Le programme d'échange auquel Héloïse Breuil a participé au camp Humphreys, à Pyeongtaek, le 9 juin 2025. © Héloïse Breuil
Par Nathalie Fisz
Il est des familles en France, qui de génération en génération, ont développé une affection particulière pour la Corée qu’elles portent dans leur cœur, et aussi dans leur chair.
Vingt-deux pays ont apporté une aide humanitaire ou militaire aux troupes du Sud, dont la France, lors de la guerre fratricide de Corée (1950-1953), laquelle sera commémorée le 27 juillet prochain (armistice de Panmunjeon du 27 juillet 1953).
Nous connaissons les faits d’armes du courageux Bataillon d’infanterie français de l'ONU (BF/ONU) créé en septembre 1950, sous le commandement du général Raoul Magrin-Vernerey, plus connu sous le pseudonyme de Ralph Monclar.
La République de Corée n’a pas oublié les vétérans et leurs familles et parmi elles, celle de Robert Breuil.
A l’occasion des Jeux olympiques de Paris 2024, j’ai fait plus ample connaissance avec une personne très impliquée au sein de la communauté franco-coréenne, Louisette Breuil.
Nous sommes allées ensemble à Fontainebleau qui accueillait l’équipe olympique de République de Corée.
Lors d’une entrevue avec Julien Gondard, maire de Fontainebleau, Judith Reynaud, son adjointe, et Thierry Mailles, sous-préfet de Fontainebleau, elle avait expliqué être membre de l’Association Nationale des Anciens et Amis des Forces Françaises de l’ONU (ANAAFF-Onu). Louisette Breuil avait également parlé de son conjoint Robert Breuil, aujourd’hui décédé, lequel a combattu pendant la guerre de Corée.
Elle est toujours restée proche des anciens combattants et active au sein d’associations (Echos de la Corée, Kowin, Racines coréennes…). Ses enfants Florence et Arnaud ont fait également un voyage mémoriel.
Aujourd’hui, une autre membre de la famille fait revivre la mémoire de ce vaillant combattant. C’est Héloïse, la petite-fille de Robert Breuil.
Héloïse est partie en Corée en juin dernier pour un camp d’échange entre jeunes descendants de vétérans, organisé par les Nations unies. Louisette, puis Héloïse, ont toutes deux répondu à mes questions.
Louisette Breuil (assise en bas à gauche) en 2023, à Arrowhead Hill, près de Cheolwon, dans le Gangwon, avec des membres de l'ANAAFF, la ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens Combattants de France, Patricia Miralles et l'ambassadeur de France en Corée, Philippe Berthoux. © Louisette Breuil
Nathalie Fisz : Quand et comment votre mari s’est-il engagé ?
Louisette Breuil : Il est né en 1930 et s’est engagé à 18 ans. Tous les vétérans étaient des volontaires. Lui voulait faire la guerre et avait des raisons personnelles et familiales. Comme pour beaucoup, les raisons étaient multiples et pas forcément semblables.
Avait-il des camarades et combien de temps est-il resté en Corée ?
Il ne connaissait personne et est resté en Corée d’avril 1952 à juillet 1953. Avant d’embarquer sur la Marseillaise en mars 1952, il a rejoint le camp d’Auvours dans la Sarthe, a débarqué au Japon début avril 1952, puis à Busan le 10 avril 1953. Il est revenu en France sur le Félix Roussel pour débarquer à Marseille le 25 août 1953.
Où a-t-il combattu et comment a-t-il entretenu sa mémoire de combattant ?
À Arrowhead Hill, en octobre 1952 où ont eu lieu des combats très violents, et T-Bone Hill (deux lieux situés à Cheolwon, dans le Gangwon, près de la frontière avec la Corée du Nord, ndlr). Il est revenu après signature de l’armistice. Nombre de ses camarades sont décédés. Ceux qui sont encore là aujourd’hui ont plus de 90 ans. Il a assisté aux cérémonies, et fait des voyages avec l’association, en France, en Corée, aux États-Unis.
Quand êtes-vous entrée à l’ANAAFF ONU et allée en Corée ?
J’ai adhéré à l’association dès mon premier voyage en Corée en 2007 avec mon mari. Nous étions très nombreux de l’ANAAFF et avons inauguré le monument de Crèvecoeur, le cimetière international de l’ONU à Busan, visité le mémorial de la guerre de Corée et d’autres sites sur le chemin de mémoire.
