Par le Journaliste Honoraire de Korea.net Dorian HIMPENS de France
Le hasard parfois fait bien les choses, dit un proverbe. C’est en tout cas un hasard bien providentiel qui m’a permis de découvrir, il y a quelques semaines, un ensemble musical rendant hommage depuis plusieurs années à la pop coréenne des années 60 et qui s’est lancé, plus récemment, dans la musique coréenne traditionnelle : le quintet français Baeshi Bang.
Baeshi Bang : le quintet parisien qui reprend les titres de Bae Ho façon jazz. ⓒ Etienne de la Sayette ; Baeshi Bang
Le hasard, c’est aussi grâce à lui que le musicien professionnel Etienne de la Sayette, créateur de ce projet audacieux, a découvert la Corée du Sud. En effet, tout commence il y a une vingtaine d’années lorsque son groupe de musique de l’époque a l’opportunité d’aller jouer dans ce pays dont il ne connait alors presque rien. Lors de cette expérience il est tombé sous le charme du pays et de sa culture ; la Corée devenant, au fil du temps, son « 2ème pays ». Etant un adepte de la création de projets à travers l’écriture, la composition et l’arrangement musical ; l’envie de créer un groupe autour de la musique coréenne lui est venu tout naturellement, sans aucun hasard cette fois ci !
Pour concevoir cet article, j’ai eu la chance de réaliser un entretien avec Etienne de la Sayette, créateur de Baeshi Bang afin d’en savoir un peu plus sur leur histoire et aussi sur leur prochain album, enregistré en collaboration avec le collectif séoulite Ip Koa Son.
Baeshi Bang : La genèse du projet
Je me suis tout d’abord intéressé au nom du groupe. En effet, Baeshi Bang en coréen se traduit par « la pièce de Monsieur Bae » (배= Bae ; 씨= honorifique qui, dans ce cas, se traduit en monsieur ; 방=pièce). Mais qui est donc ce monsieur Bae ?
Bae Ho (배호) est un chanteur des années 60 à la « carrière fulgurante, un peu météorique ». En effet, il est mort très jeune (en 1971, à 29 ans) mais a tout de même chanté et enregistré environ 300 chansons durant sa courte période d’activité, lui valant le surnom « d’Elvis Coréen du Trot » (ancêtre de la K-Pop).
L’une des premières questions que je m’empresse donc de poser est : « Pourquoi avoir choisi Bae Oh ? ». Etienne me raconte alors que c’était à une période où il cherchait un « angle d’attaque pour faire quelque chose de créatif » autour de la musique coréenne. Il s’est alors d’abord intéressé à la musique traditionnelle, qui fut écartée en raison de la difficulté à créer un projet autour de ce type de musique. C’est à ce moment-là que le meilleur des hasards fait son apparition. En effet, à cette époque, Etienne animait une émission de radio à Paris où il passait beaucoup de musiques coréennes envoyées par un ami coréen mélomane. C’est ainsi qu’il a découvert cette musique dont il est tombé amoureux : l’univers de Bae Ho.
Disposant d’un répertoire très bien fourni, l’idée de reprendre uniquement des morceaux de Bae Ho tout en les adaptant « façon jazz » est venue tout naturellement. Ses compositions déjà empreintes « d’arrangements faisant penser aux orchestres européens ou américains avec des influences d’Enka Japonais » en plus de leur caractère typiquement coréen de variété des années 60 représentaient un sujet de choix pour le nouveau projet d’Etienne.
