Étranger

Jeonju, le charme et le parfum d’antan

Par Adrien LEE, présentateur télé et radio

Jeonju, le charme et le parfum d’antan

 
Jeonju, située au centre de la péninsule à 250 kilomètres au sud-ouest de Séoul, est une ville touristique unique en son genre. Je ne dis pas cela parce que c’est le gohyang(ville natale) de mon père, mais parce que cette ville historique apparue au royaume de Baekje (18 av. J.C. - 660) est culturellement très riche et fascinante sur bien des points. Comme ce dossier spécial va vous le faire découvrir, Jeonju est une ville d’histoire, d’arts et de traditions. C’est un centre touristique réputé pour sa gastronomie et les festivals internationaux qui y sont organisés tout au long de l’année. Je me propose, en faisant un petit tour d’horizon des choses à voir, de vous donner l’envie d’aller un jour visiter cette cité aux multiples visages.



Jeonju, ville de taille moyenne (650 000 habitants) et capitale de la région du Jeollabukdo (Jeolla du nord), constitue depuis plusieurs siècles un important centre régional. Elle était autrefois considérée comme la capitale spirituelle de la dynastie Joseon (1392-1910) en raison de l’ancrage régional de la dynastie Yi dans la province de Jeolla. Malgré les nombreuses invasions qu’elle a subies au cours de son histoire, Jeonju a su conserver son originalité et préserver ses traditions. Pendant l’occupation japonaise (1910-1945), l’esprit de résistance y était omniprésent. Ce n’était pas seulement une ville révoltée, c’était une ville engagée défendant ses valeurs et sa culture. Des traces de la colonisation sont d’ailleurs toujours visibles, notamment dans l’architecture de certains bâtiments anciens, mais ce sont surtout les trésors et monuments historiques de la ville qui retiendront notre attention.

Avec son côté encore très provincial et toujours quelque peu agricole, la ville de Jeonju reste légèrement en marge par rapport aux autres grandes villes de la péninsule. Ses habitants attachent une grande importance à son histoire, et n’hésitent pas à faire des sacrifices économiques pour protéger son riche patrimoine culturel. Cette tendance à la préservation des valeurs anciennes se retrouve notamment dans l’esprit du JIFF, le Jeonju International Film Festival, qui met l’accent plus sur la qualité artistique des œuvres promues en reléguant au second plan les aspects commerciaux. Un peu moins connu que le BIFF (Busan International Film Festival), le JIFF est toutefois une des attractions majeures de la ville, attirant près de 50 000 visiteurs chaque printemps. Le cinéma étant une fenêtre sur le monde, la ville de Jeonju ouvre régulièrement ses portes à de nombreux projets de tournages cinématographiques. Si vous êtes amateurs de films et souhaitez découvrir la ville, la période du JIFF est idéale puisque ce festival a lieu au printemps, une des plus belles saisons en Corée.

Si vous préférez l’automne et son feuillage éblouissant, l’autre grand festival à ne pas manquer est le Jeonju International Sori Festival, principal évènement musical en Corée consacré aux traditions musicales anciennes et aux musiques du monde. Depuis sa création, le festival est le rendez-vous de tous les grands noms de musiques traditionnelles coréennes et bien sûr celui du Pansori, art vocal et de scène emblématique de la Corée qui est depuis quelques années inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Fondé en 2001, ce festival a connu un succès grandissant qui a conduit depuis 2011 à une ouverture sur le monde et une rencontre avec des talents internationaux.

Rue commerçante du village traditionnel Hanok Maeul.

Ces festivals donnent l’occasion de découvrir Jeonju dans toute sa splendeur et de parcourir son célèbre Hanok Maeul où se déroulent la plupart des concerts. Ce village (maeul) de maisons traditionnelles (hanok), est particulièrement réputé et constitue une des attractions touristiques phares de la ville. Il abrite quelques 800 hanok et maisons de thé traditionnelles coiffées de tuiles, la plupart ayant été construites pendant la dernière partie de la période Joseon. Nombre de ces habitations ont été rénovées grâce à une campagne de conservation du patrimoine architectural coréen.

Une petite promenade à pied au cœur de ce village vous fera voyager dans le temps et découvrir le style de vie de l’époque. Avec un peu de chance, vous pourrez également assister à des spectacles traditionnels en tous genres et en particulier au Jultagi, spectacle acrobatique sur une corde suspendue réalisé par de remarquables funambules. Je vous suggère aussi de vous arrêter un instant sur la colline située au centre de ce village offrant une vue imprenable sur les toits avec en arrière-plan les édifices de la ville moderne.