Je suis allée en Corée avec lui, en 2007, 2010, 2014, puis en 2023 pour le 70e anniversaire de la signature de l’armistice. Nous étions accompagnés par Mme Patricia Miralles, ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens Combattants de France, et M. l’Ambassadeur Philippe Bertoux. Mes enfants sont allés en Corée en 2008.
Qui sont vos amis anciens combattants ?
Nous avions de nombreux amis anciens combattants. La plupart sont décédés. André Datcharry, disparu il y a peu faisait partie de mon dernier voyage avec Françoise, sa fille. L’adjudant-chef Jacques Grisolet, Grand-Croix de la Légion d’honneur est également décédé. Je suis en contact avec des veuves d’anciens combattants.
Quelles sont les commémorations auxquelles vous assistez ?
J’assiste à la cérémonie devant le monument de Corée à Paris, chaque 25 juin (anniversaire du début de la guerre). En octobre, se tient l’assemblée générale de l’ANAAFF. Nous nous rendons à l’Arc de Triomphe déposer des gerbes et raviver la flamme.
Comment avez-vous organisé le voyage de votre petite-fille Héloïse ?
Le ministère coréen des Patriotes et des Anciens combattants, via l’ambassade de Corée à Paris transmet les invitations à notre association. J’en ai parlé à Héloïse qui a été partante de suite.
Qu’avez-vous ressenti en la voyant sur place ?
J’ai été très fière et émue qu’elle aille sur les traces de son grand-père, avec d’autres descendants de vétérans de nombreux pays ayant participé à la guerre, et qu’elle fasse connaissance avec ce pays. Je vais à présent lui laisser la parole.
Héloïse en visite au Wall of Remembrant du War Memorial of Korea le 7 juin 2025. © Héloïse Breuil
Nathalie Fisz : Peux-tu te présenter ?
Héloïse Breuil : J’ai 18 ans et suis en terminale générale avec spécialités mathématiques et sciences économiques et sociales (SES). Je souhaite faire des études en finance. J’ai toujours voulu voyager en Asie. Je suis consciente depuis petite que mon grand-père a fait la guerre de Corée et qu’il faisait des voyages mémoriels souvent avec ma grand-mère. Je souhaitais y participer.
Quand es-tu partie en Corée et comment se nommait le programme ?
Je suis partie le 5 juin de France, suis arrivée le 6 en Corée. Je suis revenue en France le 12 juin. Le nom de mon programme de séjour était 2025 UN Sending States Descendants Exchange Camp. C’est un camp d’échange entre descendants de vétérans organisé par les Nations unies.
Ma grand-mère m’a toujours parlé d’un programme envoyant en Corée les descendants de vétérans et j’ai toujours souhaité y participer. À ma majorité, j’ai demandé à ma grand-mère quelles étaient les démarches à suivre. L’ambassade de France en Corée avait envoyé un mail aux membres de l’association des anciens combattants. J’ai répondu au mail, et j’ai pu faire partie de cet échange mémoriel.
Quel a été le déroulé de ton séjour ?
Nous sommes restés quatre jours à Séoul, et deux à Busan. Le 6 juin j’ai rencontré les autres jeunes de multiples nationalités qui faisaient l’échange comme moi. Nous parlions en anglais. Il y a eu une présentation du programme et une répartition des étudiants en groupes.
Le 7 juin, nous sommes allés au mémorial de la guerre de Corée, déposer des fleurs sur les édifices des pays respectifs en fonction de notre nationalité. Nous avons effectué une visite guidée, puis sommes passés devant les murs où sont inscrits les noms de tous les soldats morts au combat.
Nous avons pris le car pour Paju, visiter le le 3e tunnel d'infiltration (3rd Infiltration Tunnel) de la DMZ qui était très impressionnant. Nous avons porté des casques car le tunnel est creusé dans la roche et qu’il n’est pas haut, et avons descendu environ 400 mètres avant d’avoir un sol plat.
Au bout du tunnel nous avons pu apercevoir une infime partie du paysage nord-coréen. C’était très silencieux, humide et une partie d’entre nous rencontrait des difficultés à respirer. Nous avons repris le car pour le Dora Observatory situé au sommet de Dorasan, il offre une vue panoramique sur la zone démilitarisée, nous avons eu une vue sur la frontière, et la Corée du Nord.
Héloïse à gauche avec ses camarades de séjour et Oh Se-hoon, maire de Séoul, sur la place Gwanghwamun, le 8 juin 2025. © Héloïse Breuil
Nous sommes ensuite retournés à Séoul pour un festival musical au parc olympique et avons participé à un défilé de mode par nationalité (moi la France).