Après avoir trouvé cette idée fondatrice, il a fallu convaincre et monter un groupe pour la mettre en œuvre. Comment ont réagi les musiciens qu’Etienne a sollicités quand il leur a dépeint le principe audacieux et un peu fou de Baeshi Bang ? Il fait d’abord appel à Victor, un musicien avec lequel il s’entend bien, avec qui il a déjà joué et surtout, qui est adepte des projets « un peu fous et invendables ». Ce n’est donc pas étonnant qu’il ait accepté après avoir découvert le « côté décalé » de Baeshi Bang. Les autres membres du quintet ont tout autant « adhéré au projet » après avoir écouté quelques mélodies de Bae Ho. L’idée de Baeshi Bang a donc fait l’unanimité, avec son style rompant avec la routine. Cependant, qu’elle ne fut pas leur surprise quand ils ont découvert que le chanteur n’était quasiment plus connu en Corée ! Rendant la tâche encore un peu plus ardue.
Comme j’ai trouvé cela étonnant qu’un artiste ayant été si prolifique soit si peu reconnu dans son pays, Etienne a fait un parallèle avec le patrimoine culturel francophone : « tout le monde connaît au moins de nom Brassens, Brel ou Ferré et beaucoup de personnes connaissent aussi leurs chansons ». Ce patrimoine est même « protégé » via l’ouverture de musées et l’organisation de visites des lieux importants liés à ces artistes. A l’inverse, en discutant avec des Coréens, il a découvert qu’ils avaient du mal à citer des chanteurs des années 50, 60 ou 70 : « Ce n’est pas seulement Bae Ho qui a été oublié, c’est tout un pan de leur patrimoine, ce qui est triste. Mais heureusement ça revient un peu, ça va dans le bon sens ». En effet, il existe un fan club autour de Bae Ho que le groupe a pu rencontrer. Ils ont même joué avec le sosie du chanteur !
J’ai alors demandé malicieusement comment les fans de Bae Ho ont réagi en découvrant les reprises de Baeshi Bang ? En fait, elles ont été très bien accueillies par le public coréen comme me l’explique Etienne : « Franchement ils étaient adorables et ça s’est très bien passé, d’autant plus qu’on reprend quand même de façon un peu décalée. Ce n’est pas du copier, couper, coller. On adapte, on crée, parfois il y a même un peu de second degré, mais on ne s’en moque pas ».
Baeshi Bang et la collaboration avec le collectif séoulite Ip Koa Son
En 2016, Baeshi Bang a sorti son 1er album, éponyme, uniquement composé de reprises de Bae Ho. Quel a été le cheminement du projet depuis ? Etienne me raconte donc qu’après cet album, et après avoir donné des concerts en France et en Corée, ils ont eu l’envie de continuer à jouer dans cette configuration « Baeshi Bang ». Mais pour qu’un groupe puisse continuer à vivre, il faut de nouveaux projets, de nouveaux morceaux, de nouveaux albums… Il leur a alors fallu trouver des idées neuves car « Bae Ho, on en avait un peu fait le tour, parce que c'était quand même contraignant et pas facile de faire, déjà un album et un concert entier avec uniquement ses chansons, sans que ce soit trop répétitif pour le public qui ne le connaissait pas. On a alors dû pas mal se triturer les méninges pour proposer quelque chose d'attractif autour de ce concept ». Derrière ce renouvellement, il y avait aussi un constat économique avec la difficulté de vendre un projet uniquement basé sur un seul artiste.
C’est à ce moment-là qu’ils ont décidé de démarrer une collaboration avec des Coréens, malgré les problèmes logistiques liés à la distance, autour d’un style qu’Etienne adore et qui constituait son idée originelle : la musique traditionnelle coréenne. Le nom Baeshi Bang va alors être gardé même si le projet n’aura plus rien à voir avec la pop coréenne des années 60. En effet, l’axe du projet s’est maintenant tourné vers les différentes formes de chants traditionnels coréens pour donner un savoureux mélange entre un quintet de jazz parisien et des chanteurs coréens : le collectif séoulite Ip Koa Son (입과손스튜디오).
