Par la journaliste honoraire de Korea.net Nicole Bergeaud de France
Lorsque j'ai appris que la Première dame coréenne Kim Keon Hee venait de rencontrer la très respectée Jane Goodall (anthropologue britannique et grande militante de la cause animale), au moment où une nouvelle loi visant à abolir la consommation de viande de chien était présentée à l'Assemblée nationale à Séoul, je me suis dit que c'était le moment de faire des recherches sur ce sujet délicat et polémique.
Je vous partage ici ce que j'ai appris, sans prendre parti.
La Première dame Kim Keon Hee et Jane Goodall au jardin d’enfants de Yongsan à Séoul, le 7 juillet 2023. © Bureau présidentiel
Est-ce que le kimchi est un effet de mode ? Si oui, cela fait des siècles que c’est à la mode. Car cela fait plus de 3 000 ans… et c’est au 18e siècle que le kimchi devient rouge avec l’ajout de la poudre de piment.
Tout en reconnaissant la diversité culturelle, Jane Goodall a souligné l’importance de travailler à mettre fin à la culture de la consommation de viande de chien. La Première dame a exprimé son engagement et sa confiance dans l’abandon de la consommation de cette viande par la Corée du Sud. Selon le bureau présidentiel, elles ont échangé leurs points de vue sur les droits des animaux et la question controversée de la consommation de viande de chiens. « Grâce aux travaux du docteur Goodall, j’ai appris que les animaux ont des émotions, tout comme les humains », a déclaré la Première dame. « En vivant avec mes chiens et chats adoptés, ma compréhension des animaux et de la vie s’est approfondie. »
Est-ce une coïncidence ? Au même moment, Han Jeoung-ae, une membre élue de l'opposition à l'Assemblée nationale, a présenté le 29 juin un projet de loi visant à en finir avec l'élevage et l'abattage de chiens destinés à la consommation humaine en interdisant les fermes, les abattoirs et la vente de viande de chien dans toute la Corée du Sud. Elle a déclaré que cette viande ne cause pas seulement des souffrances inutiles aux animaux, elle menace également la santé publique en raison des conditions d'hygiène dans lesquelles ces animaux sont élevés.
Cette loi prévoit aussi de soutenir les éleveurs de chiens à démarrer une nouvelle activité. Cette aide à la reconversion est une des pistes étudiées par les autorités pour essayer de garantir un avenir aux éleveurs des plus de 1 000 exploitations à travers le pays. Ces dernières semaines, ces derniers ont organisé des manifestations pour s’opposer à l’interdiction, une mesure qu’ils jugent discriminatoire mais qui semble soutenue par une majorité de Sud-Coréens.
Han Jeoung-ae a élaboré le projet de loi en coordination avec l’organisation caritative internationale
Humane Society International (HSI), qui a fermé 18 fermes en Corée du Sud depuis 2015 dans le cadre de son programme Models for Change et a trouvé des foyers pour plus de 2 700 chiens aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas.
Sauvetage de chiens dans une ferme. © Humane Society International
Borami Seo, directrice des affaires gouvernementales chez HSI Corée, a déclaré : « c'est un jour historique pour le bien-être animal en Corée du Sud qui, espérons le, marque le début de la fin pour l'industrie de la viande de chien dans notre pays. Il est clair qu'il existe un élan sociétal et politique important pour y mettre fin une fois pour toutes. La consommation de viande de chien fait peut-être partie du passé de la Corée, mais elle n'a pas sa place dans notre avenir ».
D’après HSI, l’interdiction totale de l’élevage et de l’abattage de chiens destinés à la consommation humaine entrerait en vigueur cinq ans après l’adoption de la loi…
Sauvetage de chiens par l'association Humane Society International. © Lee Jae-Won pour Humane Society International
C'est un tabou chez les jeunes générations, la pression des associations de défense des animaux est de plus en plus forte mais la viande de chien est toujours consommée de manière légale à ce jour grâce à une « zone grise » sur le plan législatif dans le domaine de l’abattage et du commerce des chiens, auquel les lois d’hygiène ne s’appliquent pas. Elle n'interdit pas explicitement l'abattage de chiens à des fins alimentaires mais « interdit la mise à mort brutale d'animaux ». En clair, la loi n'interdit pas d'en manger. Petit rappel des dates importantes qui ont marqué la lutte pour le changement.
