Journalistes honoraires

24.11.2025

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Affiche de l'Association des résidents coréens en France pour le voyage à Suippes du 11 novembre 2025. © Association des résidents Coréens en France

Affiche de l'Association des résidents coréens en France pour le voyage à Suippes du 11 novembre 2025. © Association des résidents Coréens en France



Par Nathalie Fisz

Le 11 novembre est une journée qui au demeurant peut sembler un peu pesante, car elle très chargée en émotions. Des jeunes gens s’y intéressent également et assistent aux commémorations. Ils veulent comprendre ce qui s’est passé, ou bien ils ont de la famille concernée par les évènements.

On célèbre l'armistice signé le 11 novembre 1918. Il ne s’agit pas de la fin de la première guerre mondiale (1914-1918) mais d’une cessation des combats. La guerre s’est terminée officiellement avec le traité de paix signé à Versailles le 28 juin 1919.

En Corée, des commémorations sont célébrées le 11 novembre, notamment en l’hommage des soldats des Nations Unies ayant participé à la guerre de Corée. D’autres commémorations tout aussi importantes ont lieu également le 11 novembre, dans une ville de France, à Suippes, une commune française du département de la Marne, en région Grand Est. Que s’est t-il passé exactement à Suippes au sortir de la Première guerre mondiale ? Dans quelles circonstances des citoyens coréens ont-ils parcouru des milliers de kilomètres pour venir là ?

Invitée par l’Association des résidents coréens en France (ARCF), Céline Ristors, présidente d’honneur de Racines coréennes, s’est rendue cette année encore à Suippes. Elle a rencontré des descendants de poilus, ainsi que des descendants de résistants coréens. Elle nous raconte.

Des coréens exilés qui ont reconstruit la France

Le doctorant Lee Jang-Kyu a consulté les archives du ministère français des Affaires étrangères et s’est intéressé à leur histoire. À l’occasion d’une étude très intéressante publiée en 2019, il explique que pendant que le gouvernement provisoire coréen, en exil dans la concession française de Shanghai a cherché à obtenir des contrats de travail auprès des ministères étrangers du Travail et des Affaires étrangères afin de se financer, notamment en France, où il faut de la main-d'œuvre pour nettoyer les champs de bataille. Une trentaine d’ouvriers coréens sont ainsi arrivés à Suippes le 19 novembre 1919 et gagneront 6 000 francs de l’époque pour financer le mouvement indépendantiste. Dans les archives de Châlons-en-Champagne, il est bien indiqué que leur nationalité indiquée est coréenne, ce qui confirme qu’ils étaient indépendantistes. Ils fêtent à Suippes le premier anniversaire de la déclaration d’indépendance du 1er mars 1919.

Leur rôle

Certains coréens étaient terrassiers, manœuvres selon le registre de la police conservé aux archives de la Marne. Ils vont reconstruire et nettoyer les champs de bataille : enlever les obus, la ferraille, rassembler et trier les morceaux de cadavres, déplacer les tombes provisoires de soldats, et participer à la construction des cimetières militaires. Ils créent la première association des Coréens en France en 1919 dirigée les six premiers mois par un étudiant, Heo Jeong (1896-1988), qui deviendra en 1950 premier ministre de la République de Corée dirigée par Syngman Rhee.

À la fin de leur contrat de travail, certains d’entre eux deviennent étudiants. Un bon nombre part pour les États-Unis comme Heo Jeong ou Ra Ki-Ho, un étudiant qui a écrit ses mémoires où il parle de Suippes. L'inscription dans le registre d’état civil de la mairie de Suippes de la naissance de la petite Georgette Lee, le 17 avril 1924, atteste de la présence de Coréens jusqu’à cette date.

Un pan important de l’histoire de l’amitié entre la France et la Corée

Le maire de Suippes, François Collard, rend hommage à ces 35 Coréens. À la fin de la Première Guerre mondiale, le bourg est considéré comme détruit et est décoré en 1920 de la Croix de Guerre 1914-1918. François Collard est très soucieux de recevoir avec honneur chaque 11 novembre, une délégation coréenne qui vient se recueillir, en renforçant ce lien culturel et mémoriel entre les deux nations.

Jean-Jacques Hong Fuan, fils de Hong Jae-ha, résistant coréen venu à Suippes en 1919. © Céline Ristors

Jean-Jacques Hong Fuan, fils de Hong Jae-ha, résistant coréen venu à Suippes en 1919. © Céline Ristors


Parmi la délégation il y a aussi des descendants de résistants coréens, dont un résistant coréen réfugié à Suippes : Hong Jae-ha.

Racines coréennes rend hommage au résistant Hong Jae-ha (1892-1960), un des premiers Coréens en France en 1919 qui a aidé à reconstruire la région dévastée et a aidé à la création de la première association coréenne en France.

