Par la Journaliste Honoraire de Korea.net Solène Catella de France

En s’invitant sur les écrans de nos téléphones portables, le webtoon est la bande dessinée de demain, celle que l’on peut lire du bout des doigts et glisser dans sa poche l’instant d’après. Très apprécié dans son pays natal, la Corée du Sud, le webtoon séduit aujourd’hui des lecteurs venus du monde entier, à l’image de « Tower of God » ou de « Noblesse » - pour ne citer qu’eux. Alors que les géants du divertissement commencent à en faire l’adaptation sur grand écran, tout laisse à penser que ce phénomène va s’accentuer dans les années à venir. La rétrospective organisée par Rockin’ KOREA et actuellement exposée au Centre Culturel Coréen est l’occasion de revenir sur ce genre graphique et littéraire aux traits bien particuliers.

Le webtoon, roman graphique nativement numérique

Mot-valise issu de la contraction des termes anglais « web » et « cartoon », le webtoon fait son entrée sur la scène sud-coréenne au début des années 2000, marquées par les premiers succès d’Internet. Considéré par beaucoup comme un équivalent numérique et dématérialisé du manhwa (bande dessinée coréenne), le webtoon renouvelle les codes du roman graphique et s’émancipe de son homologue papier - et du webcomic - à de nombreux égards, à commencer par son format de lecture, vertical. Avant tout pensé pour une consommation sur smartphone, le webtoon s'est modelé autour du « scrolling », une technique d’affichage qui consiste à balayer son écran de haut en bas. Dans un geste aujourd’hui devenu mécanique, le lecteur n’a plus à se soucier des pages à tourner, faisant défiler textes et images à toute vitesse.

À l’assaut du marché du webtoon, deux géants du Web

Pour comprendre comment le webtoon s’est forgé une place bien à part dans le paysage de la bande dessinée numérique, il faut revenir en arrière, et s’imaginer au début des années 1990. À cette époque, la Corée du Sud entreprend la démocratisation de son régime après une longue période de dictature militaire, entre autres marquée par la censure. Ce renouveau politique s’accompagne d’un développement économique, social et culturel sans précédent, qui profite également au secteur des télécommunications. Avec la démocratisation du World Wide Web, puis des réseaux sociaux, le pays accueille alors une nouvelle forme de contenu culturel numérique : le webtoon. Daum (Daum Webtoon, 2003) et Naver (Line Webtoon, 2004), équivalents sud-coréens de Google, sont les premiers à s’emparer du phénomène. Dans le but d’attirer un nombre croissant de lecteurs et ainsi garantir leur popularité, les contenus sont proposés gratuitement. Rapidement, les plateformes de publication se multiplient, proposant à leurs lecteurs une offre toujours plus riche en services et en contenus. En 2014, Naver est le premier à ouvrir le marché du webtoon au reste du monde en lançant sa plateforme à l’international : Webtoon. Les webtoons gagnent très vite en popularité dans la communauté anglophone et sont bientôt traduits dans une dizaine de langues, dont le chinois et plus tard le français (2019).

En France, la culture du webtoon est instituée sous l’impulsion de Delitoon, une plateforme 100 % française fondée en 2011 par Didier Borg, ancien éditeur de Casterman. Les premières années, peu de titres connaissent un franc succès, à l’exception de Lastman qui se verra plus tard adapté en version papier. Il faut attendre 2016 pour que la plateforme connaisse un véritable tournant après avoir décidé de s’ouvrir au marché asiatique. Longtemps resté le seul acteur principal sur le marché français, le « Pionnier du webtoon en France » a depuis ouvert la marche à toute une série de plateformes. Webtoon, Delitoon, Allskreen Webtoon, Webtoon Factory et plus récemment Verytoon sont autant d’exemples qui prouvent que l’offre française en matière de webtoons est aujourd’hui particulièrement diversifiée.



Les clefs d’un succès mérité

Bercé par le numérique, le webtoon s’est tout de suite imposé auprès d’un lectorat jeune, séduit par un genre esthétique et narratif proche du manga japonais. Son format digital et interactif a largement contribué à ce succès. Emblématique de la « snack culture » sud-coréenne, le webtoon se consomme sur le pouce et se digère tout de suite, n’importe où et n’importe quand. Cette immédiateté se ressent également au niveau de la plateforme et de ses fonctionnalités, pensées pour produire du lien avec l’auteur et le reste de la communauté. À la manière de réseaux sociaux, les applications de webtoons laissent en effet la liberté à l’internaute de s’exprimer au moyen de commentaires et/ou « like », le rendant par là-même encore plus interactif.

Son succès, le webtoon le doit aussi et surtout à son mode de lecture vertical qui privilégie une narration par le mouvement. Là où devant une page papier le lecteur peut d’un coup d’œil devancer le déroulement du récit, le webtoon masque frontalement une partie de ce qui va suivre et invite le lecteur à scroller malgré lui jusqu’à la fin de l’épisode. Le webtoon possède donc la capacité de surprendre son lecteur en jouant sur la temporalité de la narration. Les effets sonores (musique, bruitages) et/ou de vibreur, parfois insérés à l’intérieur même du récit, amplifient ce phénomène et laissent penser que le webtoon ne connaît aucune véritable limite technologique.

Sur le plan thématique, le webtoon s’autorise là aussi tous les possibles. De la science-fiction à la romance, en passant par la comédie ou encore le thriller, le webtoon ne s’interdit aucun contenu et ne se fixe aucune limite d’âge. Si des webtoons tels que « Cheese in the Trap » ou « True Beauty » s'adressent davantage à un public jeune et féminin, d’autres s’émancipent volontiers du catalogue de genres habituel. Recueil de conversations sur la vie et la mort, « About Death » se veut philosophique et prouve avec brio que le webtoon est capable d’emmener dans son univers n’importe quel lecteur. Et en s’invitant sur les étalages de librairie, le webtoon espère bien le faire comprendre à ceux qui lui préfèrent sa version papier. Depuis quelques années, les webtoons sont en effet de plus en plus nombreux à quitter les écrans et faire l'objet d'éditions physiques. La publication aux éditions Hugo BD du webtoon à succès « Lore Olympus », réécriture moderne de l’histoire d’amour d’Hadès et Perséphone à l’ère du numérique, illustre cette nouvelle tendance qui peut sembler à première vue paradoxale. Certaines maisons d’édition ont même décidé de lancer leurs propres collections dédiées aux webtoons imprimés ; les éditions Delcourt, avec leur collection Kbooks, sont l’une d’entre elles.



Sur petit et grand écrans comme sur papier, le webtoon a investi le quotidien de lecteurs de tout âge et de tout horizon. Et une chose est sûre : à une époque marquée par le tout-numérique et l'engouement pour la culture coréenne (hallyu), le webtoon a encore de beaux jours devant lui.


* Cet article est rédigé par un journaliste honoraire de Korea.net. Notre groupe des journalistes honoraires est partout dans le monde, pour partager sa passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.

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