Jultagi, spectacle acrobatique traditionnel.

Pour celles et ceux qui souhaitent s’immerger davantage dans la culture coréenne, il est possible de séjourner dans une de ces maisons traditionnelles qui font l’attrait de Jeonju, mais encore faut-il accepter de dormir par terre avec pour seul confort un yo (édredon épais servant de matelas) et un ibul (sorte de couette).

Bien entendu, une culture étrangère s’appréhende aussi par le biais des visites de musées. Tout au long de l’année, les musées de la ville vous permettront d’approcher les diverses facettes de la culture coréenne comme par exemple la fabrication du Hanji. Encore assez peu connu en Occident, ce papier traditionnel d’une qualité réputée exceptionnelle est un des fleurons de l’artisanat du Pays du matin calme. Avec plus de 3 000 pièces, le musée du Hanji de Jeonju est le premier musée consacré à ce papier et à son histoire millénaire. On y présente les différentes étapes de fabrication de ce matériau produit à partir de fibres d’écorce de mûrier et utilisé sur les murs et fenêtres des maisons traditionnelles. Résistant, doux et de couleur blanc cassé, le Hanji est également utilisé pour la calligraphie, le dessin, ainsi que pour fabriquer des meubles, des boîtes, des emballages, et des objets divers. Pour les amateurs d’arts graphiques, il faut ajouter sur la liste des lieux à ne pas manquer le musée de la calligraphie de Gangam. L’existence de ce musée à Jeonju est pleinement justifiée. En effet, cette ville est qualifiée « ville des arts » (yehyang) et connue pour avoir vu naître un grand nombre de lettrés, poètes, artistes, docteurs en médecine traditionnelle… Par ailleurs, dans l’histoire de la Corée, elle a régulièrement abrité des dissidents aux pouvoirs en place.

Le Musée National de Jeonju.  ⓒONTC

Un peu à l’écart de la ville, le Musée national de Jeonju vaut également le détour. Ouvert en 1990, il a pour vocation de rassembler, préserver et présenter le riche héritage culturel du Jeolla. Vous y découvrirez une galerie d’art bouddhique et de nombreux trésors du royaume de Baekje, ainsi que des royaumes Mahan et Seonsa qui étaient aussi présents dans la région. Pour être franc, ce musée n’est pas vraiment unique en son genre. Mais il est toujours intéressant de se plonger dans l’histoire d’un pays à travers ses arts et, comme l’entrée y est gratuite, pourquoi ne pas y faire un tour.

Une salle du musée.  ©DVC21

Pour revenir vers le centre-ville, vous pouvez tout simplement indiquer « Gaeksa » au chauffeur de taxi. C’est un lieu de rendez-vous très populaire, plutôt commercial, qui tient son nom du bâtiment historique qui a été construit aux alentours de 147O et qui servait à accueillir les hôtes de marque ainsi qu’à célébrer certains rites en l’honneur du roi. Sur le chemin, vous passerez peut-être devant l’ancienne porte du sud de la ville, Pungnammun. Construite au XIVe siècle, reconstruite en 1768, et rénovée en 1978, cette porte fait partie des trésors nationaux coréens (trésor n° 308).

Pungnammun, la Porte du Sud de Jeonju, trésor national coréen.

Dans un tout autre style, cette fois-ci romano-byzantin, la cathédrale de Jeondong située à proximité du village traditionnel de hanok, décrit plus haut, vous permet d’entrevoir une des facettes religieuses de la société coréenne. Classée site historique, cette belle cathédrale faite de briques rouges et blanches a été construite entre 1908 et 1914 par le prêtre français François-Xavier Baudounet (1859-1915) à l’endroit même où en 1791 de nombreux chrétiens ont été martyrisés. D’abord introduit par des ouvrages jésuites au XVIIIe siècle puis par les missions protestantes arrivées au XIXe siècle, le christianisme s’est implanté progressivement dans la péninsule mais non sans obstacles. Aujourd’hui, le christianisme (protestantisme et catholicisme) est la première religion de Corée du Sud, devançant le bouddhisme, autrefois prédominant. Un coréen sur trois est chrétien.

J’ai gardé le meilleur pour la « fin »… ou plutôt pour la « faim » ! Jeonju est considérée par les Coréens comme la capitale gastronomique du pays. Véritable destination culinaire et paradis gourmand, la ville a même été classée « Cité de la gastronomie » par l’UNESCO. « Mangez une fois à Jeonju, vous ne l’oublierez jamais ! » c’est ce que disent les Coréens. Cette province verdoyante est aussi une région agricole fertile, ce qui explique la grande variété et l’abondance de produits et plats locaux.

