Par Pierre-Emmanuel Roux
Maître de conférences à l’Université de Paris
La fête des lanternes inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco
Le 16 décembre 2020, l’Unesco a inscrit la fête des lanternes sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, sur proposition de la République de Corée. Cette « fête des lanternes allumées », selon la traduction littérale du coréen Yeondeunghoe, est célébrée chaque année dans l’ensemble du pays, le 8e jour du 4e mois lunaire, autrement dit courant mai. Rite religieux commémorant la naissance du bouddha historique (Sakyamuni), l’événement est devenu au fil du temps une sorte de grand festival du printemps ouvert à tous, bouddhistes comme non croyants. Notre article se propose de retracer son histoire sinueuse jusqu’à nos jours.
Le bouddhisme en Corée
Le bouddhisme pénètre dans la péninsule coréenne au cours de la période des Trois royaumes, plus précisément vers la fin du IVe siècle, par le biais de moines chinois. Il renforce ensuite sa position dans le territoire unifié par le grand Silla (668-935) et atteint son apogée à l’époque du Goryeo (918-1392). Les souverains vénèrent alors cette religion protectrice de l’État contre les invasions, les révoltes et les calamités naturelles, et ils s’entourent volontiers, surtout au Goryeo, de moines les servant aux titres de conseillers ou de précepteurs. Des efforts d’unification des écoles bouddhiques marquent également cette période et préfigurent la domination actuelle de l’ordre Jogye en Corée du Sud.
Après l’introduction du néoconfucianisme au XIIIe siècle, le bouddhisme est peu à peu perçu comme inutile à la gestion de l’État et même responsable de la chute du Goryeo. Toute une série de mesures antibouddhiques prises au début du Joseon (1392-1897) écarte cette religion des centres de pouvoir. Les monastères se trouvent repoussés dans les montagnes et voient leur patrimoine dilapidé. Quant aux moines, ils perdent leur statut très enviable. Ces mesures ne visent cependant pas à éradiquer la religion qui reste bien enracinée dans la société. Certains rois sont eux-mêmes des croyants convaincus et les membres de l’élite lettrée demeurent souvent en bons termes avec les moines.
L’ouverture à l’Occident et les nouvelles dynamiques internationales de la fin du XIXe siècle conduisent la religion à se moderniser tout en cherchant à retrouver une place dans l’espace public. Ce réveil est si remarquable à l’époque coloniale (1905-1945) qu’un historien a évoqué l’idée d’un « empire bouddhiste coréen1 » bien peu soumis aux autorités japonaises. Après la Libération, cependant, le bouddhisme rencontre en Corée du Sud des difficultés liées à des dissensions internes et aux influences protestantes du président Syngman Rhee et des États-Unis, sans oublier un décollage économique qui bénéficie surtout, en matière religieuse, à la propagation du christianisme.
C’est enfin une nouvelle phase de prospérité qui caractérise le bouddhisme depuis les années 1980. Ce retour en force sur la scène religieuse tient à une profonde réorganisation qui a entraîné la fondation de « méga temples », la reconstruction d’une identité bouddhiste, le développement du tourisme religieux, ainsi qu’une meilleure visibilité internationale grâce aux médias et à la fête des lanternes.
Pour en savoir plus : https://www.coree-culture.org/la-fete-des-lanternes-inscrite-au,5006.html