La chanteuse Youn Sun Nah. © Festival Marseille Jazz des cinq continents
Par Christelle Frou
J'ai rencontré pour la première fois Youn Sun Nah, merveilleuse chanteuse coréenne de jazz au mois de mai dernier lors d'un concert dans une petite ville des Bouches-du-Rhône, Miramas. Elle reviendra le mois prochain pour le festival Marseille Jazz des cinq continents. Elle a gentiment accepté une interview téléphonique depuis la Corée.
Christelle Frou : Vous avez grandi dans une famille de chanteur et musicien. L’enfant que vous étiez rêvait-elle de devenir chanteuse ?
Youn Sun Nah : Non ce n’était pas mon envie. Tout d’abord parce que j’ai vu mes parents travailler très très dur en tant que musiciens. Ils sont de la génération post guerre qui a dû reconstruire tout ce qui avait été détruit. Mon père ne se couchait pas avant 2h00 du matin. Il a créé le chœur national de Corée dans les années 70, ce qui représentait beaucoup de travail ainsi que monter des répertoires qui n’existaient pas. Ma maman était chanteuse de comédies musicales. Comme je les ai vu travailler très dur je me suis dit que ce n’était pas pour moi. J’ai d’abord enseigné et ensuite j’ai commencé à travailler dans la mode pendant huit mois, mais ça ne m’a pas plu. Et la musique s’est ensuite imposée à moi à l’âge de 26 ans.
Quelle a été votre motivation pour venir étudier en France dans une école de jazz ?
J’ai participé à une comédie musicale en Corée même si je n’ai jamais appris le chant et le théâtre. C’était une comédie musicale allemande sur l’histoire de l’Allemagne séparée en deux et le metteur en scène a voulu faire un parallèle avec l’histoire de la Corée. Je ne voulais pas postuler et c’est un ami qui m’a poussée à le faire. J’ai donc décidé à la suite de cette expérience d’étudier la musique et sur les conseils d’un ami je me suis tournée vers le jazz mais sans connaître ce que c’était. Simplement parce qu’il m’a dit qu’ensuite je pourrais tout chanter. J’aimais beaucoup aussi les chansons françaises et il m’avait conseillé une école à Paris. Voilà pourquoi je suis venue étudier à Paris.
Peut-on dire que vous avez eu un coup de foudre pour le jazz ?
Pas du tout, au contraire, ça m’a fait vraiment peur. Je pensais que je pouvais apprendre le jazz en trois ans comme font les coréens très très vite (le pali pali) mais j’ai trouvé ça tellement difficile. Au bout d'un an, je voulais arrêter mais mes professeurs m’ont persuadée de continuer en me faisant écouter des chansons européennes tellement belles et différentes des standards américains, ce qui m’a remotivé. Et mes trois années se sont transformées en 30 ans.
Vous étiez jeune lorsque vous êtes venue étudier en France. La Corée vous a-t-elle manquée pendant cette période ?
Oui un petit peu mais comme j’avais quatre écoles en même temps je n’avais pas forcément le temps d’y penser et de m’ennuyer, je travaillais tellement. La première année a été la plus dure et après je me suis tellement motivée que c’est passé très vite.
Vous avez participé à de nombreux festivals en France et notamment à Jazz à Marciac à de nombreuses reprises, qu’en est-il pour le Marseille Jazz des cinq continents ?
J’ai la chance que ce soit ma cinquième participation à ce festival. Plus de 400 festivals de jazz existent en France c’est vraiment une richesse que de participer à nombre d’entre eux. Voir autant de gens qui s’investissent, c’est un vrai bonheur. À Marseille, j’ai eu la chance d’avoir carte blanche où j’ai pu inviter les musiciens que je voulais. C’était un merveilleux cadeau que l’on m’a fait. La ville me donne beaucoup d’inspiration.
