Journalistes honoraires

01.04.2022

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Par la Journaliste Honoraire de Korea.net Danielle TARTARUGA de France

Couverture du livre (Crédit photo : Editions IMAGO)

Couverture du livre ⓒ Editions IMAGO




C’est d’une période très particulière dont nous allons parler dans cet article, celui du « beau siècle Coréen », une période durant laquelle le pays pacifié entame une mutation économique et sociale en profondeur. Deux grands rois au long règne vont se succéder et s’employer à restaurer les prérogatives monarchiques mises à mal depuis des années par les querelles entre les Yangban et les différents courants politiques, luttant dans l’ombre depuis des décennies pour gouverner le pays et défendre ou augmenter leurs richesses. Le roi Sukjong va régner 46 ans (1674- 1720), et son fils cadet Yeongjo pendant un demi-siècle (1724-1776). Mais ces combats au plus haut sommet ne sont que successions d’intrigues et de luttes sans merci. Bien que le XVIIIe siècle voit l’avènement en Corée de nombreux progrès sociaux scientifiques et littéraires, avec le mouvement Sirhak, il n’en demeure pas moins que ce siècle des lumières a quand même ses zones d’ombre ! Ainsi l’un des épisodes de cour les plus tragiques fut celui du prince Sado enfermé jusqu’à sa mort dans une resserre à riz, et ce, sur ordre de son père le roi Yeongjo !

Son petit-fils le roi Jeongjo n’aura de cesse d’essayer de réhabiliter la mémoire du prince Sado (son père) durant tout son règne (1777-1800). Sa mère qui pourtant n’a jamais été reine jouera elle aussi un rôle essentiel pour laisser une trace de cette sombre histoire à la postérité. En effet Dame Hyegyeong , alors qu’elle sera déjà âgée, écrira trois mémoires. C’est de ses ouvrages dont nous allons parler avec Madame Yumi Han et Monsieur Hervé Péjaudier. J’ai eu l’honneur de les interviewer pour la sortie du livre « Écrits du silence, les mémoires de Dame Hyegyeong » aux Editions Imago.

Photo 2 Gwanghwamun Gate, Jongno-gu, Seoul (korea.net / Official Photographer : Jeon Han)

Gwanghwamun Gate, Jongno, Seoul ⓒ Jeon Han / Korea.net




1/ Bonjour Madame Yumi Han et Monsieur Hervé Péjaudier, avant de nous parler de ce livre pourriez-vous nous parler un peu de vous ?

Yumi Han : Lorsque nous nous sommes rencontrés, voici bientôt 25 ans, nous avons tout de suite pensé à traduire de la littérature coréenne, qui était encore très peu connue à l’époque.

Hervé Péjaudier : Entre Yumi la linguiste et moi le dramaturge, nous avons inventé notre collaboration autour, d’abord, du théâtre coréen contemporain, ce qui nous a valu le prix France-Corée dès 2001.

Yumi Han : Mais aucun éditeur ne voulait prendre le risque de nous soutenir. Heureusement nous avons rencontré Jeanne et Thierry Auzas, fondateurs des éditions Imago, à qui on a proposé, avec un certain culot, de créer une collection intitulée « Scènes Coréennes ».

Hervé Péjaudier : C’était en 2004, et nous n’avions alors que deux titres dans notre cartable... Aujourd’hui, la collection fête ses 18 ans !

Photo 3 : Yumi Han et Hervé Péjaudier ( crédits photos Yumi Han)

Yumi Han et Hervé Péjaudier ⓒ Yumi Han




2/ Pourquoi avoir choisi la traduction de ce livre en particulier ?

Yumi Han : Il faut prendre l’histoire au début. Étant spécialisés dans le surtitrage, nous avons travaillé sur le pansori en collaborant au Festival d’Automne 2002 spécial Corée, grâce auquel nous avons découvert, même moi (la Coréenne !), l’incroyable richesse de cette culture traditionnelle, pansori, danse masquée, chant, chamanisme, etc.

