par les Français résidents pour une durée de 6 ans. Son élection est organisée avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, avec lequel le conseiller collabore régulièrement. En effet, ce dernier est un médiateur, un facilitateur entre la société civile des Français expatriés (nous sommes près de 3 millions dans le monde) et les institutions françaises. Notre mission est donc de faire remonter auprès de nos élus de métropole et aussi de nos ambassades les questions et problèmes liés à l’expatriation. Mais nous intervenons aussi localement pour les problèmes concrets rencontrés par nos compatriotes : soucis légaux, emprisonnement, etc. Nous siégeons au Conseil consulaire dont je suis le président et qui statue à travers différentes commissions sur les bourses scolaires, les aides sociales, etc. En plus de ce tissu institutionnel d’aide, nous avons aussi avec mon collègue Pierre Ory, lui aussi conseiller, aidé à mettre en place des réseaux non-gouvernementaux pour les compléter : Fonds d’entraide solidaire pour les imprévus financiers de la vie, accompagnement des prisonniers français, association d’entrepreneurs francophone, etc. En Corée, où il y a de plus en plus de visiteurs et de résidents français, surtout jeunes, nous sommes confrontés à un nombre croissant de problèmes nouveaux liés au droit à l’image, aux questions de harcèlement et d’agressions sexuels, aux limites des visas pour ce qui est de l’emploi, etc. Nous devons donc avoir une action préventive par la communication. Notre circonscription comprend aussi Taïwan, nous avons donc une double communauté.
Benjamin Joinau. © Benjamin Joinau
Vous êtes chercheur et enseignant à l’université. Quelles sont les différences dans les méthodes d’enseignement entre la Corée et la France...
Vous me demandez d’ouvrir la boîte de Pandore ! Les différences sont énormes. Les étudiants coréens sont habitués aux examens de type QCM alors qu’en France nous privilégions les dissertations et essais. Les étudiants coréens sont aussi moins habitués à participer en classe. Et du côté des professeurs, je dirais que les enseignants sud-coréens du supérieur sont peu habitués à l’interdisciplinarité.
...et entre les étudiants coréens et français (attitude, méthodes de travail, motivation, vision de l’avenir, etc.) ?
Je dirige des thèses et mémoires d’étudiants français et nous avons aussi beaucoup d’étudiants français en échange à Hongik, cela me permet de comparer. Contrairement aux idées reçues, les étudiants de la jeune génération coréenne ne sont pas plus polis ou respectueux que leurs homologues français. Ils sont plus passifs surtout, et je pense très angoissés par leur avenir. En licence, ils ont peu de motivation pour les cours que nous enseignons, ils souhaitent surtout une bonne note et être vite diplômés pour aller sur le marché du travail. La licence en Corée est une forme de baccalauréat désormais, tout le monde ou presque va à l’université en Corée comme le prouvent les statistiques de l’OCDE. C’est bien différent à partir du master où l’on retrouve une minorité d’étudiants coréens, qui a un objectif de carrière plus clair et plus défini, et qui suit les cours pour apprendre un enseignement spécifique. Ce sont donc des étudiants motivés et dynamiques, c’est un bonheur de leur enseigner en 3ème cycle.
Vous êtes éditeur de livres sur la Corée. Quelle est la ligne éditoriale de votre maison d’édition l’Atelier des Cahiers ?
Nous faisons des livres en français sur l’Asie de l’Est et sur la Corée en particulier depuis plus de vingt ans. Nous voulons proposer un autre regard sur cette aire culturelle, un regard d’experts, de connaisseurs et aussi d’amoureux. Notre équipe est constituée de personnes passionnées par la Corée, qui en parle la langue, et qui peut donc accompagner les auteurs pour faire le pont culturel entre France et Corée par leurs livres. En revanche, à la différence des autres éditeurs français publiant des livres sur la Corée, nous ne faisons pas que des traductions du coréen vers le français : cela ne représente que 30 % au plus de notre catalogue. La plupart de nos livres sont des créations inédites par des auteurs français et coréens, de différents genres, essais académiques, guides pratiques, romans, théâtre, etc.
Logo de l'Atelier des Cahiers. © Atelier des Cahiers
Quels sont les livres que l’on trouve actuellement en librairie, les derniers ouvrages proposés par l’Atelier des Cahiers ? Pouvez-vous en quelques lignes nous donner envie de les lire…
Ce printemps, nous avons publié
Les Vingt-et-un du Porthos, un récit de vie d’Antoine Li sur les premiers Coréens installés en France depuis les années 1920, dont son père. C’est une manière de voir l’histoire franco-coréenne par sa diaspora. Nous publions aussi un roman de type fantasy historique d’une jeune auteure, Hélène Casado,
Notre pays, qui est le premier tome de la trilogie
le Cycle d’Imjin. Il se déroule pendant les guerres coréano-japonaises du XVIe siècle, dans lesquelles une jeune femme du XXIe siècle se trouve plongée par un grand mystère… Haletant ! Nous avons réédité un livre de cuisine,
Piquant, pas piquant, de Song Jimin, qui offre des recettes de cuisine pimentées et douces pour les palais français. Et nous allons bientôt publier
Koguryŏ, un royaume d’Asie de l’Est, un bel essai illustré d’Olivier Baiblé et Ariane Perin sur ce royaume ancien : tous les textes qui nous en restent sont traduits avec une introduction à la culture du Koguryŏ. Tout cela avant juillet, puis dès septembre, nous aurons un autre programme très riche avec romans coréens, dictionnaire de caractères chinois, etc.
Les Vingt-et-un du Porthos, nouveau livre paru aux éditions l’Atelier des Cahiers. © Antoine Li
Notre pays, premier tome de la trilogie le Cycle d'Imjin paru aux éditions l’Atelier des Cahiers. © Hélène Casado
Avez-vous de nouveaux projets en Corée dont vous souhaiteriez nous parler ?
J’ai toujours des projets entre mon travail de chercheur, ma mission de conseiller, mes responsabilités d’éditeur, mon implication dans de nombreuses associations… L’idée générale est d’arriver à harmoniser tout cela pour créer des ponts entre ces différents domaines, ce qui est un de mes rêves. J’espère ainsi aider à faire comprendre au grand public coréen, mais aussi français l’importance d’une part des sciences humaines et sociales dans nos sociétés, mais aussi le rôle de l’interculturel dans notre monde hyperglobalisé.
Benjamin Joinau est le parfait exemple de quelqu’un qui crée des ponts entre la France ( et plus généralement les pays francophones) et la Corée, la preuve en est, il est également lauréat du prix culturel France-Corée et citoyen d'honneur de la ville de Séoul !
Et je ne serais pas complète si j’omettais de dire qu’il est aussi Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres en France !
Nous lui souhaitons le meilleur pour tous ses projets à venir !
Benjamin Joinau lors de la cérémonie de remise du prix de citoyen d'honneur de la ville de Séoul. © Benjamin Joinau
Informations complémentaires :
- Site Web personnel de Benjamin Joinau :
www.benjaminjoinau.com
- Le site de l’Atelier des Cahiers :
www.atelierdescahiers.com
- L’Atelier des Cahiers a des pages et comptes Facebook, Instagram et Twitter.
Interview réalisée avec Benjamin Joinau par téléphone le mardi 9 mai 2023.
* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.
caudouin@korea.kr