Commençons par un des plats coréens les plus connus : le Jeonju Bibimbap ! Servi traditionnellement dans une vaisselle en laiton, il consiste en du riz accompagné de légumes de saison, de pâte de piment (gochujang) et d’huile de sésame. On le sert également dans un grand bol en pierre brûlant (dolsot), ce qui permet de manger bien chaud. Le Jeonju Bibimbab se distingue par rapport au bibimbap classique par ses ingrédients. Il comprend par exemple du tartare de bœuf coréen (yukhoe) qui lui donne son goût si particulier. Riche en glucides, matières grasses, protéines, vitamines et sels minéraux, c’est un plat diététique, agréable à regarder, et délicieux à manger.

Enchaînons avec le Jeonju Hanjeongsik ! Le repas dans son intégralité rassemble en une fois tous les bienfaits de la nature de la région du Jeolla : fruits de mer pêchés dans la mer de l’Ouest, produits agricoles locaux, et herbes sauvages récoltées dans les montagnes proches de la ville. C’est ainsi qu’une même table réunit jusqu’à une trentaine de plats différents et donne un bon aperçu de la diversité de la cuisine coréenne. Ne soyez pas surpris si la table déborde de banchan, petits plats d’accompagnement, que vous pouvez redemander gratuitement si vous en aimez le goût au point d’avoir envie d’en reprendre.

Quant à ceux qui aiment cuisiner eux-mêmes, le grand et attrayant marché du centre (Jungang sijang), leur permettra de trouver tout ce qu’il faut… et même plus !!

Terminons notre petit tour culinaire par le Kongnamul Gukbap. C’est un des plats les plus populaires de Jeonju et le plat préféré de mon père. Attention, chaud devant ! Servie encore bouillante, cette soupe faite de pousses de soja est accompagnée d’un bol de riz que les Coréens mettent généralement directement dans leur soupe avant de la manger. C’est un plat peu coûteux qu’ils consomment entre autres le lendemain d’un dîner un peu trop arrosé.

Si vous avez mangé et souhaitez simplement prendre un verre le soir, le meilleur endroit pour goûter à la vie nocturne est probablement le quartier autour de l’Université Jeonbuk, la grande université nationale de Jeonju. Comme pour tous les quartiers universitaires coréens des grandes villes, vous n’aurez que l’embarras du choix avec des centaines de bars et cafés ouverts tard dans la nuit et parfois même 24 heures sur 24. Et si, ayant goûté aux différents alcools coréens, vous vous posez des questions sur les procédés de fabrication et de fermentation, il existe dans la ville un musée dédié tout spécialement au vin coréen, le musée traditionnel du vin coréen de Jeonju.

Le parc de Deokjin, un bel espace de verdure dans la ville.  ⓒONTC

Pour une promenade digestive, je vous suggère, enfin, une petite marche en plein-air dans le parc de Deokjin, situé non loin de l’Université Jeonbuk. Vous pourrez y louer un petit bateau et admirer la vue sur le pont suspendu qui traverse l’étang. La nuit tombée, aux lumières du pont s’ajoutent celles de la fontaine musicale. Notez que ce parc est tout particulièrement fréquenté au mois de juillet en raison de l’abondante et magnifique floraison des fleurs de lotus, symbole de pureté et d’élévation dans le bouddhisme.

Quittons-nous sur cette image spirituelle de la fleur de lotus. Ma description de la ville de Jeonju vous a-t-elle mis l’eau à la bouche ? Si c’est le cas, il ne vous reste plus qu’à choisir votre moyen de transport pour vous y rendre. Plusieurs options s’offrent en effet à vous : le KTX, train à grande vitesse, vous emmènera en deux heures de Séoul jusqu’à destination ; le bus express vous déposera à la gare routière dans le centre-ville en deux heures et demie ; des bus limousine au départ de l’aéroport d’Incheon circulent aussi toutes les trente minutes et vous amènent en trois heures et demie près de la mairie de Jeonju. Et si vous êtes très courageux, pensez au vélo !







« Culture Coréenne », dont le premier numéro remonte à l’automne 1981, est une publication destinée au public français présentant les arts, l’histoire, les traditions, et d’une façon générale, les multiples facettes de la Corée et de sa culture.
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