Par Hervé PÉJAUDIER
Directeur, avec Han Yumi, de la collection Scènes Coréennes aux Éditions Imago
Dans un texte fameux, Michel Leiris réclamait jadis l’irruption de “l’ombre d’une corne de taureau” dans la littérature, comme marque d’engagement de l’artiste et gage de puissance de son œuvre... Aujourd’hui, dans la longue histoire des rapports du théâtre coréen avec la France, c’est l’ombre d’une corne de rhinocéros, celui d’Ionesco, que nous voyons se profiler, ce qui, vu les croyances qui entourent cet objet, semble bien être prometteur d’une nouvelle saison des plaisirs. En effet, cette décennie qui s’ouvre marque une avancée certaine dans la réception de spectacles coréens en France.
Rhinocéros, seul contre la foule...
La venue de spectacles coréens est à la fois régulière et un peu chaotique. Si un art comme le pansori est reconnu, le théâtre au sens moderne met du temps à trouver sa place ; il est symptomatique que de grands événements comme Les Coréennes au Festival d’Avignon en 1998 ou le Festival d’Automne 2002 l’aient ignoré. Pourtant on voyait en France un certain nombre de spectacles, que l’on pouvait considérer comme trop rares, mais dont nous espérions qu’il s’agissait de jalons utiles. Avec le recul, on s’aperçoit qu’en effet un mouvement se dessinait, qui porte aujourd’hui ses fruits.
État des lieux au début du XXIe siècle
On se référera utilement à l’article fondateur de Choe Junho*, qui brosse une large histoire du théâtre coréen dans ses rapports avec la France, et nous éclaire en particulier sur les divers mouvements d’échange au tournant du XXIe siècle. Nous aborderons cette période selon trois aspects distincts.
* Culture Coréenne n° 70. Notre revue a publié de nombreux articles sur les arts de la scène coréens ; nous nous permettons d’y renvoyer le lecteur intéressé, en particulier, pour les événements cités dans cet article, les numéros 56, 58, 61, 66, 73, 78, 82, 84.
Le pansori, art de la scène. Comment faire apprécier le pansori comme art du récit à un public ne parlant pas coréen ? Saluons ici le travail de pionnier de la Maison des Cultures du Monde, qui a culminé dans une nuit du pansori en 2001 avec deux pansoris complets enchaînés, et celui du Festival d’Automne 2002 qui a présenté sur quinze jours une (double) intégrale des cinq pansoris traditionnels, performance jamais effectuée auparavant, et jamais reprise depuis. Le choix des versions intégrales, et non de simples extraits, est ici essentiel pour faire reconnaître le genre dans sa dimension théâtrale, soutenu, ce qui était une première, par un travail réfléchi sur le surtitrage.
Le théâtre moderne, marginalisé. Au début des années 2000, on voit qu’il y a un grand écart entre le pansori, patrimoine reconnu, et le théâtre moderne, très méconnu. La révolution théâtrale du madang geuk, qui a bouleversé la scène coréenne à partir des années 1970, avec la revendication d’un retour aux sources traditionnelles au nom de la réinvention d’un théâtre de résistance par une génération de poètes directeurs de troupe, ne trouvait aucun écho en France où seuls s’aventuraient quelques rares pionniers, comme le metteur en scène Lee Jong- il qui dès la fin du XXe siècle présentait dans quelques garages d’Avignon les plus grands auteurs sans surtitrage devant un public aussi clairsemé que médusé. Depuis 2001, il est venu plusieurs fois à Paris et à Avignon en version surtitrée, et construit année après année son public.
Pour plus d'information : http://www.coree-culture.org/l-ombre-d-une-corne-de,4235.html