Étranger

Par Jean-Yves RUAUX
Journaliste



Avec ses 3756 m2 (5 fois l’ancien modèle !), ses dizaines de salles, d’exposition, de cours, de lecture.., son auditorium ultramoderne, ses ateliers, ses six étages au cœur du quartier des affaires, ses conférences, ses récitals, ses écrans, ses webtoons, ses 20 000 livres, sa diversité, le nouveau Centre Culturel Coréen de Paris est le vrai couteau suisse (!) de la culture et de l’amitié interculturelle. Voici ce qu’il faut savoir pour profiter au mieux de toutes les opportunités qu’il offre. Suivez le guide !


En entrant au 20 rue La Boétie, on imagine l’ombre de Proust qui faisait chercher ses entremets chez Latinville au 8 de la même rue, par Céleste, sa gouvernante. Mais reconnaîtrait-il cet hôtel particulier de banquier (1876-1878), coiffé « d’un attique contemporain à la manière d’un drapé verrier comprenant une mezzanine prolongée d’une terrasse sur cour » selon les mots de l’architecte-restaurateur Jean Mas ?


Séoul logé chez Haussmann !


Aucun doute ! Le bel immeuble néo-classique a perdu ses calèches, ses chevaux... Mais pas sa cour pavée. Il a conservé sa spectaculaire colonnade rouge, ses escaliers majestueux, ses vitraux romantiques, ses mosaïques, ses cheminées sculptées. Et gagné en confort, connectivité, lumière, modernité... Pourtant, le « petit Marcel », l’auteur d’À la Recherche du temps perdu, s’y montrerait parfaitement à l’aise car Proust est traduit en coréen. Il fait l’objet de thèses et de colloques à Séoul. Et John Hae Oung, le directeur du Centre, a relevé le défi : enchâsser la culture coréenne dans un bâtiment typique de l’architecture Napoléon III. Séoul loge chez Haussmann !


Cette contrainte, M John la prend comme une incitation à l’épanouissement d’une ingénieuse humilité « qui fait que l’on ne transmettra pas de manière professorale la culture coréenne au Français mais que l’on deviendra son ami. Avec un ami, le partage se fait naturellement, l’échange n’est pas à sens unique. Nous avons aussi à apprendre des Français », résume Min Kyeonghi, ma subtile interlocutrice du Centre.


Park Yang-woo, le ministre de la Culture coréen, tenait le même langage le jour de l’inauguration, le 20 novembre 2019. Pour lui, la Palme d’or attribuée à Bong Joon-ho (pour Parasite), « va inciter les Coréens à s’intéresser davantage à la culture française. » (La Croix, 22/11/2019).



Bienvenue dans la maison coréenne


Sorry Mister Proust ! Le thé que l’on dégustera au 20 rue La Boétie, et dont on croirait déceler la fragrance douce-amère dans la cour d’honneur végétalisée, n’est plus le thé dont l’écrivain se saoulait à n’en plus pouvoir dormir, mais une belle saveur coréenne.


Car c’est en l’accueillant dans la salle d’un hanok, une maison traditionnelle, que l’hôte incite son visiteur à le suivre à l’intérieur. Etagères sombres, et sobres, livres cousus-reliés, écrans lumineux évoquant le quotidien au Pays du matin clair... Une esthétique tout en douceur.


Le rez-de-chaussée du centre est ainsi distribué en un joli labyrinthe d’espaces destinés à la familiarisation avec la culture de Corée. Une vraie expérience pour Victoria Spens, l’assistante du directeur, qui, de Nancy à Busan, poursuit sa belle quête d’apprentissages culturels. Elle m’a ainsi promené à travers tout le Centre.



Où l’on apprend à faire son magkeolli !


L’espace hansik matérialise les spécificités de la cuisine coréenne. Depuis le IVe siècle, elle se déguste avec des baguettes de métal. Souci d’hygiène, désir d’élégance ! Au mur, en posture acrobatique, les gracieuses tables-plateaux sur lesquelles votre repas arriverait prêt à déguster !


À l’écran - ils sont partout les écrans ! -, des mains alertes hachent, coupent, tranchent, assemblent les éléments d’un somptueux bibimpap. Pour mettre la main à la pâte, il faut gagner le « laboratoire » du cinquième étage. Dix postes avec eau, feux, hotte et ustensiles assurent à l’apprenti son initiation dans l’art du kimchi, du bulgogi, des galettes et autres délices. Vous y apprendrez à confectionner le magkeolli pour arroser les plats réalisés par les stagiaires. Ici, même les hommes font la cuisine, comme M. Min ! De quoi énerver Confucius mais, au 20 rue La Boétie, la révolution culturelle coréenne se vit au quotidien et dès le seuil.