En mai dernier j’ai assisté à votre concert dans la ville de Miramas et vous étiez accompagnée de Bojan Z. À Marseille vous serez sur scène avec Eric Lognini et Tony Paeleman. Est-ce vous qui choisissez vos musiciens et comment ?
Oui c’est moi qui choisi mes musiciens et c’est vraiment très difficile de choisir parmi tous ces musiciens très talentueux. Les répertoires sont les mêmes mais chacun apporte sa touche personnelle. Ça dépend des projets. Pour mon dernier album j’ai choisi quatre musiciens, Benjamin Moussay, Bojan Z, Tony et Eric. À Marseille, ce sera différent de mes derniers concerts parce que j’aurais effectivement deux pianistes avec moi sur scène.
Votre dernier album, intitulé Elles, est un hommage à des femmes de styles et de générations différentes. Comment s’est fait ce choix ?
Au départ je voulais enregistrer un album des standards du jazz après avoir fait des albums de mes compostions. En sélectionnant des morceaux je me suis aperçue qu’en faite ils étaient tous fait et chanté par des femmes et que c’étaient elles qui avaient influencées mon répertoire et mon style. C’est cela qui m’a amenée à changer l’orientation de mon album et à l’appeler
Elles.
On voit apparaître quelques clubs de jazz en Corée et des artistes comme V de BTS aiment beaucoup ce style de musique. Il a d’ailleurs quelques titres jazzy. Pensez-vous que le jazz est en train d’y devenir un peu plus populaire ?
On n’a pas une longue histoire au niveau du jazz en Corée, c’est quelque chose de difficile à chanter. Maintenant il y a de plus en plus de musiciens qui s’intéressent au jazz et on trouve plus facilement sur les réseaux sociaux des morceaux de jazz. Moi je devais aller emprunter des albums à la discothèque pour pouvoir en écouter. Malheureusement, on n’a pas beaucoup de festivals de jazz en Corée par rapport à l’Europe. Mais le jazz est une musique qui ne vieillit jamais et peut-être qu'un jour plus de gens s’y intéresseront.
Y a-t-il des artistes avec lesquels vous rêvez de collaborer pour un album ou une chanson ?
J’en ai tellement, c’est très difficile de choisir. Je suis ouverte aussi bien à un jeune musicien ou un musicien duquel je suis fan et qui aurait 80 ans. Pourquoi pas aussi faire une collaboration avec une personne de la K-pop ou dans d’autres pays différents.
Avec V des BTS ? Ce serait mon rêve, en tant que présidente de l’association Army Mums France.
J’espère un jour que cela pourra se faire, oui ce serait vraiment incroyable, un merveilleux projet. On ne sait jamais ce qui peut arriver.
Vous vous produisez partout à travers le monde, y a-t-il un endroit où vous rêvez de chanter ?
Il y a énormément d’endroits où j’aimerais me produire mais c’est difficile de donner un seul endroit. Je dirais en Afrique où je ne suis pas allée souvent. Et un grand concert tout là-haut où tout le monde serait réuni pour l’éternité.
On peut dire aujourd’hui que vous avez une double culture franco/coréenne et que vous êtes en quelque sorte l’ambassadrice du jazz de ces deux pays. Que pouvez-vous espérer pour l’avenir ?
J’aimerais bien jouer un rôle pour rapprocher musicalement les deux pays. J’ai commencé le jazz en France et c’est important pour moi. J’ai présenté des musiciens coréens aux français et des musiciens français en Corée, je les ai fait venir en Corée. Je voudrais développer cette amitié musicale entre les deux pays. J’ai invité par le passé le festival jazz sous les pommiers et il y eu une collaboration en Corée pour le festival Jarasum et ils ont adoré. On dit de moi dans les deux pays que je suis une chanteuse coréenne made in France. J’espère à l’avenir avoir plus de festivals de jazz en Corée.
Rendez-vous avec Youn Sun Nah le 2 juillet au festival Marseille Jazz des cinq continents.
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