Journalistes honoraires

29.04.2025

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Au sommet de Baegundae. © Moon Song Min

Au sommet de Baegundae. © Moon Song Min



Par Emmanuelle Fourneyron

Baegundae est le sommet le plus haut des montagnes de Bukhansan qui s’étendent sur 80 km² au nord de Séoul. Échappatoire au béton et à l’agitation urbaine, facilement accessible en métro, le parc national de Bukhansan attire chaque année plus de cinq millions de visiteurs. Sillonné de nombreux chemins de randonnée, d’une muraille-forteresse du début du 18e siècle et de plusieurs monts, ces montagnes ne manquent pas d’activités. Mais la plus populaire reste, de loin, l’ascension du pic Baegundae, à 836 mètres. Rares sont ceux en effet qui viennent à Bukhansan sans faire l’ascension de ce sommet et se prendre en photo au pied de son célèbre drapeau. Je m’y suis moi-même rendue à plusieurs reprises : Baegundae est un lieu puissamment attractif, qui occupe une place à part dans la vie des Séouliens !

Au sommet de Baegundae. © Emmanuelle Fourneyron

Au sommet de Baegundae. © Emmanuelle Fourneyron


Séoul est née de la montagne Bukhansan

Aujourd’hui, Bukhansan et Baegundae sont surtout des lieux de randonnée de loisir. La randonnée fait en effet partie des activités favorites des Coréens, pour qui les montagnes sont devenues des lieux de détente et d’activités physiques, permettant de se maintenir en forme et de s’oxygéner au milieu des arbres et surtout d’échapper un peu à la ville. Ainsi, nombreux sont les Séouliens de tous âges, qui se rendent à Bukhansan généralement en fin de semaine, équipés de la tête au pied d’une tenue de randonnée, assortie d’un bon pique-nique ! Leur bonne humeur est contagieuse, leur sens de l’accueil et du partage aussi : j’aime cette atmosphère. Il règne une ambiance particulière sur les chemins de randonnée en Corée, entre convivialité et attitude de respect envers la montagne.

Car l’attachement des Coréens à la randonnée tient sans doute plus qu’à la simple activité physique ; il puise dans une longue tradition millénaire où les montagnes ont façonné le patrimoine tant naturel que culturel coréen. La topographie de la Corée est dominée par des chaînes de montagnes qui couvrent environ 70 % du territoire, façonnant le paysage, influençant profondément les modes de vie locaux tout autant que l’art. Les peintures traditionnelles représentent ainsi très souvent des paysages montagneux. L’architecture et l’habitat traditionnel aussi ont été pensés selon les règles du « pungsu », c’est-à-dire la géomancie qui étudie la forme des montagnes et leur attribue différentes énergies (feu, terre, métal, bois, eau) qu’il ne faut pas contrarier. Le site-même de Séoul a été choisi en 1360 parce qu’il conjuguait presque parfaitement les énergies de la montagne et de l’eau . En ce sens, on peut dire que Séoul est née de la montagne Bukhansan ! De même, le principal palais royal de Séoul, le palais Gyeongbokgung, fut construit adossé à cette montagne, afin que le flux bénéfique qui en émanait puisse traverser la salle du trône avant de baigner la ville.

Dans les croyances ancestrales, les montagnes sont des lieux sacrés où vivent les divinités. Elles ont également toujours eu une signification spirituelle profonde, considérées comme un lieu de communication avec le divin. C’est la raison pour laquelle il est d’ailleurs interdit d’y construire, livrant jusqu’à aujourd’hui des espaces naturels et une biodiversité préservés. C’est aussi la raison pour laquelle on trouve des temples bouddhistes et des sanctuaires shamaniques dans la plupart des montagnes de Corée. Selon ces croyances, chaque montagne a un esprit, appelé « Sanshin ». Les Sanshin sont le symbole de la relation entre les hommes et les montagnes dans lesquelles ils vivent. Ces esprits sont toujours honorés de nos jours avec des cérémonies et des festivals organisés régulièrement. Si les monts Jirisan, au sud de la péninsule, sont considérés comme les plus sacrés de Corée, les temples bouddhistes et les sanctuaires shamaniques ne manquent pas sur les pentes des monts Bukhansan. Au gré de mes randonnées, j’ai pu en découvrir plusieurs.