Alphabet, K-pop, cinéma, drama, auditorium


Avec l’espace hangeul, la langue coréenne s’offre à l’oeil comme un jeu d’enfant. Les tabourets de bois clair ont pris la forme de lettres et les lettres jouent au puzzle pour construire mots et phrases. L’architecte-designer a traduit la volonté du roi Sejong (1397-1450) qui ne voulait pas laisser le monopole de la langue aux lettrés qui l’écrivaient en chinois. Mais la rendre au peuple !


Que diraient-ils ces yangban d’autrefois, ces aristocrates compassés, de cette incitation à tous les partages culturels que concrétisent l’espace hallyu, ses poufs propices au farniente cinéphile, ses écrans ouvrant la culture coréenne au monde ? Que penseraient les barbichus du royaume ermite, fiers de leur isolement, à la vue des succès mondiaux de la K-pop, de la BD coréenne (manhwa) qui charment Paris ? Que penseraient-ils du cinéma coréen qui truste les prix dans les festivals internationaux et dont le Centre Culturel Coréen se fait la nouvelle ambassade ? Ne seraient-ils pas médusés par le magnifique auditorium aux tons ailes de nuit ? Un écrin ultramoderne où le grand piano de concert jaillit d’un seul mouvement du sous-sol qui abrite les confortables loges des danseurs, des comédiens, des chanteurs ! Elles y voisinent avec les salles de répétition vouées à la danse face au miroir.



Tekkal , les ambitions d’une exposition


Victoria, qui a vécu plusieurs années à Séoul, a passé un manteau rouge pour m’accompagner dans la visite de l’exposition « Tekkal, couleurs de Corée ». Le rouge reflète le soleil couchant, la flamboyance, la passion, les sentiments. Le rouge est yang comme le blanc, le noir, le jaune et le bleu qui rythment la vie qui va.


La Corée, son histoire intime, sa symbolique, se déploient en pleine lumière au premier et au deuxième étages. La couleur est le fil conducteur pour expliquer la vie quotidienne d’autrefois, la croyance dans le jeu subtil de forces élémentaires et complémentaires. Le jaune s’installe au centre, le bleu à l’est, le blanc à l’ouest, le rouge au sud, le noir au nord.


Tekkal matérialise aussi la nouvelle ambition du Centre Culturel Coréen : présenter des événements de stature internationale. 210 objets pour la plupart superbes, souvent anciens, parfois fragiles, des vases, des textiles, des peintures chamaniques, des coiffures, des vêtements rituels, des statuettes funéraires, condensent le reflet de l’âme coréenne séculaire puisé dans les trésors du Musée National du Folklore de Corée (jusqu’au 14 février 2020). On y voit même un paravent imitant délicatement l’étagère où le lettré de Joseon déposait à plat ses livres amoureusement reliés.


Une bibliothèque, 20 000 documents et quelques webtoons...


Ici, c’est au 3e et au 4e étages que s’offre la quintessence de la littérature. Les 20 000 livres en coréen, en français et en anglais, les milliers de DVD de la bibliothèque, attestent d’une culture ancestrale et de sa capacité de renouvellement. Témoin, l’exposition interactive de webtoons, la « WebBD » (jusqu’au 31 mars) dont la Corée est l’intense foyer de création (4 000 auteurs, 10 000 titres, 10 millions de lecteurs quotidiens...).


400 m2 ont été alloués à la bibliothèque. « Et l’espace nouvellement conquis va permettre une réelle politique d’acquisition », explique Min Kyeonghi.


Parlons chiffres : 1000 m2 ont été affectés aux espaces communs, 700 m2 aux expositions, 310 m2 à l’auditorium, la belle boîte-à-musique insonorisée qui a évincé le parking d’origine ! Coût : 50 millions d’euros - le prix d’un Airbus, d’une équipe de foot professionnelle, de 10 000 tonnes de Nutella...- ont été investis ici au service de la diffusion de la culture coréenne. Mais le bâtiment abrite aussi l’Office national du Tourisme et la KOCCA. La Korea Creative Content Agency, qui veille à ce que la vague hallyu inonde tous les rivages. Paris est sa figure de proue en Europe.


Le Centre culturel est le paquebot aux ponts multiples chargé d’en acheminer toutes les subtilités. Justement, au niveau de la bibliothèque (et pour certains au-dessus), perchent les ateliers, les salles de cours, équipées pour l’apprentissage de la langue, de la calligraphie, de l’art des nœuds coréens madeup... Le déroulé du programme prend aujourd’hui l’épaisseur d’un catalogue et sa variété l’ampleur d’un feu d’artifice. Le Centre accueille avec le cinéma et les séries, de véritables marathons de l’image pour amateurs de dramas, d’artistes classiques, de délicieuses chanteuses post modernes telles Les Barberettes qui cocktailent le rythm and blues, le gospel et la zizique de coiffeurs US ! D’où leur nom. D’où l’image aussi échevelée que sage du 20 rue La Boétie.