En 2018, Taepyeong-dong, le plus grand abattoir de chiens, situé à Seongnam au sud de Séoul, est fermé. Pareil pour le marché de viande de chien, le tristement célèbre Moran Market à Séoul… mais en 2019 on en trouvait encore au marché de Gyeongdong, le grand marché traditionnel près de Dongdaemun. Le marché a fermé depuis. Je vous épargne les détails horribles de la vie et de la mort de ces pauvres bêtes (vous pouvez aisément trouver des photos et des vidéos en ligne…). La cruauté humaine est sans limite et malheureusement la Corée n’en a pas l’exclusivité.
Pour être juste, la Corée du Sud n’est pas non plus le seul pays d’Asie à consommer ce type de viande (les Philippines et la Thaïlande l’ont interdit, mais la Chine, le Vietnam et l’Indonésie sont loin devant en terme de consommation). Par contre la Corée du Sud est le seul pays qui élève intensivement des chiens destinés à la consommation humaine.
Mais pourquoi et depuis quand mange-t-on cette viande en Corée ?
Vers la fin de la dynastie Goryeo (918-1392) quand la consommation de viande de bœuf fut interdite parce que la religion d'État était bouddhiste. La viande de chien fut introduite par les Khitans réfugiés nomades, un peuple voisin des Mongols. Ils furent assimilés plus tard pendant la dynastie Joseon, comme bouchers appelés Baekjeong, l’avant-dernière classe, la plus basse, juste avant les esclaves, des sortes d'intouchables.
Le livre d'un érudit du nom de Hong Seok-mo écrit en 1849 comprend une recette de Bosintang (보신탕) une soupe contenant de la viande de chien, de l'oignon vert et de la poudre de piment rouge. Cette recette est restée dans la culture coréenne et certains choisissent encore de la manger lors de Sambok (삼복) la fête traditionnelle célébrant les trois jours les plus chauds de l'été définis par le calendrier lunaire. À cette occasion aujourd'hui, les Coréens mangent plutôt du Samgyetang (삼계탕) une soupe de poulet au ginseng. Ces plats sont particulièrement appréciés particulièrement par les hommes d'un certain âge pour leurs vertus soi-disant revigorantes.
L'ex-président sud-coréen Moon Jae-in présentait en 2017 son chien Tori adopté auprès de l'association CARE. © Compte Facebook du gouvernement de Moon Jae-in
L’adoption par le président Moon fut considérée comme un message fort. Un message d'autant plus fort que les chiens noirs ne sont pas très bien vus en Corée… Tori a attendu deux ans avant de trouver son maître. Une vie bien différente de celle de l'adorable chien de l'actrice Son Ye Jin.
© Compte Instagram de Son Ye Jin
Mon propos aujourd’hui n’est pas de juger une culture très différente de la nôtre. N’oublions pas qu’en Occident sont consommés chaque année des centaines de millions de vaches, de porc, de lapins ou de chevaux (mets impensables dans d’autres cultures) élevés pour beaucoup dans des conditions très discutables. En faisant mes recherches, j’ai même découvert que pour des raisons de pénurie alimentaire, suite à la guerre franco-allemande de 1870, on mangeait du chien à Paris jusqu'au début du 20e siècle.
Personnellement je salue tous les efforts faits en Corée du Sud pour changer les choses et créer un monde moins cruel pour les animaux.
« La grandeur d’une nation et son progrès moral peuvent être jugés par la façon dont ses animaux sont traités » dixit Mahatma Gandhi.
Liens utiles
Pour adopter un animal :
https://www.la-spa.fr/adoption/
* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.
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