Le 11 novembre 2022, il y a eu une cérémonie de rapatriement des cendres de Hong Jae-ha en Corée. Jean-Jacques Hong Fuan, consul honoraire de la République de Corée en France, et fils de monsieur Hong, a déclaré : « En 1919, la Corée était sous domination japonaise. Le pays s’est soulevé, mais ce mouvement pacifique a été réprimé par le Japon. Mon père, résistant, a dû quitter la Corée. À Suippes, il faisait figure de leader parmi les trente-cinq coréens venus participer à la reconstruction. » Cette cérémonie de 2022 a permis de rendre hommage aussi à ses compagnons.

Céline Ristors, nourrie d’une double culture française et coréenne, s’était rendue à Suippes en 2022, alors qu’elle était présidente de Racines coréennes. Elle avait déjà très dignement représenté l’association prenant la pleine mesure des événements qui avaient eu lieu sur place, plus de cent ans auparavant. Elle y est retournée cette année.

Céline Ristors avec une amie coréenne ainsi qu'avec Andréa Sereno, descendant de poilu et des porte-drapeaux, à Suippes, le 11 novembre 2025. © Céline Ristors

Céline Ristors avec une amie coréenne ainsi qu'avec Andréa Sereno, descendant de poilu et des porte-drapeaux, à Suippes, le 11 novembre 2025. © Céline Ristors


Nathalie Fisz : Quand es-tu partie à Suippes pour la première fois ?

Céline Ristors : Je me suis rendue à Suippes pour la première fois le 11 novembre 2022. Je ne connaissais pas cette ville dont la devise est « pax lana et aratro » (ce qui signifie la paix par la laine et de la charrue). Nous avons été très bien accueillis par le maire de Suippes, François Collard, son équipe et les Suippas et je n’oublierai jamais cette journée forte en émotions.

À la demande de quelle institution es-tu partie ?

C’est M. Song An-Sik, président de l’ARCF qui m’avait invitée en tant que présidente de Racines coréennes. M. Song m’avait demandé de tenir le rôle de maîtresse de cérémonie de l'événement spécial de cette année 2022 Il s’agissait du rapatriement des cendres de Hong Jae-ha, l’un des premiers coréens en France qui a lutté pour l’indépendance de la Corée. J’ai été honorée par sa proposition et j’ai accepté ce rôle que je n’avais jamais tenu en me demandant si je serais à la hauteur.

Avec qui es-tu partie cette année ?

Cette année, c’est en tant que membre du Conseil d’administration de l’ARCF que je suis retournée à Suippes, invitée cette fois par M Kim Jong-hee, le nouveau président de l'association. Ma fille qui m’avait accompagnée en 2022, m’a accompagnée encore cette année. L’ARCF avait invité la communauté coréenne et c’est une troupe d’une quarantaine de personnes qui a fait le trajet en bus au départ du 15e arrondissement parisien, le matin à 6h30 précises. Sur place, des représentants de l’ambassade étaient également présents ainsi que des anciens légionnaires coréens. Je représentais également Racines coréennes.

Quel a été le programme de cette année ?

Nous avons assisté à des défilés militaires et des discours de commémorations. Nous avons visité le cimetière militaire de Suippes et déposé des gerbes. Nous étions conviés à un vin d’honneur à la médiathèque, puis nous avons visité le musée 14-18 de Suippes. Nos visites ont été suivies d’un déjeuner franco-coréen accompagné de vin. Puis nous avons visité Perthes-lès-Hurlus et La Main de Messiges, qui est un site de tranchées et un musée en plein air. À cet endroit, deux millions d’hommes ont passé une année à s’entretuer, et cinq villages, dont Perthes-lès-Hurlus, ont disparu.

Discours du maire de Suippes, François Collard, en l'honneur des coréens de Suippes et au nom de l'amitié franco-coréenne, le 11 novembre 2025. © Céline Ristors

Discours du maire de Suippes, François Collard, en l'honneur des coréens de Suippes et au nom de l'amitié franco-coréenne, le 11 novembre 2025. © Céline Ristors


Parle-nous du jeune homme descendant de poilu que tu as rencontré ?

Il s’agit d’Andréa Sereno (il a environ 18 ans je crois), c’est l’arrière arrière petit-fils de Joseph Sereno, poilu Niçois. Son bel habit de poilu bleu dénote son intérêt pour son ancêtre Joseph également poilu . Avec ses parents, Frédéric et Anne, ils ont fait le trajet depuis Nice pour honorer la mémoire de Joseph. Joseph a été appelé sous les drapeaux le 16 novembre 1904, puis renvoyé dans ses foyers en 1907 comme soutien de famille, pour bonne conduite. Mais il a été appelé le 2 août 1914, au début de la Grande Guerre, et affecté au 174e régiment d’infanterie en juin 1915. D’après les recherches de Frédéric, il aurait été blessé le 7 octobre 1915, lors des combats autour de la ferme de Navarin, pendant la bataille de la Marne, un lieu où il ne reste plus rien, comme tant d’autres villages. Joseph est mort de ses blessures le 8 octobre 1915. Cette rencontre était très émouvante et je suis ravie de parler de la famille Sereno.