Temples bouddhistes sur le chemin de Baegundae. ©Moon Song Min Emmanuelle Fourneyron

Temples bouddhistes sur le chemin de Baegundae. ©Moon Song Min Emmanuelle Fourneyron


Baegundae, une ascension inoubliable qui offre une vue époustouflante sur tout Séoul

Comme tant d’autres avant moi, j’ai bien sûr voulu me rendre au sommet de Baegundae. Deux chemins principaux y mènent et se rejoignent juste avant la montée finale. Le versant ouest est un peu plus difficile que le versant est, mais les deux valent la peine. Et surtout, il est possible de monter d’un côté et de redescendre de l’autre, ce que je recommande ! Les deux chemins sont bien balisés et aménagés, comme souvent dans les parcs nationaux de Corée. Été comme hiver, il est fascinant de se retrouver, à peine à quelques encablures du centre de Séoul, au milieu de paysages de pics de granit, de forêts de pins et de ruisseaux de montagne !

Le chemin qui mène à Baegundae, depuis le versant est. © Emmanuelle Fourneyron

Le chemin qui mène à Baegundae, depuis le versant est. © Emmanuelle Fourneyron


Baegundae est particulièrement reconnaissable par la forme de certains des rochers, l’un qui s’apparente à un visage humain, l’autre à un canard. Mais ce qui fait la célébrité de Baegundae, c’est peut-être plus encore les 300 derniers mètres, classés rouge en terme de difficultés d’ascension, qui nécessitent de se tracter à l’aide de cordes métalliques solidement arrimés sur d’énormes rochers lisses et pentus : une sorte de parcours initiatique final, permettant d’accéder au sommet et de profiter d’une vue époustouflante sur l’étendue urbaine de Séoul !

Une ascension qui se mérite, une vue sur Séoul époustouflante ! © Emmanuele Fourneyron et Moon Song Min

Une ascension qui se mérite, une vue sur Séoul époustouflante ! © Emmanuele Fourneyron et Moon Song Min


Lorsque le soleil est de la partie, la vue sur l’horizon urbain semble presque infinie. Lorsque les nuages sont de sortie, on se retrouve au-dessus d’une mer de coton. Au printemps, la montagne se pare de fleurs. Au lever du soleil, le ciel se teinte d’orangé. Selon les jours, le temps et les saisons, Baegundae ne semble jamais tout à fait la même. Certains Coréens y vont d’ailleurs très régulièrement. Et la tradition veut qu’au 1er janvier, c’est aussi au sommet de Baegundae que les Séouliens se retrouvent, à l’aube, pour admirer le premier lever du soleil sur la nouvelle année.

Lever de soleil printanier à Baegundae. © Moon Song Min

Lever de soleil printanier à Baegundae. © Moon Song Min


L’émouvante histoire du drapeau de Baegundae

En haut de Baegundae, flotte le Taegeukgi, le drapeau national coréen. Les randonneurs qui accèdent à Baegundae le connaissent bien, eux qui font souvent la queue de longues minutes pour pouvoir se prendre en photo à ses pieds. Récemment, un ami coréen m’a transmis un article qui m’a beaucoup émue : il relate l’histoire de ce drapeau. J’ai été très surprise d’apprendre que celui-ci n'a pas été installé ni entretenu par les services du parc national. Depuis plusieurs décennies, ce sont de simples citoyens qui s’en chargent, par respect pour la montagne. Ainsi, en 1985, c’est un vendeur de souvenirs qui a construit lui-même un mât en bambou au sommet et commencé à hisser le drapeau. Et lorsque ses affaires ont commencé à décliner et que lui-même n’était plus assez en forme pour grimper au sommet tous les jours, c’est un autre randonneur anonyme, qu’il croisait fréquemment, qui a pris son relai en 2000. Depuis lors, ce dernier se rend à Baegundae régulièrement pour vérifier l'état du drapeau. S'il est décoloré ou déchiré, ce qui arrive en général trois fois par mois, il le remplace immédiatement par un nouveau, acheté avec son propre argent, lui qui a pourtant connu la misère et de grandes difficultés financières. Grimper une fois tous les trois jours, soit environ 100 fois par an pendant 25 ans ! Aucune autre des montagnes de Corée qu’il a escaladées ne vaut pour lui Baegundae, dont il dira qu’elle lui a apporté un sentiment de stabilité dans une vie difficile.
Le drapeau Taegeukgi flotte au sommet de Baegundae. © Moon Song Min

Le drapeau Taegeukgi flotte au sommet de Baegundae. © Moon Song Min


Pour ma part, je crois que l’ascension de Baegundae deviendra aussi mon « rituel », à chacun de mes passages à Séoul. Et ce qui est sûr, c’est que la prochaine fois que je monterai à Baegundae, je ne regarderai plus le drapeau de la même façon ! Je me souviendrai que c’est le dévouement et le respect d’un homme pour cette montagne, qui l’ont installé là, comme un magnifique et émouvant témoignage du lien indéfectible qui a toujours uni la Corée à ses montagnes et Séoul à Bukhansan.

Les photos de Moon Song Min sont à retrouver sur son compte Instagram.


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caudouin@korea.kr