Hervé Péjaudier : Désormais nous étions tombés dans la marmite ! Et nous avons commencé à traduire et publier de plus en plus de classiques, dont ces Écrits du Silence, qui sont un témoignage unique dans le patrimoine littéraire coréen. Pour nous, traduire, annoter et commenter un tel monument est une étape très importante.

Yumi Han : Les Coréens connaissent et admirent tous ce livre : il est temps que les lecteurs francophones aient enfin la possibilité de se plonger dans la version originale intégrale de ce texte volumineux !

3/ Sans dévoiler en détail le contenu du livre pourriez-vous nous le présenter ?

Yumi Han : Mariée à neuf ans au prince héritier Sado, Dame Hyegyeong entre à la cour en 1744. Son époux se révélera vite déséquilibré, débauché, et même sanguinaire. Au point qu’en 1762, le vieux roi Yeongjo oblige son fils à s’enfermer dans un coffre à riz où il agonisera durant plusieurs jours. Ce drame est un des grands moments ayant marqué la longue dynastie Joseon, une tragédie familiale historique à la dimension universelle.

Hervé Péjaudier : Malgré toutes les manœuvres des clans à la cour voulant capter la succession, la jeune veuve parviendra à sauver sa vie et celle de leur fils, qui deviendra plus tard le grand roi Jeongjo. C’est alors que celle qui est désormais une vieille dame va commencer à prendre le pinceau pour rédiger de très longues missives destinées à faire connaître son histoire tragique à ses descendants. Ces textes sont bouleversants, ils mettent en scène toute la vie quotidienne au Palais Royal, et nous montrent l’envers du décor sans hésiter à dénoncer les hypocrisies, les manigances et les mensonges.

Photo 4 : couverture du livre ( crédit photo : Editions IMAGO)

Couverture du livre ⓒ Editions IMAGO




4/ Vous avez traduit et commenté dernièrement une trilogie (passionnante) de contes Coréens qui tous se passent durant la Dynastie Joseon. Portez-vous un intérêt tout particulier pour la Dynastie Joseon ? si oui pour quelles raisons ?

Yumi Han : Si l’on veut comprendre le présent, il faut savoir d’où l’on vient. Aujourd’hui où une information chasse l’autre, il est essentiel de ne pas oublier nos Classiques : ils ont tant de choses à nous dire !

Hervé Péjaudier : La littérature de cette période, allant en gros du XVIIe à la fin du XIXe siècle, est d’une richesse exceptionnelle, comme le montre bien, par exemple, notre trilogie de récits parus en 2020. C’est pour nous un grand bonheur de les rendre accessibles aux lecteurs francophones, et la bonne réception de ces livres nous encourage à continuer.

5/ Je sais que Dame Hyegyeong a écrit en utilisant l’alphabet Hangeul ce qui est assez osé dans une période où le Chinois prévalait, pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Yumi Han : À l ‘époque, tous les textes officiels traitant de la vie du royaume, et ils étaient nombreux, ne pouvaient être rédigés qu’en caractères chinois hanja, écriture des lettrés, et par des hommes, les seuls ayant accès à cette langue savante. Ce que fait dame Hyegyeong est donc doublement scandaleux : non seulement ses longues lettres sont rédigées en hangeul, l’écriture coréenne inventée en 1443, celle des femmes et du peuple, mais elle assume un point de vue extraordinairement féminin et subjectif : c’est une femme, une épouse, une veuve, une mère, une fille et sœur aussi, engagée dans la défense de son clan, elle dit sa souffrance, elle clame sa vérité, exige des châtiments, rien n’arrête son pinceau.

Hervé Péjaudier : Oui, et nous avons essayé de faire passer en français cette langue tumultueuse, traversée de cris de douleur et de désespoir, et en même temps d’une exceptionnelle combativité, jusqu’au bout.