Janggi Taryeong : le 1er single de la collaboration entre Baeshi Bang et le quintet Séoulite Ip Koa Son. ⓒ Etienne de la Sayette ; Baeshi Bang & Ip Koa Son
La prise de contact entre Baeshi Bang et Ip Koa Son s’est faite de « fil en aiguille », grâce aux différents contacts qu’Etienne a sur place. Il a pu découvrir ce collectif composé de deux chanteuses et d’un chanteur avec qui les envies de mélanger certaines formes de chants traditionnels pour ensuite les réinventer ont tout de suite « collé ». La collaboration aurait alors dû commencer avec la venue des Coréens à Paris, il y a un peu plus d’un an, mais la pandémie de Covid-19 a chamboulé tous les plans. Il m’a alors paru intéressant de demander plus de détails sur le processus créatif de Baeshi Bang & Ip Koa Son en cette période si incertaine.
Etienne m’explique alors le sentiment très bizarre de ne pas avoir pu rencontrer le collectif alors qu’ils connaissent maintenant très bien les voix des chanteurs : « J’ai tellement les voix de ces chanteurs dans mes oreilles que j’ai l’impression que ce sont des potes. Mais on ne s’est toujours pas vus ». Cela va bientôt changer avec une rencontre prévue en novembre 2021 pour jouer ensemble. Malgré cette distance et ces imprévus, deux singles sont déjà sortis, fruits de cette collaboration : Janggi Taryeong (장기타령) et Guna Hae (구나 헤).
Guna Hae est une musique traditionnelle venant de l’île de Jindo située à l’extrême sud-ouest de la péninsule. ⓒ Etienne de la Sayette ; Baeshi Bang & Ip Koa Son
Le processus créatif de ces deux morceaux s’est traduit par de nombreux allers-retours entre les différents membres du projet. En effet, cela a commencé par l’échange de sons puis par l’envoi de chants a cappella de la part des Coréens afin que les Français imaginent les arrangements à y apporter. Les chanteurs ont alors réadapté le chant en fonction de la proposition française, donnant vie aux premières œuvres de la collaboration. L’enregistrement a suivi pareille trajectoire, alternant entre les deux pays pour nous fournir deux singles, annonciateurs d’un prochain album et de prochaines possibilités de concerts. A la révélation de ce scoop, j’ai eu envie d’en savoir plus sur cet album avant de conclure notre entretien.
Le leitmotiv de ce nouveau projet est de créer un répertoire qui ne soit pas rébarbatif tout en étant accessible à une oreille occidentale non initiée à la musique coréenne traditionnelle. La diversité caractérisera aussi ce disque, tant par le collectif qui le conçoit, mais aussi par sa variété de « couleurs, tempos et ambiances ». L’objectif étant que l’on soit « scotché du début à la fin » lors de son écoute, ainsi que durant les concerts. Les chansons sont construites de façon que chacune d’entre elles puisse raconter sa propre histoire tout en faisant apparaître les spécificités des uns et des autres au niveau du chant et de l’arrangement.
Malgré cette année difficile, le projet continue d’avancer et les musiciens sont très contents des deux premiers singles, prémices d’un beau disque en devenir. Ils espèrent pouvoir sortir l’album avant leur arrivée en Corée, en novembre 2021 ; le groupe espérant le jouer le plus de fois possible après sa sortie.
Pour ma part je continuerai à suivre de près la « petite bataille » d’Etienne et de ses amis mélomanes pour « faire vivre la belle musique ».
Merci beaucoup à Etienne de la Sayette de m’avoir accordé cet entretien.
Quelques morceaux pour découvrir l’univers de Baeshi Bang :
- Le clip du 1er single de la collaboration Baeshi Bang & Ip Koa Son :
https://www.youtube.com/watch?v=5yhH9lOPQx8&list=RD5yhH9lOPQx8&start_radio=1
- Guna Hae le second morceau du prochain album :
https://mujurecords.bandcamp.com/track/guna-hae
- Baeshi Bang, le 1er album du groupe : https://baeshibang.bandcamp.com/album/baeshi-bang-2
* Cet article est rédigé par un journaliste honoraire de Korea.net. Notre groupe des journalistes honoraires est partout dans le monde, pour partager sa passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.
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