Le 8 juin, nous avons été reçus par le maire de Séoul Oh Se-hoon sur la place Gwanghwamun. Il a présenté une maquette du jardin de la gratitude, qui ouvre prochainement. Nous sommes allés au palais de Gyeongbokgung, puis nous choisir un hanbok, puis au marché à Ikseon-dong et au marché Gwangjang. Nous avons ensuite visité le musée national de Corée, traversé le pont Hangang, fait des photos dans une cabine avec des amis, et visité le palais Deoksugung.
Le 9 juin, nous avons pris le car jusqu’au camp Humphreys (à Pyeongtaek, dans la province du Gyeonggi). Un militaire a présenté le camp, ainsi que l’histoire et l’importance du rôle des États-Unis durant la guerre de Corée et celui des Nations unies. Un militaire à la retraite, directeur du musée, a présenté le musée 2ID, situé près du camp, et raconté son histoire personnelle. J’ai remarqué que la France était représentée de nombreuses fois notamment à travers des biographies (comme celle de Raoul Magrin Vernerey, le général Monclar). Des entreprises coréennes ont présenté leurs activités, comma la Korean Veterans Health Services.
Le 10 juin, nous sommes partis rejoindre Busan. Nous avons marché sur la plage et avons réalisé des marques pages incrustés de nacres najeonchilgi, qui est l’artisanat coréen en nacre décorative.
Le 11 juin, chaque équipe a présenté son projet consistant à trouver un moyen de ne pas oublier l’histoire de la guerre de Corée et celle des vétérans. Mon équipe a choisi un projet sous forme d’exposition interactive et sensorielle avec plusieurs salles retraçant une partie de l’histoire. La première salle mettait le contexte avec une ambiance normale et une lumière et températures moyennes, la seconde salle représentait la guerre, une pièce très sombre avec effets sonores (tirs…) et des températures plus froides. La troisième salle était la salle avec les histoires et anecdotes personnelles de certains combattants dont mon grand-père Robert Breuil. Nous avons réalisé un plan 3D et obtenu la 3e place du concours sur 12 équipes.
Nous sommes ensuite allés au mémorial de la paix des Nations unies où de jeunes enfants ont chanté. Nous avons visité, puis marché à travers le cimetière national des Nations unies et observé une minute de silence.
Une visite au cimetière des Nations unies de Busan, le 11 juin 2025. © Héloïse Breuil
Qui étaient les participants ?
Nous étions une centaine de participants de Corée et du monde entier : Canada, Colombie, Danemark, États-Unis, Philippines, Turquie… J’ai échangé avec beaucoup de personnes. Nos conversations portaient sur la guerre (ce que nos grands-parents/arrières grands-parents faisaient) et sur nos études. Des liens se sont créés et j’ai sympathisé avec plusieurs amies.
Qu’as-tu appris pendant ton séjour ?
J’ai plus pris conscience de ce que mon grand-père a vécu en Corée. J’ai beaucoup appris, notamment sur les actions des Nations unies, et les différentes batailles effectuées par le bataillon français, leurs conditions de vie, etc. Nous avions tous un rapport avec la guerre de Corée, et chaque personne rencontrée avait une histoire ou quelque chose d’important et intéressant à ajouter à ce que je connaissais déjà sur le sujet. C’était un séjour très enrichissant et je ne regrette pas.
Quels sont tes projets ?
Je souhaite retourner en Corée avec le même cadre et refaire ce programme. J’aimerais également y retourner avec mes amis pour visiter le pays et leur faire découvrir la culture. Et j’aimerais aussi y retourner pour revoir mes amis coréens.
Héloïse avec ses camarades de séjour visitant le palais de Gyeongbokgung, le 8 juin 2025. © Héloïse Breuil
Quelques mots encore
Ainsi, j’ai eu le plaisir d’aller à la rencontre de cette jeune fille tout juste majeure, qui vient de réussir ses épreuves du baccalauréat. Une jeune fille de son temps, qui comme l’explique sa grand-mère, pratique le football dans l’équipe de Nogent-le-Roi. Une jeune fille qui à l’instar de sa famille avant elle, honore la mémoire de son grand-père Robert Breuil, ancien combattant du bataillon français de l’ONU en Corée.
Présents partout à travers le monde, les journalistes honoraires de Korea.net ont pour mission de faire connaître et partager leur passion de la Corée et de la culture coréenne au plus grand nombre.
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