Parle-nous également de Jean-Jacques Hong Fuan ?

Jean-Jacques Hong Fuan n’est autre que le fils de Hong Jae-Ha, le célèbre résistant coréen. C’est un homme charmant et d’une grande gentillesse.Je l’ai rencontré pour la première fois en 2022, puis j’ai eu le plaisir de le revoir à Paris lors d’un évènement organisé par l’Ambassade de la République de Corée en France. Nous étions assis côte à côte et j’ai pu mieux le connaître. Quand il m’a expliqué qu’il n’avait encore jamais appris le coréen, je lui ai donc proposé de rejoindre le cours de coréen en ligne organisé par Racines coréennes. Il a appris à lire et à écrire le coréen avec nous et j’en étais ravie ! Le 11 novembre dernier, c’est avec une grande émotion qu’il a reçu la citoyenneté d’honneur de la ville de Yongpyang, dans le Gangwon, ville de naissance de son père.

Quel était le ressenti des visiteurs coréens ?

Ils apprécient beaucoup ce lien entre la Corée et Suippes. La ville de Suippes leur réserve un accueil toujours bienveillant et n'oublie pas les coréens qui ont aidé à reconstruire la région dévastée dans des conditions difficiles. Une stèle coréenne a même été érigée devant la médiathèque en 2019, en mémoire aux premiers coréens : « Longue vie à l’amitié Franco-Coréenne ! ». Cette fraternité est palpable et elle réjouit les cœurs.

Quel est ton triste constat ?

Les Coréens ont connu les horreurs de la guerre durant la guerre de Corée (1950-1953), et comprennent les souffrances endurées par les soldats et leurs familles. Tant de vies perdues, de familles déchirées, de gueules cassées (je fais référence à l'Union des Blessés de la Face et de la Tête, UBFT, Les Gueules Cassées), c’est une douleur universelle qui n’a pas de langage. Il est pour moi triste de constater que des guerres ont encore lieu dans notre monde aujourd’hui, malgré le souvenir douloureux des guerres précédentes.

Quel est ton message d’espoir ?

Il est important de se souvenir et de rendre hommage aux personnes qui ont donné leur vie pour protéger leur pays. C’est bouleversant de constater qu’en parlant de mort, en vient à la vie. Il est de notre devoir de célébrer la vie au quotidien, de profiter de l’instant présent et de la liberté dont nous jouissons aujourd’hui. C’est en parlant de guerre qu’on en vient à la PAIX (je l’écris volontairement en majuscule). Ce concept pourrait sembler illusoire au vu des guerres actuelles et pourtant, nous pouvons y croire, tous ensemble, créer un monde meilleur pour les générations futures. Chaque petit geste, ou parole bienveillante a une portée non négligeable. Il existe également des associations et des organisations qui contribuent à la paix par l’entraide, le soutien, la solidarité, et cela donne de l’espoir.

Veux-tu ajouter quelque chose ?

En rentrant de Suippes j’ai contacté mon amie Nathalie qui m’a parlé du film Cheval de guerre de Steven Spielberg et qui se déroule pendant la Première guerre mondiale. Je l’ai regardé le 11 novembre au soir, dans le prolongement de ma visite à Suippes. J’ai beaucoup aimé ce film qui rend notamment hommage aux millions de chevaux sacrifiés durant la première guerre mondiale. Je vous conseille de regarder ce film si vous ne l’avez pas encore fait. C’était une belle façon pour moi de clore cette journée du 11 novembre avec espoir car le film se finit bien.

Quelques mots encore

Il y a actuellement une exposition au Centre culturel coréen de Paris intitulée « Chemin vers la paix ». Avec Céline, nous sommes d’accord sur le fait que même si les commémorations sont souvent fastueuses et prestigieuses, ce n’est pas de la guerre dont il faut se souvenir. La journée commémorative de Suippes forge l’amitié entre la France et la Corée. En se rendant sur place, Céline emprunte elle aussi le chemin vers la paix.

La stèle commémorative de Suippes érigée en l'honneur des 35 Coréens venus aider à reconstruire la France. © Céline Ristors

La stèle commémorative de Suippes érigée en l'honneur des 35 Coréens venus aider à reconstruire la France. © Céline Ristors



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