Les 40 ans du CCC et la fulgurance du hallyu

Georges Arsenijevic, le conseiller du Centre, est aussi ébahi que ravi de la progression qu’il a pu constater. 35 ans d’un travail d’animation pour lequel il ne s’est pas ménagé. Et bientôt l’anniversaire des 40 ans d’existence du CCC !


« Dans les années 1980, cinq personnes seulement travaillaient au Centre. Pour ce qui est des cours de coréen, il n’y avait à l’époque qu’une quinzaine d’élèves et un seul professeur. On en est aujourd’hui à plus de 400 élèves, quatre professeurs, trois niveaux. »


Le conseiller, témoin de ce lointain passé, représentait alors (aussi !) la Corée aux réunions de copropriétaires du 2 avenue de Iéna ! « A l’époque, le Centre était l’un des tout premiers créés à l’étranger. Mais au fil des nouvelles créations qui se sont succédé, en surface, il était devenu 31e sur 32 ! », précise Min Kyeonghi. Passant de 700 à 3756 m2, il a repris la compétition avec la Maison du Japon ou le Centre culturel chinois pour diffuser l’influence culturelle croissante de la Corée, y compris auprès des populations des deux géants asiatiques !


Entre-temps, la hallyu a fait tsunami. Et Georges Arsenijevic évoque les dizaines de titres intéressant la Corée qu’éditent désormais chaque année L’Asiathèque, Actes Sud, Philippe Picquier, Serge Safran, Zulma, Decrescenzo, Imago...


Gastronome, il souligne aussi que le nombre de tables hansik est passé en région parisienne d’une poignée à plus de 130 en une génération. Par ailleurs, avant 1990, rares étaient les films coréens visibles sur les écrans français à l’exception des festivals spécialisés. En 2019, avec près de 2 millions d’entrées, Parasite s’affiche 26e parmi les 650 films sortis en France au cours de l’année.


« Deux universités enseignaient le coréen dans les années 1980. Aujourd’hui, elles sont 17 ou 18 », ajoute enfin Georges, toujours aussi réjoui.

Le surprendra-t-on en précisant que le groupe BTS et sa K-pop ont fait 40 000 entrées à l’Arena Bercy à l’automne 2018, le double en juin 2019 au stade de France et que les Maisons de la Presse françaises diffusent désormais son calendrier 2020 ?


Le CCC, fruit de l’amitié et d’une épopée immobilière


La Corée a le vent en poupe. L’idée de mettre le CCC au goût du jour a germé dès 2005. Avant de devenir une épopée immobilière. Georges Arsenijevic la raconte comme un roman d’aventure avec de grandes espérances, du suspense, des déconfitures.... On est rue Saint-Florentin, quartier de la Concorde, immeuble historique, plafonds solennels, portes cochères...et au dernier moment le vendeur se dérobe.


Les prédécesseurs du directeur John Hae Oung ont mené des dizaines de visites de sites. Les agents immobiliers se sont mués en détectives pour traquer la perle rare dans le 8e, le 15e, le 16e. Il y aurait bien ce magnifique immeuble appartenant à une compagnie d’assurances, avec un grand patio et une vraie bambouseraie à deux pas du Trocadéro... C’est oui, presque oui, mais la vente déprécierait le portefeuille d’investissement qui fait le socle du groupe ; il renonce donc finalement à s’en séparer !


Il existe des mètres de dossiers, de plans, de rapports de commission. à Paris et à Séoul ! Un jour quelqu’un consacrera peut-être une thèse à cette chasse à la belle adresse. « Le quartier du Trocadéro était plus touristique, mais La Boétie nous offre l’environnement d’une population jeune, active, éprise de découvertes », synthétise Min Kyeonghi.


L’idéal pour une rencontre entre Coréens et Français sous le signe de l’échange désintéressé, le lieu béni pour une amitié aussi profonde qu’indicible « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. », disait Montaigne du lien qui l’unissait à l’écrivain La Boétie (1530-1563). 20, rue La Boétie. Comment imaginer meilleure adresse ?



Cet article est extrait du numéro 99 de la revue "Culture Coréenne", publication du Centre Culturel Coréen. Pour découvrir ce numéro dans son intégralité, cliquez ici.



Pour plus d’information : https://www.coree-culture.org/-dossier-special,418-.html