6/ De nombreux dramas historiques sont actuellement diffusés en France pensez-vous que cela favorisera l’intérêt pour cette période de l’histoire de la Corée ?

Yumi Han : Oui, sans doute, cela peut éveiller l’intérêt d’un nouveau public. En espérant que cela donne envie aux téléspectateurs d’aller aux sources... c’est-à-dire aux livres !

7/ Deux événements sont prévus au Centre Culturel Coréen, en marge de la sortie du livre et pour marquer le 10ème anniversaire du Festival K-Vox, pourriez-vous nous les présenter ?

Yumi Han : Pour marquer cet événement, notre festival K-Vox, associé aux Centres culturels coréens de Bruxelles et de Paris et à l’université des arts KNUA de Séoul va offrir au public de découvrir les Mémoires de dame Hyegyeong sous forme de deux soirées : d’abord, un spectacle-conférence où nous situerons ce texte, dont la comédienne Isabelle Genlis lira de larges extraits, accompagnée de quatre musiciens coréens interprétant de la musique de cour.

Hervé Péjaudier : Et le lendemain aura lieu un concert de « Musiques vocales au temps de dame Hyegyeong », donné par un groupe de chanteurs et musiciens autour de la grande maître Chae Soo-jung. Ils montreront la richesse et la diversité des musiques de ce temps, allant des purs chants de cour gagok au populaire et truculent pansori, sans oublier les mystérieux chants chamaniques et les joyeuses chansons populaires minyo.

Photo 5 : Un des deux spectacles proposés par la Centre Culturel Coréen de Paris en relai de la parution du livre – prévu le 8 juin 2022 ( l’autre spectacle aura lieu le 7 juin ). ( Crédits photos : page issue de la brochure « calendrier des activités » du CCC)

Un des deux spectacles proposés par la Centre Culturel Coréen de Paris en relai de la parution du livre – prévu le 8 juin 2022 ( l’autre spectacle aura lieu le 7 juin ). ⓒ Page issue de la brochure « calendrier des activités » du CCC)




8/ Quels sont vos projets à venir ? Souhaitez-vous nous en parler ?

Yumi Han : Nous voudrions boucler le cycle des cinq pansoris classiques, patrimoine coréen irremplaçable. En 2023 sortira le Dit de Sim Cheong, cette fille dévouée prête à sacrifier sa vie pour sauver l’honneur de son pauvre vieux père aveugle... C’est un conte merveilleux devenu au fil des temps un récit chanté de quatre heures, histoire contant le passage à l’âge adulte d’une jeune fille, et chef d’œuvre à la portée universelle.

Hervé Péjaudier : Et bien sûr, dans le cadre de notre festival K-Vox, nous nous préparons à offrir simultanément au public français une représentation intégrale surtitrée de ce pansori, qui sera un grand moment.

Yumi Han : Nous prévoyons également de faire paraître Le dit de Heungbo, l’histoire des deux frères, le méchant riche qui chasse le pauvre Heungbo — que sa bonté sauvera finalement grâce à une hirondelle qui... mais je ne vous en dis pas plus !

Un grand merci à vous les deux pour le temps que vous m’avez accordé, j’espère que toutes ces informations donneront aux lecteurs de Korea.net l’envie de découvrir cet ouvrage, qui nous est facilement accessible aujourd’hui, grâce au précieux travail de deux « passeurs de temps », éternels troubadours de l’Histoire de Joseon ! MERCI

Informations complémentaires :
SITE : http://www.k-vox-festival.com/
FACEBOOK : https://www.facebook.com/kvoxfestival


RAPPEL : Contes et Récits de Corée, trois tomes, traduits et présentés par Han Yumi et Hervé Péjaudier, collection Scènes Coréennes, éditions Imago, 2021.




* Cet article est rédigé par un journaliste honoraire de Korea.net. Notre groupe des journalistes honoraires est partout dans le monde, pour partager sa passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.

etoilejr@korea.kr